Justice : l’affaire Chanut éteinte par prescription, le Parquet fait appel

Selon la défense, le prolongement du délai de prescription à 6 ans n’est pas rendu applicable en Polynésie française, car il aurait du faire l’objet "d’une mention expresse de la loi".
Selon la défense, le prolongement du délai de prescription à 6 ans n’est pas rendu applicable en Polynésie française, car il aurait du faire l’objet "d’une mention expresse de la loi". (Photo : Damien Grivois)
Temps de lecture : 3 min.

Le procès de Pierre Chanut, l’homme d’affaires jugé 14 ans après les faits pour abus de confiance, escroquerie et blanchiment aggravé, a tourné court ce mardi 10 janvier au palais de justice de Papeete.

Après une audience d’un peu plus de deux heures durant laquelle se sont exprimé les avocats de la défense, ceux des parties civiles et madame la procureure, le tribunal a prononcé l’extinction des poursuites par prescription. A la grande surprise et déception des 14 parties civiles, dont le préjudice financier s’élève, selon le tribunal, entre 400 et 500 millions de francs.

Le Parquet, c’est-à-dire l’accusation, a déjà annoncé qu’il ferait appel puisqu’il estime, à l’instar de la Cour d’appel, que le délai de prescription est en réalité de 6 ans, en vertu d’une disposition de 2017, auquel cas les faits ne seraient pas prescrits. A la différence des magistrats de première instance qui retiennent, eux, la durée de 3 ans.

D’emblée, l’avocat de Pierre Chanut, Me Smaïn Bennouar, puis ceux des autres prévenus (l’ex-épouse de Pierre Chanut, ses deux fils et l’ancien notaire Dominique Calmet) ont évoqué un “délai déraisonnable” pour juger l’affaire, puis soulevé la prescription des délits reprochés.

Selon la défense, le prolongement du délai de prescription à 6 ans n’est pas rendu applicable en Polynésie française, car il aurait du pour cela faire l’objet “d’une mention expresse de la loi”.

Le parquet voulait juger l’affaire immédiatement

Un avocat s’est même étonné de la position du Parquet qui laissait entendre que le délai “déraisonnable” était le fait de la défense. Il a rappelé que la garde-à-vue de Pierre Chanut, dont la dernière audition remonte à une décennie, avait été finalement annulée, et que son ex-épouse a passé toutes ces années sous contrôle judiciaire.

L’avocat des enfants de Pierre Chanut a, de son côté, insisté sur le fait que ses clients s’étaient présentés spontanément à la justice, et qu’ils n’ont été entendus qu’une seule fois par le magistrat instructeur en 2011… “C’est le dossier du vide” a-t-il conclu avant de réclamer la relaxe et la restitution des cautions.

“La longueur de la procédure n’est pas une cause d’annulation” lui a répondu l’un des avocats des parties civiles, en contestant que les droits de la défense aient été d’une quelconque manière méconnus ou violés. De plus, selon lui, la prescription n’est pas applicable au délit de recel, qui constitue une infraction continue.

“La famille est là mais Pierre Chanut n’est jamais là, et sans excuse médicale” a regretté le conseil, “Il laisse ses proches prendre les coups de canon à sa place. (…) Et il n’y a jamais eu un franc de remboursement…”

Madame la procureure, visiblement irritée que la défense laisse entendre que l’accusation serait responsable de la durée de l’affaire, a rappelé les demandes de renvoi émanant de la défense, notamment lors des “audiences en pleine crise Covid” et souligné qu’un avocat avait à l’époque refusé le principe de la visioconférence.

“Depuis mars 2022, le délai de prescription est bien de 6 ans” a affirmé la représentante du ministère public, invitant le tribunal à “juger ce dossier” sans attendre, d’autant que les faits de blanchiment aggravé ont été commis en état de récidive légale.

Le tribunal n’a donc finalement pas été dans son sens et a considéré que le délai de prescription était de 3 ans, et dépassé car aucun acte “interruptif” n’est intervenu entre novembre 2016 et novembre 2019.

Me Smaïn Bennouar : “une application extrêmement rigoureuse de la loi”

“Le tribunal a fait une application extrêmement rigoureuse de la loi, et particulièrement des dispositions qui sont applicables en Polynésie française, en vertu du principe de la spécialité législative. Le délai de prescription est de 3 ans. Force est de constater que pendant 3 ans aucun acte interruptif n’est intervenu. La conséquence logique, c’est l’extinction des poursuites. Je n’imagine pas que le parquet ne fasse pas appel… (…) Ca peut paraître paradoxal mais je ne ne le vois pas comme une satisfaction. Je défends le principal mis en cause, (…), celui contre qui tout le monde s’est acharné, le seul qui a fait de la détention pendant quasiment une année. Il a été libéré à l’initiative du juge d’instruction pour raisons de santé. (…) Nous sommes 14 ans après les faits, et on venait nous sortir des circonstances “aggravantes”, qui pouvaient se traduire par un doublement des peines encourues.”