Justice – Dix recommandations pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes

Noël le Graët est le parfait exemple de l'intouchable qui devient... vulnérable.
Noël le Graët est le parfait exemple de l'intouchable qui devient... vulnérable. (Photo : AFP)
Temps de lecture : 5 min.


Le rapport d’observations définitives de la Chambre territoriale des comptes de Polynésie française portant sur la gestion de la Collectivité de la Polynésie française au titre de la “Lutte contre les violences faites aux femmes”, est en ligne depuis ce jeudi 22 juin sur le site internet des juridictions financières. Il formule une dizaine de recommandations.

Recommandation n°1 : Organiser, dès 2023, une veille statistique permanente consolidée sur
les violences faites aux femmes, y compris dans les îles.

Recommandation n°2 : Adopter, dès 2023, une feuille de route de lutte contre les violences
faites aux femmes, partie du schéma directeur social.

Recommandation n°3 : Produire et tenir à jour chaque année un référentiel des droits de la
femme à destination des professionnels et ce, à partir de 2023.

Recommandation n°4 : Assurer, dès 2023, une traçabilité budgétaire des actions et des aides
servies concernant la lutte contre les violences faites aux femmes.

Recommandation n°5 : Assurer, dès 2023, une prise en charge fiable par téléphone 24 heures
sur 24 toute l’année des femmes victimes.

Recommandation n°6 : Adopter, dès 2023, une règlementation relative aux structures
d’accueil concernées par la lutte contre les violences faites aux femmes.

Recommandation n°7 : Pratiquer au sein de la DSFE une gestion immobilière rigoureuse, dès
2023, pour tous types de biens et quel que soit le statut de l’occupant.

Recommandation n°8 : A partir d’un travail continu de veille juridique en droit privé et en
droit public, améliorer la norme pour mieux protéger les femmes sur leur lieu de travail dès
2023.

Recommandation n°9 : Mettre en place, dès 2023, un module de formation interservices
obligatoire au Pays sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

Recommandation n°10 : Instaurer, dès 2023, une procédure RH interne formalisée de
signalements et de prise en charge des situations de violences faites aux femmes.


L’étude commanditée par le ministère de la Santé de la Polynésie française intitulée “les violences envers les femmes en Polynésie française” indiquait en 2002 que celles-ci “englobent tous les actes, qui par leur menace, la contrainte ou la force, leur infligent, dans la vie privée ou publique, des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques dans le but de les intimider, punir, humilier, les atteindre dans leur intégrité physique et leur subjectivité”.

Le bilan statistique dressé en 2020 par le conseil de prévention de la délinquance local estime pour sa part que “en moyenne, près de 1 500 femmes sont victimes chaque année de violences criminelles ou délictuelles en Polynésie française. Les violences physiques non crapuleuses (femmes battues par leur conjoint, altercations, conflits de voisinage, bagarres alcoolisées ou sous l’emprise de stupéfiants…) sont principalement commises dans la sphère familiale au sens large. 77 % des victimes de violences intrafamiliales sont des femmes.”

En Polynésie française, ces violences enregistrent un taux de 8,13 pour 1 000 habitants contre une moyenne nationale de 5,12 pour 1 000. Il s’agit donc, au-delà d’un contentieux de masse, d’une violence souvent caractérisée par la présence d’un lien affectif entre la victime et l’auteur. Ce lien peut s’accompagner d’une situation de dépendance économique de la victime et constituer pour elle un frein à la révélation des faits aux autorités.

L’ensemble de ces éléments combinés sont susceptibles de rendre plus complexe l’appréhension de ce phénomène par les pouvoirs publics, ce qui les oblige particulièrement, à la fois en matière de prévention, de prise en charge et d’accompagnement. En dépend notamment leur capacité de coordonner leurs moyens de santé publique, d’aides sociales, de Justice et d’actions de police.

La politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes ne peut dès lors être envisagée que sous la forme d’une chaîne de compétence partagée entre l’État, le Pays et les communes, ce qui suppose comme prérequis la formalisation d’un cadre d’action commun. Effectivement, des instances de copilotage et des plans d’action qui participent à cette mise en cohérence ont été instaurés en Polynésie française. Cet ensemble a été développé pour l’essentiel à l’initiative de l’État selon des directives nationales dans le but d’organiser plus généralement la prévention de la délinquance.

A cet égard, le conseil de prévention de la délinquance de la Polynésie française instauré en 2016 par le Haut-commissaire de la République a adopté une suite de plans pluriannuels, le dernier ayant été validé le 25 janvier 2022 pour la période 2021-2024. Ces documents-cadres présentent parmi les priorités identifiées un volet afférent à la lutte contre les violences faites aux femmes.

