MAGAZINE – Bambou : au royaume des herbes géantes

Le bambou est une plante étonnante, résistante et qui offre des possibilités de transformation quasi-infinies.
Le bambou est une plante étonnante, résistante et qui offre des possibilités de transformation quasi-infinies.
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Le bambou fait partie de la grande famille des graminées (ou poacées), comme le blé, le maïs, le seigle, l’avoine, le riz, la canne à sucre et les herbes à gazon. Les bambous se situent au sein d’une large ceinture qui s’étend du 40e parrallèle au sud au 40e parrallèle au nord de l’équateur.
À travers le monde, on  encompte plus de 1 200 espèces, regroupées en quelque 70 genres, réparties surtout en Asie. À Tahiti comme dans les îles, de nombreuses espèces montrent leur affection pour les lieux humides.

Le bambou a la particularité de pousser très vite, mais il atteint sa taille définitive dès sa première année de croissance. Sa tige, appelée chaume, se compose de nœuds pleins et de sections creuses (les entre-nœuds).

Il est possible de le cultiver pour son bois, dur et solide, mais il ne fait pas l’objet d’un véritable commerce sur le fenua, hormis quelques opérations ponctuelles. C’est ainsi que voilà quelques années, Hyper-Brico proposait des cannes de bambou pour les bricoleurs (2 et 4 mètres), avec quelques idées et suggestions.

En Asie, on pratique aussi une culture vivrière, car les jeunes pousses sont appréciées en alimentation. L’espèce et les conditions du milieu détermineront la taille de la plante.

Les plus gros bambous poussent dans les régions tropicales alors que sous un climat tempéré, on rencontrera plutôt des bambous de taille réduite ou des bambous nains. On en trouve à l’état naturel en Afrique, en Australie et dans les Amériques, mais c’est dans les pays de l’Asie qu’on compte le plus grand nombre d’espèces, dont près de 300 sont originaires de Chine.

La force du creux

La tige, ou le chaume, est la partie aérienne du bambou. Haute de quelques dizaines de centimètres à quelques dizaines mètres (son diamètre peut dépasser 20 cm, très diversement colorée suivant les espèces), la tige est dans la plupart des cas creuse.

Mais une cloison au niveau des nœuds fait du chaume une suite de tubes fermés. Ces nœuds présentent un bourrelet plus ou moins gros, en général perpendiculaire à l’axe de la tige, mais parfois oblique, ajusté aux autres pour dessiner une sorte de guirlande (décoratif mais exceptionnel !). Au-dessous du renflement nodal se trouve la cicatrice d’insertion de la gaine du chaume, en forme d’anneau. Ces gaines, autre originalité du bambou, enveloppent complètement la jeune pousse et la protègent tant qu’elle reste tendre et fragile. 

Et en plus, il se mange!

Les pousses de bambou, pour beaucoup, demeurent synonyme de cuisine chinoise… Elles accompagnent de nombreux plats dont le porc aux pousses de bambou et aux champignons noirs demeure le chef de file incontesté dans le hit parade de la gastronomie asiatique en Occident.

Ces pousses de bambou, issues de jeunes bambous, se présentent sous un aspect conique et se commercialisent le plus souvent en conserve ou en saumure. Les très jeunes pousses de bambou, à peine grosses comme le petit doigt, valent leur poids d’or et sont servies lors des plus grands banquets où beaucoup les confondent, d’ailleurs, avec des pousses de soja… qui, quant à elles, ne valent pas grand chose.

Le bambou sert également à confectionner quelques boissons fermentées et des alcools blancs réputés dans certaines régions. Au Vietnam et en Thaïlande, certaines feuilles de bambou d’une espèce large servent à confectionner des papillotes de cuisson apportant une saveur très particulière à l’aliment.

D.G

Les gaines tombent, ou pas…

Les gaines sont souvent d’une couleur très différente du chaume, parfois sombre, ou marbrées, tachetées et aussi parfois très velues. Elles se recouvrent en étui, se terminent presque toujours par une languette. Un faisceau de languettes à la pointe des pousses donne à celles-ci un air ébouriffé ! En réalité, ce ne sont pas des organes spéciaux, mais des feuilles modifiées: la gaine proprement dite correspond au fourreau de la feuille et la languette au limbe. Dans de nombreux cas, et en particulier dans celui des gros bambous, les gaines tombent une fois leur mission accomplie, la jeune tige étant à maturité. On peut en ramasser aux pieds des touffes: certaines sont énormes et d’une dureté extrême (les Chinois en font des chaussures). Dans la moyenne des cas, donc, leur durée de vie ne dépasse pas quelques semaines. Mais sur quelques espèces, les petits bambous, elles peuvent subsister plusieurs années, voire accompagner le chaume jusqu’à sa mort.

