Tribune – “Société “primitive” vraiment ?”, par Simone Grand

"Un chrétien d'aujourd'hui ne peut qu'être troublé par la célébration du retour du ti'i 'A'a réalisé par ses ancêtres " 'o te tau 'ētene ha'amorira'a 'itoro" = du temps païen de l'idolâtrie.
"Un chrétien d'aujourd'hui ne peut qu'être troublé par la célébration du retour du ti'i 'A'a réalisé par ses ancêtres " 'o te tau 'ētene ha'amorira'a 'itoro" = du temps païen de l'idolâtrie."
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Comme bien des mots, le sens de “primitive” varie selon le locuteur, les circonstances et les interlocuteurs. En art excepté, ça qualifie: le rustre, mal dégrossi, sauvage, arriéré, paysan, païen, honteux, méprisable,.. à énoncer avec condescendance comme une évidence.

J’ai trop entendu ce mot qualifier ma famille et mes ancêtres polynésiens, justifiant l’absence de considération et de courtoisie envers eux avec les discriminations qui en découlent. FIU !

Que ce mot soit repris par des non universitaires en auto-dénigrement résigné est déplorable mais compréhensible. La population est toujours dans l’ignorance du processus sectaire de la conversion après 20 ans de vains prêches, d’épidémies mortelles successives, de deuil permanent et d’une sournoise stratégie de la faim.

Le deal offert aux survivants désespérés fut : “Reniez vos diaboliques origines vraies et affiliez-vous à celles hébraïques fictives et vous serez sauvés!” C’est devenu prière : “Pardon de n’avoir d’autres parents que des païens arriérés adorateurs d’idoles sataniques.” Suivie de l’ordre contraire du 4è commandement: “Honore ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent dans le pays que Dieu te donne.” Injonction paradoxale donc. Qui rend fou, désoriente, fabrique des moutons serviles ou enragés, violents ou inertes, à tendances addictives et suicidaires.

Les insulaires pratiquaient le culte des ancêtres où Ti’i fut le premier homme, divinisé et représenté par un ti’i, objet mémoriel et non d’adoration. Les missionnaires anglais étaient si obsédés par les idoles bien avant d’arriver en Océanie qu’ils en ont vu ! Le régime totalitaire de l’alliance politico-religieuse Pōmare II + missionnaires est illustré par le Code Pōmare, outil de violence psychique et physique.

Mais pour influer durablement, ils ont inventé des mots sorts, des maléfices, repris par notre Académie. Comme : ‘ētene de l’anglais heathen = païen et ‘itoro de idol = idole; mots et concepts inexistants en langues océaniennes.

Aussi, un chrétien d’aujourd’hui ne peut qu’être troublé par la célébration du retour du ti’i ‘A’a réalisé par ses ancêtres ” ‘o te tau ‘ētene ha’amorira’a ‘itoro” = du temps païen de l’idolâtrie.

Mais que de jeunes enseignants à l’Université de Polynésie française qualifient la société de mes grands-parents de “primitive”, ça ne passe pas. Ce mot fut inventé par des Blancs coloniaux pour déshumaniser des peuples dont ils convoitaient les terres et/ou la force de travail. C’est du racisme ! Inacceptable! L’université doit former à l’esprit critique et libérer les pensées captives en utilisant et exigeant les mots justes.

Et, pourquoi se faire l’écho de ceux qu’à la suite de Stendahl on peut dire : “Ils ne savent toucher le cœur qu’en le froissant” ?

Jean Albert Lièvre, cinéaste talentueux du monde sous-marin et admirateur des baleines décrit avec respect “une société organisée” dont il se fait l’étudiant dans une humble démarche scientifique. Il a sillonné les Océans et fait escale chez nous. Il ne se prétend ni Polynésien ni Baleine. Si les baleines ont une société organisée, celle des Polynésiens d’hier ne peut être primitive.


‘Ia maita’i, Simone Ta’ema Grand

P.S. Au fait “traverser” = aller d’un bord à l’autre.
Traverser l’Océan Pacifique c’est aller du Pérou à l’Australie = 14 926 km.
Or, Pérou-Marquises = 7011 km. C’est pas mal, mais ce n’est pas “La Traversée”.