
Après les rappels historiques du professeur et politologue Sémir Al Wardi et de l’historien Jean-Marc Regnault sur les élections territoriales en Polynésie française, voici le dernier volet de la série avec cet article sur la contestation d’une élection qui “reste une épée de Damoclès” au-desus des têtes des candidats, signé par Hervé Raimana Lallemant-Moe, Docteur en droit public et chercheur associé à l’Université de la Polynésie française.
Être candidat à une élection est une tâche complexe.
Indépendamment d’une compétition politique souvent rude entre les partis politiques, il ne faut pas oublier que la volonté du corps électoral est protégée par de nombreuses règles. Celles-ci doivent être strictement respectées, au risque de se voir sanctionner en tant que candidat, ou – au pire – de conduire à une annulation d’élection.
C’est ce que l’on appelle en droit le “contentieux électoral“. La finalité de celui-ci est d’identifier les irrégularités, les manœuvres, les abus commis par des candidats ou des électeurs qui ont pu avoir pour effet d’affecter le sens de la volonté du corps électoral.
Contrairement à ce que l’on pourrait (faussement) s’imaginer, la vivacité de ce contentieux n’est pas surdimensionnée dans les outre-mer et est tout aussi vivace dans l’Hexagone. Ceci démontre ainsi qu’une candidature à une élection doit toujours être parfaitement organisée.
En effet, s’il est évident qu’une fraude réfléchie doit être sanctionnée, les candidats peuvent aussi commettre des erreurs fortuites, dont les conséquences seront pourtant tout aussi graves.
Le droit électoral pour les élections à l’Assemblée de la Polynésie française
A la veille des élections de l’Assemblée de la Polynésie française le 16 avril 2023 (et le 30 avril en cas de 2e tour), il semble important de rappeler les principes fondamentaux en la matière.
En matière statutaire, le droit électoral relève des compétences de l’État sur le fondement de l’article 14 (1°) de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française. Les règles relatives aux élections polynésiennes sont ainsi présentes dans la loi organique statutaire précitée, mais aussi dans le code électoral national.
Ainsi, pour les dispositions relatives aux élections à l’Assemblée de la Polynésie française, il faut aller consulter les articles 103 et suivants de la loi organique statutaire et plus particulièrement les articles 109 et suivants pour les problématiques d’inéligibilités (l’impossibilité d’être élu et d’exercer une fonction publique) et d’incompatibilités (l’impossibilité d’exercer deux fonctions spécifiques).
Doivent évidemment s’additionner les dispositions du code électoral dont principalement le titre IV de la partie législative et réglementaire, soit les articles LO406-1 à L416 et R242 à R253. D’autres dispositions législatives nationales ont vocation à s’appliquer dans le cadre de ces élections.
Le Conseil d’État est la juridiction compétente pour statuer sur les protestations électorales émanant du Haut-commissaire (sur la forme uniquement), des candidats ou des électeurs, qui doivent être déposées dans le délai de 15 jours suivant la proclamation des résultats (art. 116 de la loi organique statutaire).
Les motifs d’annulation d’une élection ou de sanction d’un candidat sont extrêmement éclectiques.
Il existe en droit national un nombre très important de situations où des inéligibilités voire des annulations d’élections ont été prononcées.
Il est impossible d’être exhaustif mais des exemples simples et courants peuvent être présentés :
– En matière de pression sur les électeurs on peut retrouver les problématiques de dons aux électeurs (CE, 8 juin 2009, n° 322236 et 322237, Élect. mun. Corbeil-Essonnes), de promesses d’embauche irrégulières dans les services communaux (CE, 5 août 2009, n° 322832, Élect. mun. Saint-Louis de la Réunion) ou par des élus (CE, 11 mai 2015, n° 386033 et 386135, Élect. mun. Asnières-sur-Seine).
– En ce qui concerne les listes électorales, c’est le juge judiciaire qui est traditionnellement compétent, mais le juge administratif peut pleinement apprécier si les conditions d’établissement ou de modification de la liste électorale révèlent ou non une manœuvre susceptible d’avoir altéré la sincérité du scrutin (CE, 6 mai 2015, n° 383286, Brothers et a.), à l’instar d’inscriptions irrégulières en nombre massif (CE, 20 déc. 1972, n° 84146, Élect. mun. Gressy).
– Pour l’aspect de propagande électorale, un texte diffamatoire présenté comme émanant du candidat diffamé est de nature à fonder l’annulation de l’élection (CE, 5 déc. 2011, n° 351182, Élect. cant. La Chambre). L’annulation de l’élection peut aussi résulter de messages postés le jour du scrutin sur Facebook à l’occasion d’une élection aux résultats très serrés (Cons. const., 18 déc. 2017, n° 2017-5092, 4e circ. Loiret).
