Recours à la prostitution d’une mineure de moins de 15 ans : le tribunal incompétent

Si l'affaire est requalifiée en viol, ce n'est plus un simple délit que peut juger le tribunal correctionnel. (Photo : YP)
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Ce jeudi 9 mars en soirée, à la surprise générale, le tribunal correctionnel se déclare incompétent dans l’affaire de mœurs qui implique une douzaine de prévenus dont des “notables”. Rappel des faits. L’enquête préliminaire est ouverte en juillet 2022 pour des faits de recours à la prostitution d’une mineure de moins de 15 ans. Si les affaires de prostitution ne sont pas rares, celle-ci fait les gros titres en novembre dernier, car parmi les 12 prévenus figurent un médecin, un policier des renseignements, et un haut fonctionnaire directeur de l’institut de la statistique de Polynésie française. Tous ont eu recours “aux services” de la jeune fille de 14 ans au moment des faits. Ils sont placés en garde à vue après une interpellation aux aurores le 8 novembre dernier.

Chacun des douze prévenus ayant un voire deux avocats, on sait déjà que la journée va être longue. La victime n’est pas présente. “Trop intimidée” dit son avocate, avouant tout de même ne plus avoir de nouvelles récentes de sa cliente. 

L’audience débute par des demandes de nullité. Certains avocats veulent faire annuler la garde à vue de leur client. D’autres remettent en cause la manière dont on les a interpellés ou encore demandent l’annulation de certaines écoutes téléphoniques ou messages internet. Ils dénoncent aussi le fait qu’il n’y a pas de proxénètes à la barre. 

En effet, deux jeunes femmes dont une cousine de seize ans, qui prenaient les rendez-vous ou cherchaient des clients, ont déjà bénéficié d’une procédure de plaider coupable (CRPC). Cela n’a pas manqué de surprendre voire de choquer une des avocates, s’étonnant de voir de simples clients de prostituées risquer dix ans de prison, alors que des proxénètes qui encourent logiquement une peine de 20 ans, ont réussi à éviter le procès.

Un ascenseur émotionnel pour les prévenus, la stupéfaction des avocats

Un point commun se dessine entre plusieurs conseils de la défense : tous dénoncent la façon dont l’instruction a été menée. Un avocat parle de manipulation de la procédure. 

“Un naufrage procédural” pour Maître Fayolle, l’avocat venu de métropole pour défendre le haut fonctionnaire. Après la fronde générale lancée contre la procédure, ce n’est que vers 16h, une fois d’autres dossiers et d’autres affaires prévues ce jour évacuées, que le procès reprend. 

Et là, surprise générale ! Le président du tribunal met en avant l’article 222-23-1 du Code pénal, qui qualifie de viol sur mineur de 15 ans, tout acte de pénétration sexuelle, quelle que soit sa nature, ou tout acte bucco-génital entre un mineur de moins de 15 et un majeur, dès lors qu’ils ont une différence d’âge d’au moins 5 ans.

Si l’affaire est requalifiée en viol, ce n’est plus un simple délit que peut juger le tribunal correctionnel. Il s’agit alors d’un crime qui doit aller devant la cour d’assises. Le tribunal se déclare alors incompétent. Dans l’assistance, composée uniquement des avocats, des prévenus et de la presse, le huis-clos partiel ayant été prononcé dans la matinée, ce sont plutôt des sourires que l’on constate. Qui dit tribunal incompétent dit retour à la case départ, celle du ministère public, qui va devoir relancer une instruction.

Seulement les surprises ne sont pas terminées. Le procureur, puisque l’on parle désormais d’un crime, veut alors que certains prévenus soit placés en détention provisoire et non plus sous simple contrôle judiciaire. 

Maitre Fayolle plaide alors de la manière la plus courte qui soit : “Vous êtes incompétents, donc vous êtes dessaisis. Fin de la blague”, dit il sèchement. Après une énième suspension, le président du tribunal indique qu’il ne demande pas de mandat de dépôt, pas de détention provisoire donc. 

Tous les contrôles judiciaire et les mesures de sûreté en place “sautent” et le dossier repart sur le bureau du ministère public qui va devoir relancer une nouvelle procédure. Autant dire plusieurs mois, peut-être même des années, tant les juges d’instruction qui vont devoir éplucher le dossier ont déjà du retard dans le traitement des affaires.

Compte-rendu d’audience Y.P