
Un “couloir sécurisé”. C’est l’argument principal présenté par des trafiquants d’ice aux complices qu’ils ont embarqués dans l’affaire. Le procédé semble parfait. Des financiers payent le voyage aux États-Unis de mules un peu particulières.
En effet, ces mules ne prendront jamais l’avion avec la drogue. Elles achètent à San Francisco, conditionnent sur place, et envoient la méthamphétamine dans des enveloppes ne dépassant pas trente grammes dans différentes boîtes postales de Papeete, numérotées entre 0 et 100.
Pourquoi ces numéros ? Car ce sont celles gérées par un complice, employé de Fare Rata depuis quinze ans, chargé de récupérer la marchandise. Le plan semble parfait. C’était sans compter sur les forces de l’ordre.
28 enveloppes envoyées, 19 saisies
Au total, les prévenus comparaissent tous libres après plusieurs mois de détention provisoire. L’affaire porte sur 620 grammes d’ice contenus dans des enveloppes expédiées en deux vagues, en juillet et novembre 2019. Une cargaison en grande partie saisie suite à un “renseignement douanier”. Des saisies qui vont semer le trouble et provoquer des tensions au sein du réseau.
Rapidement, c’est l’employé des postes qui est soupçonné de voler l’ice. Celui chargé des envois sait que c’est bien parti, il l’a fait lui-même. Si ça n’arrive pas, c’est forcément que quelqu’un “le double” et il veut savoir qui c’est. Il met alors la pression sur l’employé de la poste, allant même jusqu’à le tabasser ou le menacer d’un fusil, mais il n’a rien fait dit-il. Un autre employé de la poste est recruté pour surveiller le premier. Un nouveau voyage en Californie a lieu, mais là encore, la drogue n’arrive pas.
“Vous avez menti au juge pendant l’enquête. Là, vous mentez au tribunal.”
Le président du tribunal, puis les nombreux avocats, essaient donc de démêler le vrai du faux, mission quasi impossible tant les versions des uns contredisent celles des autres. On comprend à la lecture de certaines auditions qu’après des menaces sur les employés de la poste, les deux hommes à l’initiative de l’opération se sont mutuellement soupçonnés d’avoir volé la drogue, qui était en fait déjà saisie. En vrac, quelques extraits de témoignages ou d’écoutes téléphoniques lues à l’audience et qui donnent le ton : “Je vais te casser les dents”. “Je vais te traîner derrière une voiture”. “Je vais m’en prendre à ta femme et à tes enfants”.
Coupables, mais pas responsables
C’est la ligne de défense de chacun d’entre eux. Ils ont obéi ou ont été entraînés dans l’affaire, rien de plus. L’homme de main violent n’est qu’un exécutant naïf pour son avocat. Le cerveau au casier bien rempli, un homme rangé désormais, qui n’a rien fait d’autre que de mettre des gens en relation.
Après une journée d’audience, impossible, en tout cas bien difficile, de savoir clairement qui a fait quoi. Qui avait le contact d’un dealer aux États-Unis ? Qui a fourni des numéros de boîte postale de Papeete à ceux chargés de coller les timbres en Californie ? Qui a réceptionné les six ou sept enveloppes expédiées et non saisies ? Tout cela reste sans réponse.
Le procureur décrit à nouveau des actes “nauséabonds”, rappelant les faits de violences et de menaces sur ceux soupçonnés d’avoir volé les envois disparus. Il demande des peines assez légères, entre 6 mois avec sursis et un an ferme pour tous, excepté celui qu’il décrit comme le boss : “peut-être pas un cerveau, mais enfin disons, le patron” pour qui il requiert quatre ans ferme avec mandat de dépôt.
Malgré ces réquisitions, tous ressortent du tribunal comme ils étaient arrivés, libres. Le moins impliqué est condamné à 4 mois avec sursis. Deux ou trois ans avec sursis pour les autres. Un an ferme pour le “patron”. Tous avaient déjà effectué environ une année de détention provisoire.
Les deux employés de Fare Rata ont été licenciés après les faits. La poste qui demande d’ailleurs des dommages et intérêts pour la manière dont l’affaire a nui à son image sur les réseaux sociaux. La demande est déclarée irrecevable par le tribunal.
Compte-rendu d’audience : Y.P