Si ces instruments nationaux déclinés localement participent à l’organisation des actions, ils n’ont toutefois pas vocation à se substituer à des mécanismes qui relèvent de la seule compétence du Pays. Or, les constats formulés par la Chambre dans certains de ses précédents rapports, qui ont mis en évidence de sérieux handicaps dans la conduite ces dernières années de la politique sociale, du logement social, de l’OPH, et de la santé, créent un écosystème interne défavorable qui pèse sur les capacités du Pays à lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.

Précisément, les effets d’un périmètre ministériel changeant et la suppression en 2018 de la délégation à la famille, à l’enfance et à la condition féminine n’ont pu être amortis qu’en partie par l’administration, à cause notamment de l’insuffisance d’un cadre d’action pluriannuel formalisé et d’effectifs en tension permanente comme c’est le cas à la DSFE.

La Polynésie française n’a pas défini, au moment de l’instruction, sa feuille de route pour lutter contre les violences faites aux femmes, alors que les instruments internationaux proposent des boîtes à outils aisément adaptables, et qu’elle est liée notamment à la convention onusienne sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) depuis 2001.

Dans ce contexte, les outils qui préparent l’action à long terme peinent eux-mêmes à être développés et à s’inscrire dans la permanence, à l’image des travaux de veilles juridique et informationnelle et de l’observation statistique. Il en résulte des insuffisances significatives dans des domaines clés : une règlementation incomplète organisant les structures collectives d’hébergement temporaire des victimes, des aides sociales aux femmes seules réduites, et une prévention sanitaire et sociale d’ensemble à structurer.

Même si la prise de conscience de l’ampleur des violences infligées aux femmes en Polynésie française progresse significativement, les défis ne manquent pas en matière de coordination interministérielle, de mises à jour et de codification du droit local, et de compétences internes mobilisables.

Dans ce contexte, les associations locales n’ont pu qu’endosser un rôle déterminant. Sur cet aspect, l’intervention du Pays auprès d’elles se concentre pour l’essentiel sur un appui financier, ce qui constitue l’expression minimale d’une politique publique. Pourtant, ces subventions ne font elles-mêmes pas l’objet d’une traçabilité budgétaire consolidée, ni par bénéficiaire, ni globalisée sur le thème.

Plus généralement, ces partenaires de terrain mériteraient de la part du Pays un accompagnement plus large, en leur offrant un appui technique, à adosser pour gagner en efficacité, à de véritables contrôles de conformité et de qualité de service. Ces composantes sont déterminantes dans la capacité de la collectivité à garantir aux femmes victimes de violences un parcours de prise en charge sécurisé sans discontinuité, depuis la révélation des faits, jusqu’à leur reconstruction individuelle, en passant par leur mise en sécurité physique, morale et économique.

La Chambre a examiné en complément la situation spécifique des femmes sur leur lieu de travail et en particulier des agents féminins employés par le Pays. La collectivité de la Polynésie française occupe en effet une place de premier plan : d’une part, elle est l’un des premiers employeurs sur le territoire, et d’autre part, elle est l’autorité règlementaire en matière de droit du travail et du statut de la fonction publique territoriale. A cet égard, son exemplarité morale et juridique dans ce domaine est attendue. Des voies d’amélioration importantes ont malgré tout été identifiées.

Des dispositions relatives à la protection des femmes en 2013 ont bien été ajoutées à la règlementation du travail en droit privé et en droit public. Mais depuis, aucune évolution juridique positive n’a été enregistrée sur ce sujet, malgré la demande du Président de la collectivité à cette époque qu’il a d’ailleurs réitérée en 2017 à partir du constat de l’existence de carences s’agissant de la prévention des risques professionnels. Des projets tels qu’un plan d’action pluriannuel dédié, ou un centre d’écoute unique des victimes ont bien été engagés, sans qu’aucun d’entre eux n’ait été déployé par la suite.

Plus largement, une culture de la tolérance zéro des comportements déviants contre les femmes au travail est à installer, en faisant en sorte que l’administration territoriale soit moteur.

Compte tenu de l’ensemble de ces constats, la Chambre a formulé neuf recommandations. En réponse aux observations de la Chambre, la collectivité a rappelé ses projets de rédaction de plans stratégiques en précisant les actions qui devraient en découler en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Si les études et les schémas constituent un préalable indispensable à l’organisation de toute politique publique, ces outils n’ont de valeur que par les actes.