Statut de la Polynésie française : faut-il aller plus loin ?

Le professeur Mélin-Soucramanien spécialiste du droit ultramarin à l’Université de Bordeaux.
Le professeur Mélin-Soucramanien spécialiste du droit ultramarin à l’Université de Bordeaux. (Photo : Philippe Binet)
Temps de lecture : 3 min.

L’une des tables rondes du colloque “Les Outre-mer aux avant-postes” organisé par l’hebdomadaire Le Point était intitulée “Autonomie, souveraineté, indépendance : la Polynésie française à l’heure du choix”. La question était en fait posée à Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit constitutionnel et du droit des outre-mers à l’université de Bordeaux. Le débat ayant finalement abordé le sujet sans se limiter à la Polynésie française, il était intéressant de faire préciser ce qui peut intéresser actuellement le fenua. Avec en filigrane la déclaration de Gérald Darmanin : “Si la France s’en va […] qui va venir si vous n’êtes pas capables de vous développer ? […] La Chine, quand on est Calédoniens ou Polynésiens ?”

LDT : Le Pays a largement voté pour le président Macron, toutefois, les législatives ont envoyé trois députés indépendantistes à l’Assemblée nationale. Compte tenu du fonctionnement actuel du statut d’autonomie de la Polynésie française, faut-il ou non le faire évoluer ?

F. M-S : Il y a des taquets, c’est-à-dire des limites qui ont été posées sur certains sujets très intéressants pour la Polynésie, par exemple la thématique bien connue de l’emploi local. Le Conseil d’Etat a mis une barrière à des projets polynésiens en faisant primer la Constitution et les principes républicains traditionnels. La position du Conseil d’Etat n’est pas discutable.

Si l’on se tourne vers la Nouvelle-Calédonie, il y a un levier pour l’emploi local bien plus important. On pourrait donc passer par une révision de la Constitution et imaginer une citoyenneté polynésienne. D’ailleurs, cela avait été le cas dans un projet de loi constitutionnelle présentée en 1999 par Jacques Chirac et qui en prévoyait l’existence.

Sans même se positionner en termes de “on ne touche a rien” ou, à l’inverse, “on chamboule tout”, entre les deux, il y a des marges de manœuvre qui méritent d’être discutées. Par ailleurs il y a des questions d’organisation institutionnelle propres à la Polynésie qui méritent intérêt. Je pense notamment à l’aspiration des Marquises à avoir un statut qui soit un peu plus adapté à leur situation particulière et qui permette une différenciation plus grande avec le reste de la Polynésie française.

Actuellement, il existe un établissement public de coopération intercommunale. On pourrait le faire travailler davantage grâce aux communes. On pourrait imaginer un autre cadre qui puisse à la fois satisfaire à leur aspiration identitaire et en même temps maintenir le lien avec la République française et la Polynésie française. Ces sujets sont dignes d’intérêt et ne pas les aborder du tout conduit à des frustrations et à des incompréhensions. Bernanos écrivait : “La réforme des institutions vient toujours trop tard, lorsque le cœur des peuples est brisé”. Dans le cas présent, il n’y aurait pas d’obstacle juridique à traduire en droit ces aspirations.

LDT : L’éventail politique de la Polynésie française a changé, les indépendantistes ont progressé, du fait également de la situation économique et de leur revendications auprès de l’ONU ou encore de ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie. Les conditions d’une indépendance seraient-elles plus favorables désormais ?

F. M-S : Ce qu’on a appelé l’ère des indépendances c’étaient les années 60 avec des pays qui se décrochaient du système colonial. Depuis, les choses ont beaucoup changé. La République s’est remise en question. Le grand empire colonial, c’était la troisième République qui défendait les libertés, mais colonisait allègrement les parties du monde connu.

La France a beaucoup changé à cet égard, en étant ouverte à ces questions. Le président de la République actuel les aborde d’ailleurs avec pragmatisme. Du côté des territoires cela a aussi beaucoup changé. Jean-Marie Tjibaou disait : “L’indépendance en soi ne signifie rien ; l’indépendance cela signifie en réalité le bon calcul des interdépendances.” L’économie mondialisée, les pays interdépendants et la France elle-même (y compris dans des domaines de souveraineté), doivent se consulter. Même la Corée du Nord est dépendante de la Chine !

Ce qui a du sens c’est la souveraineté, la reconnaissance des identités. Dans le contexte local si l’on considère les petits états voisins, tous ont de la reconnaissance sur le plan de la souveraineté et de la citoyenneté, voire de la monnaie, comme aux îles Cook – mais dernières dépendent encore de la Nouvelle-Zélande. Les petits états du Pacifique sud ne sont pas indépendants, ils sont tous connectés à une autre puissance. L’ONU les considère d’ailleurs comme des territoires autonomes.

Propos recueillis par Ph. Binet