Te reo o Tefana : la justice française contestée par le camp indépendantiste

L'amende réclamée à l'association Te Reo o Tefana est toujours de 100 millions de francs. "La peine de mort pour une association" selon Maitre Antz.
L'amende réclamée à l'association Te Reo o Tefana est toujours de 100 millions de francs. "La peine de mort pour une association" selon Maitre Antz. (Photo YP)
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C’est bien ce qui se passe à Papeete depuis le début de ce procès en appel qui s’achève ce 2 mars. Après une journée entière consacrée aux témoins de la défense, place aux avocats. Pour la partie civile, la mairie de Faa’a, maitre Stanley Cross ouvre le bal, ou plutôt le ball trap. Avec en guise de pigeon d’argile de plus en plus larges, l’avocat général dans la salle, le procureur Hervé Leroy à l’origine de la poursuite, la France.

(Photo YP)

Pour la mairie et son conseil municipal, le soutien au Tavana est total. Maître Stanley Cross qui représente la commune explique qu’il aurait même préféré être “sur le banc des accusés” plutôt que partie civile. “Il n’y pas eu de préjudice pour la mairie” dit-il, après son traditionnel mais toujours passionnant cours d’histoire.

Il est ensuite le premier de la journée à faire feu sur le ministère public. “Est-ce que ce n’est pas la raison d’Etat qui a motivé Hervé Leroy à se contenter d’une procédure baclée, tendancieuse, incomplète ?”. Il termine sa plaidoirie en lançant à sa manière la campagne des territoriales pour le parti bleu clair : “En 2023, le peuple mao’hi répondra en élisant Oscar Temaru à la tête de notre pays”.

Ministère amer

Sans surprise, voire sans argument, l’avocat général tente d’être pédagogue en revenant sur les raisons du procès. “Nous n’avons reçu aucune instruction de Paris” dit-il. S’en suit alors une longue explication de texte sur le pourquoi il y a bien, selon lui et sans aucun doute, prise illégale d’intérêt.

A défaut de pédagogie, on rentre dans un véritable labyrinthe d’articles du code pénal et de jurisprudence cités en rafale. Les réquisitions reprennent les peines prononcées en 1ère instance.

Pas de peine d’inéligibilité pour Oscar Temaru mais six mois de prison avec sursis et cinq millions de francs d’amende. Trois mois de prison et un million de francs d’amende pour Vito Maamaatuaiahutapu. Seul Heinui Lecaill voit son amende réduite à 200 000F contre 500 000F en première instance, et toujours un mois de sursis.

L’amende réclamée à l’association Te Reo o Tefana est toujours de 100 millions de francs. “La peine de mort pour une association” selon Maitre Antz. L’avocat de Te reo o Tefana use douze fois de l’adjectif “absurde” pour qualifier les poursuites puis s’en prend à l’Etat.

Il rappelle que les problèmes judiciaires ont commencé pour Oscar Temaru dès lors qu’il a mis un pied à l’ONU. “Est ce qu’on est dupe ?”
Chez les avocats de la défense, l’unanimité est totale. La plainte du Tavini pour “crime contre l’humanité” contre la France a été selon eux le déclencheur de l’affaire. Ils se déclarent persuadés que le procureur Leroy ne s’est pas réveillé en 2018 en réalisant que Radio Tefana était la radio de Faa’a et donc de ce fait une radio Tavini, anti-nucléaire et indépendantiste. “C’est un dossier politique pour protéger les intérêts de l’État” lance Maître Dubois.
Pour Maître Millet, ce sont également les démarches à l’ONU qui ont déclenché une nouvelle salve d’hostilités de l’État contre Oscar Temaru.

“L’enquête dormait avant cela” rappelle-t-il. L’avocat énumère d’une traite tout ce que la défense a déjà cité comme problèmes avec la procédure, cela fait son effet.  Il y est question d’ordre caché donné à un procureur, de garde à vue abusive, d’absence d’enregistrement audio, de pièces manquantes, de procédures parasites… Maître Millet termine sans retenue : “La France est coupable d’avoir fait 193 essais en Polynésie, coupable d’avoir menti sur les conséquences, coupable d’avoir manipulé la justice pour faire taire Oscar Temaru.”

Un dossier d’un vide abyssal pour Maitre Koubbi

L’avocat parisien envoie les dernières cartouches envers un avocat général à la tête basse, feignant de chercher des documents ou les yeux sur son ordinateur portable, alors qu’il a prononcé son dernier mot il y a près de quatre heures. Maitre Koubbi cumule l’expérience des cinq avocats de la défense, 112 ans de droit pénal. Pourtant, il assure qu’aucun n’avait déjà vu pareille procédure. “Une mauvaise fois caractérisée” selon lui. Il soulève enfin un dernier paradoxe : alors que l’ONU demande à la France depuis dix ans de conduire une démarche pédagogique en Polynésie française sur le droit de sa population à l’autodétermination, elle s’en prend à radio Tefana qui depuis 40 ans à commencé le travail.

La radio continue d’émettre. Oscar Temaru n’est ni blanchi ni martyr avant les élections territoriales. Le délibéré, historique, est fixé au 24 mai.

Compte-rendu d’audience : YP