Les élus de Arue se déchirent sur la dimension coloniale de l’hôtel de ville

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L’annonce d’une probable destruction prochaine de l’hôtel de ville met le feu aux poudres au sein du conseil municipal de Arue. Deux élus de l’opposition, Léo Marais du Tapura no Arue et Tepuanui Snow de Ia Ora Arue tirent à boulets rouges sur le troisième adjoint de la tavana Teura Iriti, Jacky Bryant, accusé d’être “omniprésent”, de ne pas associer l’opposition aux discussions et de développer un discours “dogmatique et politique” sur les dossiers de la commune : bâtiment de La Saintonge jugé “colonial”, mais également projet City au Tahara’a et terrains militaires rétrocédés par l’Etat. La Dépêche a interrogé les trois élus qui, à quelques semaines des élections territoriales, souhaitent prendre les électeurs à témoins.

Propos recueillis par Damien Grivois

La Saintonge est la maison que Victor Raoulx construisit vers 1892-1893 et qui est devenue l’hôtel de ville de Arue. (Photo : archives LDT)

Léo Marais, du Tapura no Arue (opposition)

“Un bâtiment historique, on peut toujours le sauver”

“Les bruits courent que les travaux de destruction de l’hôtel de ville vont démarrer très prochainement. Ce qui pose problème, c’est le manque de transparence. Nous, l’opposition du Tapura no Arue, avons demandé à plusieurs reprises d’avoir les comptes-rendus des études de dangerosité sur les bâtiments de la mairie, nous ne les avons jamais reçues ! Nous avions même demandé à être associés aux travaux d’étude concernant La Saintonge.

Pourquoi détruire cette mairie alors que l’on aurait pu profiter de cette occasion pour former des jeunes Polynésiens, accompagnés de compagnons, dans la restauration de bâtiments historiques ? Un bâtiment historique, quand on se donne les moyens intellectuels et techniques, on peut toujours le sauver. Des idées et des solutions il y en a, mais quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. (…) Contrairement à ce que dit Jacky Bryant qui parle de ce bâtiment comme d’un bâtiment colonial, beaucoup d’habitants de Arue y sont attachés et souhaitent soit sa rénovation, soit sa reconstruction à l’identique. (…)

Ce bâtiment n’appartient ni à la majorité ni à l’opposition, il appartient aux gens de Arue et plus largement à toute la Polynésie. Il doit rester quatre maisons de ce genre à Tahiti ! Il est incompréhensible que l’on ne soit pas associé à la réflexion. Même constat pour le projet City au Tahara’a. On a l’impression d’être en présence d’un entrepreneur qui propose des choses, un projet économique avec des emplois. Nous ne sommes pas naïfs, tout promoteur quelqu’il soit doit négocier avec l’équipe municipale. Or là, pas de négociations mais un refus sec.

Je pense qu’une commune aujourd’hui doit s’associer aux projets et les orienter. (…) Il y a des paramètres à imposer bien sûr. Je pense par exemple que cet espace du Tahara’a doit être ouvert au grand public, et que la question environnementale est primordiale. De toute façon, l’urbanisme et l’hygiène ne donnent pas leur accord si le dispositif n’est pas bon. (…) Beaucoup de jeunes et de familles de Arue cherchent de l’emploi, et cherchent à se loger. Si on ne crée pas d’activité économique sur le territoire de Arue, ces familles vont rester dans l’assistanat. (…) Un tavana doit être capable de taper du poing sur la table et défendre ses vues.

Certaines personnes influent énormément sur la position du maire, je trouve dommage que Teura Iriti manque de personnalité et de charisme. Aujourd’hui, pour chaque intervention concernant Arue, c’est Jacky Bryant, 3e adjoint, qui parle : je reconnais son courage puisqu’il endosse la responsabilité des dossiers compliqués, mais je dénonce cet état de fait.”

Tepuanui Snow, de Ia Ora Arue (opposition)

“Nous pourrions reconstruire La Saintonge à l’identique”

Le représentant de l’opposition que je suis considère que la consultation qui va être lancée est assez hypocrite. En effet, Léo Marais ou moi-même n’avons même pas été informés de la volonté des élus de la majorité de détruire ou pas le bâtiment de la mairie, et de la suite qui sera donnée. Est-ce que la commune s’oriente vers des petits fare à l’image de la mairie de Faa’a ?

