“Le Monde” revient sur la guerre entre magistrats à Papeete

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Le Palais de justice de Papeete en proie aux conflits internes. C’est en tout cas ce que laisse penser un article du quotidien Le Monde, paru ce 3 janvier sous la plume de Franck Johannès avec ce titre frappeur : “Une guerre sourde entre les magistrats de Tahiti.”

L’article revient sur la décision de mutation de l’ancien juge d’instruction, Frédéric Vue, révélée par Tahiti Infos en octobre dernier, avant d’aller plus en avant sur l’ambiance délétère qui semble s’être installée dans les bureaux du Palais de justice. “De mémoire de magistrat, on n’avait jamais vu ça“, explique le journaliste à Paris.

Le quotidien du soir revient en détail sur les raisons de la mutation du juge d’instruction, demandée par le Conseil supérieur de la magistrature (retard dans le traitement des procédures, négligences et manquements), mais dévoile en outre une histoire parallèle qui a parasité les débats et provoqué la venue de trois inspections nationales. “La guerre entre magistrats a tourné à l’aigre, le 30 mars 2020, lorsqu’un juge d’instruction a déposé un congé d’adoption après avoir accueilli un nouveau-né, la veille, avec son conjoint, selon la pratique ancestrale, en Polynésie, du  fa’a’amu”, explique le journaliste.

Le juge d’instruction avait fait une demande de délégation d’autorité parentale au tribunal de Nouméa, mais le procureur général de Papeete est “subitement parti en guerre contre une tradition qui existait cinq siècles avant son arrivée sur l’île” et avait ouvert une enquête pénale, finalement dépaysée en Nouvelle-Calédonie puis classée sans suite. 

Thomas Pison dans le viseur

L’affaire, qui a déjà fait grand bruit, avenue Pouvana’a Oopa, ne s’arrête pas là. Le procureur général près de la cour d’appel de Papeete, Thomas Pison, avait déjà un contentieux avec Frédéric Vue. Alors qu’il faisait face à l’absence du premier président de Papeete, parti à la retraite au début de l’année 2020 et son successeur mois de mai, il aurait marché “sans trop de précautions sur les pieds des juges du siège qui assuraient l’intérim“, affirme Le Monde. “Quelques collègues ont demandé à M. Pison à quel titre il donnait des consignes aux magistrats du siège et se sont alarmés de cette prise de pouvoir. Parmi eux, le délégué de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui n’est autre que le fameux juge d’instruction sanctionné par la suite.

Les envois de courriers ont alors commencé, le premier pour décrier le travail du juge d’instruction, déclenchant une réponse du président de la chambre de l’instruction rappelant au procureur les limites des fonctions de chacun et leurs champs d’action. La graine de crise venait alors à peine de germer. “Les refus répétés du parquet concernant les délégations d’autorité parentale ont conduit la cour d’appel à tenir une audience pour harmoniser les décisions de la juridiction”, explique alors l’article qui poursuit. “Le procureur général Pison l’a très mal pris et a envoyé un courriel très vif au premier président, l’accusant ‘d’avoir porté atteinte manifestement à l’indépendance de l’autorité judiciaire’, en dénonçant des ‘pressions’ sur le parquet, ‘mis en cause’ devant des auxiliaires de justice, ‘d’ailleurs choqués par cette attitude’, ce qui ‘a renvoyé une image dégradée de l’institution judiciaire’.”

Une saillie que Thierry Polle, premier président de la cour d’appel de Papeete, a lui-aussi prise de travers s’indignant auprès de la chancellerie de “cette atteinte aux conditions d’exercice impartial et indépendant des fonctions du siège”. A son tour, il demandait alors que des sanctions soient prises.

Un lavage de linge sale en famille qui finit par être public puisque le quotidien renvois alors aux témoignages sur cette situation “étouffante”. Dans les colonnes du quotidien, Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats dénonce l’attitude du procureur général qui se conduit selon lui comme “une sorte de proconsul plénipotentiaire sur un confetti d’empire”.

La mission d’inspection qui suivra après cette affaire mettra en avant “de profonds désaccords et des positionnements juridiquement contestables de la part du procureur général“, qui aurait “outrepassé ses compétences.”

Un rapport bien peu flatteur, mais qui ne sera pas suivi de sanctions, à la grande surprise de certains. “Il y a deux poids, deux mesures”, s’indigne Kim Reuflet, présidente du syndicat de la magistrature.

Une polémique n’arrivant que rarement seule, l’article de Franck Johannès se conclut sur les quelques lignes de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, s’étonnant que “le taux d’incarcération soit en Polynésie le double de celui de la métropole“, dénonçant “les incohérences de la politique d’application des peines, les dossiers mal tenus et les insuffisances du parquet.”

Une situation qui, là non plus, ne fait pas honneur à l’institution judiciaire en Polynésie.