Les Etats insulaires du Pacifique alertent l’ONU sur la montée du niveau de l’océan

L’élévation du niveau de la mer aura dépassé au moins 1 mètre pour la plupart des petits États insulaires en développement (PEID) tandis que les catastrophes marines extrêmes qui, jusque-là, arrivaient une fois tous les 100 ans, se produiront chaque année. 
L’élévation du niveau de la mer aura dépassé au moins 1 mètre pour la plupart des petits États insulaires en développement (PEID) tandis que les catastrophes marines extrêmes qui, jusque-là, arrivaient une fois tous les 100 ans, se produiront chaque année. (Photo : DG)
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La perte du statut d’État et la question connexe de la préservation des zones maritimes ont été au cœur du débat public que le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu mardi 14 février à New York sur l’élévation du niveau de la mer et ses conséquences sur la paix et la sécurité internationales.  

La quasi-totalité des quelque 70 orateurs à s’être exprimés, dont le Secrétaire général qui a parlé de “multiplicateur de menaces” et de “marée montante de l’insécurité”, ont tiré la sonnette d’alarme, avant de proposer des pistes, notamment sur le plan juridique, afin d’y remédier.  

Dans une intervention à la tonalité très sombre, le Secrétaire général a indiqué que le niveau de la mer a davantage augmenté depuis 1900 qu’au cours des trois millénaires antérieurs.  “Si les températures augmentaient de deux degrés Celsius, cette élévation du niveau de la mer pourrait doubler.”  Il a précisé qu’avec un tel scénario des pays comme le Bangladesh, la Chine, l’Inde et les Pays-Bas seraient menacés.  Des mégalopoles comme Le Caire, Los Angeles, Lagos, Londres ou encore Djakarta seraient également gravement affectées. (…)

Mme Coral Pasisi, Directrice chargée des changements climatiques de la Communauté du Pacifique (CPS) et Présidente de Tofia Niue, a cadré le débat en rappelant que d’ici à 2050, “c’est-à-dire au cours de la vie de nos enfants et petits-enfants”, l’élévation du niveau de la mer aura dépassé au moins 1 mètre pour la plupart des petits États insulaires en développement (PEID) tandis que les catastrophes marines extrêmes qui, jusque-là, arrivaient une fois tous les 100 ans, se produiront chaque année.  

“Payer pour déménager n’est pas une solution que nous pouvons accepter” préviennent les Etats en développement du Pacifique. (Photo : Damien Grivois)

L’élévation du niveau de la mer et les impacts des changements climatiques sont à la fois une menace directe pour la sécurité et un multiplicateur de menaces pour les individus, les communautés, les provinces, les nations et certainement pour le continent bleu du Pacifique, a-t-elle tranché.  À cet égard, elle a remarqué qu’une menace à la sécurité d’une personne est mieux définie par le prisme de ceux qui en sont frappés que par ceux qui continuent d’en être les plus responsables.  

Mme Pasisi a prévenu qu’il ne s’agit que d’une question de temps pour que la menace de l’élévation du niveau de la mer et des changements climatiques ne devienne une menace pour la paix et la sécurité de tous les pays du monde.  Pour de nombreux PEID, cette réalité est déjà sur nos côtes et pour certains, elle les a déjà emportés, s’est-elle impatientée.  

Quant à la question de savoir quelle est la gravité de cette menace pour le statut d’État et la sécurité des PEID, elle a répondu que tout le monde sait que le continent du Pacifique bleu est un “patchwork d’intérêts géopolitiques, forgé par les guerres mondiales, travaillé via la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et coloré par la mondialisation”.  Il est aujourd’hui menacé d’être déchiré par cette menace, une situation exacerbée par l’ambiguïté du droit pour gérer les impacts de l’élévation du niveau de la mer sur les points de base qui servent à fixer les zones économiques exclusives.  Mme Pasisi a également dénoncé le mépris continu de la responsabilité de cette menace croissante et l’impunité, qui alimentent l’incapacité d’agir pour arrêter les changements climatiques, malgré les preuves évidentes de la menace existentielle qui pèse sur de nombreux États, communautés et individus dans le monde entier.  

Les Pays du Pacifique “résolus”

Pour sa région et les nations qui la composent, il s’agit bien d’une question de sécurité d’une importance capitale, a affirmé l’intervenante, expliquant ainsi pourquoi les dirigeants du Pacifique ont élaboré les déclarations suivantes: en 2018, la Déclaration de Boe sur la sécurité régionale; en 2021, la Déclaration sur la préservation des zones maritimes face à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques; et en 2022, la Stratégie pour le continent du Pacifique bleu à l’horizon 2050.  Elle a espéré que le mois prochain, la résolution de l’Assemblée générale demandant un avis consultatif à la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les obligations de États en matière de changements climatiques sera adoptée.  

Mme Pasisi a tenu à rappeler aux membres du Conseil de sécurité que bien avant que la terre ne soit submergée, elle se dégrade tellement qu’elle ne peut plus soutenir la vie humaine et les écosystèmes complexes qu’elle abritait autrefois.  Cela se manifeste déjà dans les PEID et les États côtiers, leur a-t-elle dit: les récifs coralliens blanchissent, causant des dommages irréparables et affectant les sources alimentaires vitales, les moyens de subsistance et le tissu culturel des communautés et des pays côtiers.  L’eau de mer s’infiltre dans les nappes phréatiques délicates et menace la salinisation de l’eau potable et des terres arables.  

