Quand les féministes interrogent les rapports d’argent dans le couple

Le risque, dans nombre de couples, est que l'un des conjoints devienne l'unique "directeur financier" implicite du ménage, rendant son partenaire "vulnérable" en cas de séparation ou de décès. (Photo : archive
Le risque, dans nombre de couples, est que l'un des conjoints devienne l'unique "directeur financier" implicite du ménage, rendant son partenaire "vulnérable" en cas de séparation ou de décès. (Photo : archives LDT)
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Au-delà des écarts de salaire, la vie en couple contribue aussi aux inégalités économiques en appauvrissant les femmes, affirment des autrices et militantes féministes, qui dénoncent des mécanismes sociaux et fiscaux “sexistes” et appellent les femmes à s’interroger sur leurs habitudes conjugales en matière d’argent.

“Ce que le couple hétéro coûte aux femmes”, “Les bons comptes font les bons amants”, “Rends l’argent!”, “Le genre du capital”: plusieurs livres et podcasts explorent ces questions qui relèvent encore souvent d’un impensé, dans une société où les trois quarts des femmes en couple ont pourtant des revenus plus faibles que leur conjoint.

“Le problème numéro un, c’est que l’argent reste tabou dans le couple”, estime la journaliste et conférencière Lucile Quillet, membre de l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, récemment lancé par la Fondation des femmes. Pourtant, contrairement au dicton, “quand on aime, on compte ! Pour que personne ne soit lésé en cas de problème”, affirme cette spécialiste, qui avec l’historienne Lucile Peytavin, vient de publier une étude appelant à “repenser les règles de la conjugalisation”.

Observant que “les façons de faire couple et de faire les comptes ont évolué”, mais la législation très peu, les autrices y passent en revue plusieurs dispositifs administratifs prouvant selon elles que la “solidarité conjugale s’applique de façon désavantageuse pour les femmes”, par exemple en les privant de certaines prestations sociales si leur conjoint a des revenus trop élevés.

Elles s’y interrogent aussi sur l’imposition commune des revenus, qui permet certes à la plupart des couples mariés ou pacsés de réduire leurs impôts, mais “bénéficie aux hommes” et “taxe davantage” les femmes, qui “paieraient moins d’impôts en étant célibataires”.

“Répartition genrée des dépenses”

En outre, pour prélever l’impôt à la source, le fisc applique par défaut le même taux aux deux membres du couple, ce qui est désavantageux pour celui –ou celle, le plus souvent– qui gagne moins. Pour bénéficier d’un taux individualisé, sans changer pour autant leur impôt global, les conjoints doivent le demander expressément. Seuls 52% des couples concernés l’ont fait en 2022, a précisé à l’AFP l’administration fiscale.

Ces questions ont certes peu d’importance pour les couples ayant choisi de mutualiser à 100% leur argent –soit environ les deux-tiers des ménages, selon des chiffres de l’Insee remontant à 2010. Mais elles peuvent être déterminantes pour les autres, ayant opté soit pour la séparation totale, soit pour la mise en commun partielle. Dans ce dernier cas, la clef de répartition des dépenses n’est d’ailleurs pas anodine: les conjoints préfèrent-ils tout payer à 50/50, ou contribuer en fonction de leurs revenus?

Le plus souvent, ces habitudes se mettent en place peu de temps après la mise en couple, en fonction de “la personnalité de chacun, de son histoire individuelle, de sa conception de l’amour”, et il est ensuite très difficile d’en changer, observent Sarah Benmoyal Bouzaglo et Corina Paraschiv, professeures en sciences de gestion, qui ont mené des recherches sur la “gestion de l’argent au sein du couple”.

Quelle que soit la solution retenue, “il y a en tout cas un vrai enjeu de société à ce que chaque individu soit formé à gérer ses finances”, ce qui pourrait être abordé dès le collège, suggèrent-elles. Car le risque, dans nombre de couples, est que l’un des conjoints devienne l’unique “directeur financier” implicite du ménage, rendant son partenaire “vulnérable” en cas de séparation ou de décès.

Pour la conseillère en gestion de patrimoine Héloïse Bolle, dont le cabinet “Oseille et compagnie” compte 85% de clientes, “les droits économiques, nous les avons, il faut s’en saisir et les revendiquer”.

Et se poser des questions, insiste-t-elle: “Le plus dangereux, c’est la répartition genrée des dépenses: Monsieur paye le crédit voiture, et Madame les courses du quotidien, c’est très courant”, analyse la conseillère, qui vient de publier “Aux thunes citoyennes!” avec la juriste Insaff El Hassini. Quand le couple se sépare, “Monsieur repart avec la voiture, et Madame avec rien du tout”.

AFP