– Le financement d’une campagne électorale est également un motif récurrent de contestation des élections. En effet, pour assurer l’égalité entre candidats et du fait que l’État rembourse une partie des dépenses engagées, l’encadrement des comptes de campagne est particulièrement strict.
Il revient à la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques d’examiner préalablement les comptes de campagne de tous les candidats en lice (art. L. 118-2 du code électoral).
Les candidats à une élection doivent désigner un mandataire appelé à gérer le budget de leur campagne électorale (art. L. 52-4 du code électoral). C’est au mandataire désigné et déclaré qu’il incombe de recueillir les fonds destinés à la campagne électorale et de régler les dépenses que celle-ci occasionne. En cas d’irrégularités commises ou de dépassement du plafond (CE 11 avr. 2012, n° 345110, Hureaux), les sanctions sont électorales et financières. Le candidat peut voir son compte de campagne rejeté, l’élection annulée et il peut être déclaré inéligible.
Évidemment, les candidats peuvent aussi être déclarés inéligibles pour sanctionner des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin (CE, 4 févr. 2015, n° 385555, Élect. mun. Vénissieux). En outre, il faut mentionner que l’inéligibilité est une sanction (à titre principale ou complémentaire) prévue pour un très grand nombre d’infractions du code pénal (tous les crimes et la très grande majorité des délits) ainsi que dans d’autres législations sectorielles.
Des exemples polynésiens eux aussi très variés
A l’instar des autres collectivités, la Polynésie française a eu son lot de contentieux électoraux, démontrant l’étendue des motifs pouvant justifier une peine d’inéligibilité, voire une annulation d’élection. Quelques exemples topiques peuvent être cités :
– Pour les élections de l’Assemblée de la Polynésie française du 23 mai 2004, les salles de vote de la commune de Mahina avaient été entièrement décorées, jusqu’aux rideaux des isoloirs, aux couleurs du parti sur la liste duquel figurait en bonne position le maire de la commune. L’aménagement de la salle de vote ne pouvant pas porter atteinte à la liberté et à la sincérité du vote, les opérations électorales pour la désignation dans la circonscription des Iles du Vent des représentants à l’assemblée de la Polynésie française ont été annulées. (CE, 15 nov. 2004, n° 268543, Élect. ass. Polynésie française, Circonscription îles du Vent).
– En ce qui concerne les élections sénatoriales de 2014 en Polynésie, une pression sur les électeurs avait été reconnue dans le fait d’organiser un cortège de plusieurs centaines de personnes arborant des vêtements aux couleurs d’un parti à proximité immédiate ou dans l’entrée des bureaux de vote et les élections avait donc été annulées (Cons. const., 6 févr. 2015, n° 2014-4907, SEN, Polynésie française).
– En 2018, le chef de file d’un parti avait été déclaré inéligible (pour 1 an) et son élection à l’Assemblée de la Polynésie française annulée, au motif qu’il n’avait pu produire dans son compte de campagne des justificatifs de nature à établir le montant de recettes perçues (CE, 26 oct. 2018, n° 420734).
– Plus récemment en 2022, un autre chef de file d’un parti politique a été déclaré inéligible (pour 5 ans) au motif d’une inscription frauduleuse sur les listes électorale de la commune de Papeete avant les élections municipales de 2020.
Un nécessaire accompagnement technique
Même si les problématiques de contentieux électoral n’ont pas épargné les partis politiques les plus importants en Polynésie française, force est de constater qu’il peut sembler – en apparence – plus difficile pour des partis politiques émergents et sans grande expérience électorale de se lancer dans une hasardeuse aventure politique, eu égard à la complexité des règles électorales, en outre couplées à un mode de scrutin favorisant les grandes familles politiques.
L’accessibilité à la candidature aux élections est cependant loin d’être impossible et les services du Haut-Commissariat de la République en Polynésie française mettent à disposition à chaque élection un “guide du candidat” suffisamment exhaustif pour retrouver l’ensemble des bonnes pratiques en la matière, avec aussi la possibilité de consulter régulièrement des services ou autorités spécialisées.
Dans tous les cas, l’expérience montre qu’il est préférable pour les candidats de pouvoir être accompagnés par des personnes disposant de compétences adaptées, car indépendamment du fait de n’être potentiellement pas élu, les risques de contentieux électoraux restent toujours très élevés.
Hervé Raimana Lallemant-Moe, Docteur en droit public et chercheur associé à l’Université de la Polynésie française