Elle a attiré l’attention sur le fait que les connaissances et pratiques traditionnelles des peuples autochtones, qui constituent la grande majorité des populations des îles du Pacifique, se perdent à mesure que les ressources naturelles sont érodées par l’élévation du niveau de la mer et les impacts climatiques.  Elle a aussi souligné les impacts non économiques uniques et, à bien des égards, encore plus préoccupants: la guerre contre les changements climatiques a un adversaire beaucoup plus grand que dans une guerre classique et la capacité de l’arrêter est hors de votre contrôle direct, a-t-elle expliqué.  Elle a rappelé les pertes et dommages subis et les craintes pour l’avenir des enfants.  

Malgré cette réalité, les PEID restent résolus et comptent parmi les plus ambitieux pour donner l’exemple, a assuré l’intervenante: ils font pression pour une plus grande responsabilité de notre génération envers la suivante, que nous soyons assis sur une plage ou dans une tour de verre.  Elle a précisé que l’équité intergénérationnelle est une responsabilité que nous devons tous assumer et qui est au cœur du mandat du Conseil de sécurité.  Elle a recommandé que celui-ci commence par reconnaître et plaider pour arrêter les émissions de gaz à effet de serre, tout en soutenant les efforts des régions et des pays les plus à risque pour sécuriser leur espace juridictionnel sur la planète et la certitude de leur existence en tant qu’États à l’avenir. (…)

Carolyn Schwalger (Nouvelle-Zélande) a témoigné de l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes en indiquant que, pour la troisième fois de son histoire, son pays vient de déclarer l’état d’urgence nationale en réponse au passage destructeur du cyclone Gabrielle.  Alors que les effets des changements climatiques continuent de s’accélérer, les impacts associés affecteront fondamentalement la sécurité mondiale, a-t-elle prévenu, avant de rappeler que, d’ores et déjà, certains pays insulaires du Pacifique connaissent une élévation du niveau de la mer jusqu’à quatre fois supérieure à la moyenne mondiale.  Si sa gravité varie selon les États et les régions, ce phénomène aura des implications pour tous les États et posera des menaces spécifiques à la paix et à la sécurité de la communauté internationale dans son ensemble, a insisté la représentante, pour qui il est crucial de coopérer pour élaborer des réponses à ces questions.  Elle a réitéré l’appui de son pays à la Déclaration de 2021 des dirigeants du Forum des îles du Pacifique sur la préservation des zones maritimes face à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques.  Après s’être félicitée de l’appui international dont a bénéficié cette déclaration, elle a dit attendre de la communauté internationale qu’elle veille à ce que les droits maritimes dont dépendent de nombreux États soient préservés.  Enfin, elle a réaffirmé son soutien à l’initiative de Vanuatu en faveur d’un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur le climat. 

(Source : ONU)

“Payer pour déménager n’est pas une solution”

Au nom des 12 petits États insulaires en développement du Pacifique, Mme Ilana Victorya Seid (Palaos) a souligné que l’élévation du niveau de la mer constitue une menace existentielle pour les îles basses et les atolls du Pacifique.  Ce phénomène a déjà provoqué l’inondation de bon nombre de nos côtes et entraîné des déplacements de population, tout en faisant pénétrer l’eau de mer dans nos nappes phréatiques, a expliqué la représentante.  Pour faire face à cette menace, a-t-elle poursuivi, le Président de Kiribati a lancé une stratégie de “migration dans la dignité”  et a acheté 5 500 acres aux Fidji pour assurer une production alimentaire supplémentaire et un lieu de réinstallation potentiel, dans le cas où l’élévation du niveau de la mer rendrait son pays inhabitable.  De même, craignant une inondation totale, les Tuvalu ont entrepris de télécharger une version virtuelle de son pays dans le métaverse afin de préserver sa culture, a-t-elle relaté, précisant que, loin d’être de la science-fiction, ces exemples illustrent ce qui se produit aujourd’hui dans de nombreux États insulaires.  Mais ces mesures extrêmes ne concernent pas seulement les PEID puisqu’aux États-Unis, l’Administration Biden a versé 75 millions de dollars à trois communautés tribales d’Alaska et de Washington gravement touchées par les effets des changements climatiques pour qu’elles se réinstallent sur des terres plus élevées.  
“Payer pour déménager n’est pas une solution que nous pouvons accepter”, a-t-elle ajouté, appelant la communauté à faire davantage pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.  

À cette aune, la représentante a demandé au Conseil de sécurité de soutenir l’appel des PEID concernant leurs zones maritimes et la nécessité de les sécuriser face à l’élévation du niveau de la mer.  Elle l’a également appelé à soutenir l’initiative menée par Vanuatu et soutenue par les îles du Pacifique, qui vise à solliciter un avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière de changements climatiques.  Elle a invité le Conseil à venir dans le Pacifique, pour voir de visu l’élévation du niveau de la mer et écouter les histoires des personnes touchées.  Si les PEID sont en première ligne de cette crise, ce sont 149 des 193 États Membres de l’ONU qui sont exposés à cette menace, a-t-elle conclu.