Excellent pour le maintien des sols

Les rhizomes sont parfaits pour stabiliser un terrain ou une berge. (Photo : Damien Grivois)

Il est souvent possible d’observer les réseaux traçants au bord des plantations, en particulier celles qui sont placées en terrain pentu dans les montées de certains lotissements. Le bourgeon terminal de ces rhizomes évolue tout de suite en chaume, tandis que le bourgeon latéral donne un autre rhizome. Les chaumes issus d’une touffe cespiteuse sont serrés les uns contre les autres, à se toucher parfois: cela peut être extrêmement spectaculaire dans le cas d’un géant tropical comme le Dendrocalamus giganteus. La touffe s’étend peu à la surface. Les bambous aiment l’eau et les terrains bien drainés. La reproduction peut se faire par prélèvement sur une plante mère de ramifications souterraines, soit par division des souches (une motte contenant quelques chaumes et leurs rhizomes), soit par tronçon de rhizome (une portion de rhizome comportant des bourgeons). Il faut toutefois contenir les bambous traçants au moyen d’une tôle enterrée d’une quarantaine de centimètres, car leurs rhizomes peuvent se montrer très envahissants.

Mystérieuse floraison

La floraison d’un bambou est un évènement exceptionnel. (Photo : Damien Grivois)

La floraison des bambous est unique et mystérieuse. Elle varie de 1 à 120 ans selon les espèces. Certains bambous fleurissent annuellement, d’autres sporadiquement. Le plus souvent, cette floraison prend une dimension spectaculaire. Poussant de part et d’autre des continents, connectés génétiquement, alertées par un mécanisme cellulaire énigmatique ou bien dépendantes d’une horloge calendaire rythmant l’âge d’un hypothétique stock génétique, des centaines de milliers de plantes arrêtent soudainement de produire des pieds et font éclore de minuscules petites fleurs! Ainsi en Inde et au même instant en Europe, où on les a transplantés, les bambous prennent la décision d’offrir leurs fleurs. Miracle!

L’Asie aux portes des Cévennes

La bambouseraie d’Anduze, lieu inégalé en Europe, visitée par 350 000 personnes chaque année, est l’oeuvre de passionnés de botanique qui, depuis 1855, se sont acharnés à installer l’Asie aux portes des Cévennes.  La bambouseraie s’étend sur 40 hectares à 10 km d’Alès, propose 317 variétés de bambous géants mais aussi des ginkgo biloba, séquoias, magnolias, palmiers. C’est sous ces allées de bambous qu’Yves Montand conduisait un camion bourré de dynamite pour “Le salaire de la peur”.

À Anduze, en 1855, Eugène Mazel, cévenol passionné de botanique qui a fait fortune dans le commerce d’épices importées d’Asie, décide d’y implanter le bambou, quasiment inconnu en Europe. Il achète un domaine et fait réaliser de gigantesques travaux pour capter l’eau en amont du Gardon. Les bambous s’acclimatent mais Mazel est ruiné et, en 1882, cède la bambouseraie au Crédit foncier de France.

Furieux, ses descendants brûlent tous les documents de “ce fou qui a dilapidé son immense fortune pour des arbres”.  Le Crédit foncier vend la bambouseraie en 1902 à un autre passionné, Gaston Nègre. En 1948, il passe le relais à son fils, Maurice, ingénieur agronome, qui, dix ans plus tard, se bat pour sauver la bambouseraie noyée par des inondations. Il meurt deux ans plus tard. Sa fille, Muriel, et son gendre, Yves Crouzet, ingénieur horticole, lui succèdent en 1977. Aujourd’hui, la bambouseraie, qui emploie une cinquantaine de salariés, gère à la fois le jardin botanique et la pépinière qui représente 90% du chiffre d’affaires de l’ensemble.