Ca, c’est le choix clairement affiché par Jacky Bryant. Ou encore, et c’est la proposition formulée par Ia Ora Arue que je représente, nous pourrions reconstruire La Saintonge à l’identique. Mais, en revanche, de l’aménager de sorte à ce au’elle soit administrativement fonctionnelle et efficace pour l’ensemble des personnels communaux qui y travaillent. (…) Je m’érige complètement contre les propos de Jacky Bryant sur l’aspect colonial de l’hôtel de ville. Comment peut-on vouloir balayer d’un revers de main l’histoire de la Polynésie française ? Le fait colonial est marqué dans notre histoire, qu’on le veuille ou non. (…) La Saintonge a été une bâtisse familiale avant de devenir la propriété de la commune, nous ne devons pas l’oublier.

La famille Krainer est triste d’apprendre le projet de destruction de la maison dans laquelle elle a vécue. C’est un symbole pour Arue et la Polynésie toute entière, l’une des dernières maisons coloniales encore debout. A l’image du musée James Norman Hall, nous pensons qu’il faut garder l’apparence extérieure de La Saintonge, rénover complètement le bâtiment.

Les élus de l’opposition ne sont pas informés de ce que fait la commune, et encore moins associés. On l’a également vu dans le cadre du projet City, ou de la rétrocession des terrains de la Défense à la commune, les élus de la majorité font leur leur petit truc dans leur coin. Les répercussions se sentent au niveau du personnel communal : beaucoup de cadres quittent la municipalité, à l’exemple du directeur général des services il y a trois semaines.

Ca traduit bien un profond malaise aujourd’hui au sein de la commune de Arue. Sur tous les sujets qui concernent Arue, Jacky Bryant est l’interlocuteur principal et en plus il adopte des positions dogmatiques et politiques. Nous regrettons que la voix du dialogue ne soit pas privilégiée. La commune dit qu’elle va mener des consultations publiques, mais en réalité elle a déjà pris ses décisions ! Depuis 2020, nous n’avons pu que constater que c’est Jacky Bryant qui insuffle sa vision des choses.”

Jacky Bryant, 3e adjoint au maire (Majorité)

“L’hôtel de ville est une expression colonialiste”

“Oui, le bâtiment de l’hôtel de ville va être détruit. Une première étude en 2018, donc à l’époque de Philip Schyle et Léo Marais, indiquait déjà que La Saintonge n’était plus en capacité d’accueillir le personnel qui y travaille ou du public, pour des questions de sûreté et de sécurité. Une deuxième expertise, par un autre organisme, a conclu que ce bâtiment devait être refait complètement, les structures n’ont pas été entretenues depuis 150 ans…

Il faut bien comprendre que le coût d’une réparation serait de toute façon supérieur au coût d’une reconstruction. A la base il s’agissait d’un logement familial, il y a des salles de bain qui ont été transformées en bureaux… De plus, c’est impossible d’y  “loger” tout le monde, ou alors il faudrait un bâtiment sur trois niveaux.

La question est technique mais aussi historique. L’image que renvoie l’hôtel de ville est une expression colonialiste. Arue est le le cœur de la culture pré-européenne, c’est quelque chose d’unique que Bruno Saura explique très bien. Arue c’est le premier contact avec les Européens, la dynastie Pomare, les sources Vainahiti et Vai’uramata, le marae Tuatahi, l’arbre à pain du commandant Bligh, Omai…

Pour ce qui est de l’accueil du public, nous devons utiliser le savoir faire-traditionnel que, finalement, on ne retrouve plus que dans les hôtels à 4 ou 5 étoiles. Nous sommes ouverts à la discussion. Il s’agit aussi de porter l’histoire du peuple polynésien, qui n’a pas commencé avec Cook… Ca a aussi été le choix de Faa’a, ou encore de Teva i Uta.

Je ne cherche pas particulièrement à m’exposer, je réponds aux sollicitations et il se trouve que Teura Iriti est actuellement absente du fenua. Sur le dossier des terrains de la Défense rétrocédés par l’Etat, la différence fondamentale entre l’opposition et nous c’est que la majorité n’a pas voulu séparer le côté mer du côté montagne. Il faut travailler sur l’affinement des partenariats et des financements, valider les hypothèses. Nous avons rencontré les services de l’Etat.

Sur le projet City au Tahara’a, il n’ y a rien de dogmatique. Ce projet représenterait un flux de 5000 personnes par jour, alors qu’il n’y a que 10 200 habitants à Arue. Il y a déjà chaque matin et soir 17000 passages de voitures dans le Tahara’a, comment pourrait-on assurer la fluidité avec pareil surplus ? Le projet City, c’est aussi 900 000 litres d’eau par jour, soit l’équivalent de 90 camions citerne, et seule la moitié sera traitée, donc le reste rejeté dans le milieu naturel. La population de Arue va-t-elle finir avec des osmoseurs comme à Bora Bora ? Le mieux serait que le Pays rachète cet espace dans le cadre du Plan général d’aménagement.”