Justice – Radio Tefana, un “outil d’information et de lien social”

Oscar Temaru décrit la genèse de la création de la radio, liée à son combat de la première heure contre "les essais propres" à Moruroa et Fangataufa.
Oscar Temaru décrit la genèse de la création de la radio, liée à son combat de la première heure contre "les essais propres" à Moruroa et Fangataufa. (Photo YP)
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Déjà trois longues journées d’audience dans le procès en appel de la radio Te Reo o Tefana, sa direction, et Oscar Temaru maire de Faa’a.
En première instance, Oscar Temaru a été condamné à six mois de prison avec sursis et cinq millions de francs d’amende. Les deux anciens responsables de la radio et de son conseil d’administration Vito Maamaatuaiahutapu et Heinui Lecaill ont écopé respectivement de 3 mois et 1 mois de prison avec sursis, 1 million et 500 000 F d’amende. Mais surtout 100 millions de francs d’amende pour la radio. Une amende qui signifierait la coupure immédiate des ondes de Tefana si elle devait être confirmée en appel.

Les comptes de radio Tefana et ses subventions ont toujours été validés par l’ensemble des autorités compétentes. (Photo YP)


Les débats reprennent, le mardi 28 janvier au matin puis se poursuivent le lendemain mercredi. Ils s’étaient conclus lundi par l’étude des demandes de nullité de la procédure et autres demandes d’actes de la défense. Il est notamment question, à nouveau et à plusieurs reprises, de ce rapport du procureur José Thorel en 2014 sur la gestion de la radio, rapport qui ne figure pas dans le dossier.

La défense demande ce document “essentiel”. Un simple “rapport hiérarchique” pour l’avocat général, qui ne figure donc pas dans les pièces de la procédure pénale. Il ne l’a d’ailleurs pas en sa possession, dit-il. Idem pour un extrait, un court enregistrement de la radio. Une preuve audio de la “propagande Tavini” qu’on lui reproche. Il n’y en a pas.

Personne pendant l’enquête n’a enregistré une radio pourtant mise en cause pour son contenu. Si les débats semblent parfois répétitifs pour ceux qui avaient assisté au procès en première instance, d’autres s’enthousiasment d’un moment d’histoire. Oscar Temaru est appelé à la barre, et lorsque le président lui donne la parole, après avoir salué les magistrats, le leader du Tavini lance : “Si nous sommes ici, c’est qu’il y a eu des morts”.
Du Général de Gaulle au Rainbow Warrior et Greenpeace, de Francois Mitterrand aux émeutes de 1995, il s’agit bien d’histoire. Oscar Temaru décrit la genèse de la création de la radio, liée à son combat de la première heure contre “les essais propres”. “On nous a pris pour des cobayes” répète Oscar Temaru.

“De quoi on parle sur cette radio ?”

Il s’agit ensuite de comprendre le fonctionnement de radio Tefana. Comment la mairie intervient elle, ou pas ? Le discours de la radio est-il un copier-coller de celui du Tavini ? Qu’est-ce qui justifie que l’association Te Reo o Tefana soit celle qui récolte les plus grosses subventions communales ? Pour Vito Maamaatuaiahutapu et Heinui Lecaill,  “tout a été fait dans les règles”.

Les comptes de la radio et ses subventions ont d’ailleurs toujours été validés par l’ensemble des autorités compétentes, du Conseil municipal, au haut commissariat.

Deux séries de témoins ensuite. Les premiers, comme Unutea Hirshon ou le Père Auguste Uebe-Carlson de l’association 193, sont là pour décrire l’époque et parler de leur combat contre les essais nucléaires. On décrit la manière dont la France et l’armée contrôlaient tout sur le sujet et donc, l’importance qu’a eu Oscar Temaru, puis radio Tefana dans leur combat.

“Celui qui a fait de la propagande, ça n’est pas Oscar, c’est De Gaulle”, une véritable punchline du Père Uebe-Carlson. Pour lui, “plus personne ne peut dire aujourd’hui qu’Oscar avait tort de dénoncer les essais nucléaires”.
Moetai Brotherson s’étonne lui de ne pas voir dans la salle d’audience les anciens haut-commissaires du Fenua, puisque tous ont contrôlé et validé les comptes de radio Tefana entre 2009 et 2017, la période visée par la procédure. Il présente Oscar Temaru comme un homme simple, extrêmement soucieux des deniers publics. Un leader sans qui le mouvement indépendantiste aurait été, selon lui, beaucoup moins pacifique.

“Je n’étais pas indépendantiste avant de rencontrer Oscar Temaru”

Place au fond du dossier le mercredi. Il s’agit de comprendre comment et pourquoi la mairie de Faa’a finance la radio. Les subventions à l’association Te Reo o Tefana sont-elles attribuées dans les règles ?

C’est là qu’Antony Géros est appelé à la barre. Il rappelle qu’il était employé à la mairie de Faa’a avant l’arrivée d’Oscar Temaru, dès 1978. Mais surtout, il remet la création de la radio dans son contexte. Au début des années 80, quatre puissants cyclones frappent la Polynésie. Après avoir acheté des radios VHF aux pompiers de la commune germe l’idée de monter une radio locale pour informer au mieux la population. Pour apprendre comment la faire fonctionner, la financer, payer son personnel, il demande de l’aide. “On a suivi les consignes de la tutelle” explique Antony Géros. La tutelle, c’est l’État.

Monter une association chargée de gérer la radio. Créer un service communication à la mairie, et mettre le personnel de ce service à disposition de l’association, c’est réalisé sur les conseils de l’Etat.
Vannina Crolas, actuelle directrice des services de la mairie continue ensuite d’expliquer comment la radio est financée, comment elle suit les recommandations de la Chambre Territoriale des Comptes…

Elle lit même des extraits de rapport dans lesquels l’autorité de contrôle de l’Etat félicite Faa’a pour sa gestion en général, et radio Tefana en particulier. Un véritable outil de lien social pour la commune. Tout particulièrement pour les 3 000 habitants de Faa’a qui n’ont toujours pas de connexion internet dit-elle, citant les chiffres de l’institut de la statistique.

L’audition des témoins s’enchaîne. Il est notamment question de la ligne éditoriale de la radio et de la frontière entre simple information et propagande. Ensuite, ce seront les réquisitions de l’avocat général puis les plaidoiries des cinq avocats de la défense. Parmi eux, Maître David Koubi, comme il l’avait fait en première instance, concluera les débats vendredi à l’issue de cinq jours de procès.

Compte-rendu d’audience : YP