Temae : du paisible domaine aux joutes politiciennes

D'après le Tapura, "ce site de Temae, en concertation avec la commune de Moorea, fera l’objet d’un aménagement pour un accès public à la mer avec parkings, parcours santé, promenade et zone de vente de produits artisanaux et de terroir".
D'après le Tapura, "ce site de Temae, en concertation avec la commune de Moorea, fera l’objet d’un aménagement pour un accès public à la mer avec parkings, parcours santé, promenade et zone de vente de produits artisanaux et de terroir". (Photo: Shutterstock)
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Le domaine de Temae, sur l’île de Moorea, ne cesse de faire parler de lui et semble presque devenir un enjeu électoral entre partis, au moins entre deux, en vue des prochaines territoriales. Depuis le 7 mars dernier, le gouvernement, soutenu par le Tapura et le nouveau parti A here ia Porinetia, par l’intermédiaire de Nicole Sanquer, s’invectivent par communiqués interposés.

Nicole Sanquer, représentante A here ia Porinetia, a “lancé les hostilités” le 7 mars dernier. Dans une question au gouvernement, elle s’interrogeait sur les intérêts et modalités d’acquisition d’une parcelle du domaine de Temae par le Pays qui a annoncé le rachat de 18 hectares de ce dernier à Louis Wane pour 2,16 milliards de francs. L’homme d’affaires avait acquis, en 2021, les 56 hectares du domaine pour 2,85 milliards de francs. Le Sheikh Enany d’Arabie Saoudite en était le précédent propriétaire. Nicole Sanquer demandait des éclaircissements sur le but du rachat de cette parcelle à un prix quasiment identique à celui des 56 hectares, et sur le pourquoi de la non utilisation du droit de préemption par le Pays.

La réponse ne s’est pas faite attendre. Dès le 10 mars, le gouvernement apportait des précisions : “il est important de rappeler qu’avant toute acquisition par le Pays, la commission du domaine est saisie pour évaluer le terrain proposé et donner son avis sur l’acquisition projetée. Cette dernière a évalué les parcelles comme suit : 16.300 F/m² pour la parcelle en bord de mer et 8.100 F/m2 pour les 2 autres parcelles qui jouxtent l’aérodrome. À titre de comparaison sur la valeur immobilière, on peut mentionner les opérations récentes dont le prix moyen du m2 avoisine les 20.000 F/m2 sur Teavaro par exemple“.

Le Pays indique qu’il n’a pas pu faire jouer son droit de préemption

Sur le droit de préemption, le Pays explique qu’il n’était pas en mesure de l’appliquer : “On ne peut préempter les parts sociales d’une société”. Le Pays voulait aussi rassurer la population de Moorea sur ses intentions. En plus d’apporter la garantie qu’il avait convaincu Louis Wane de ne pas construire de bungalows sur pilotis, il assurait également que “ce site de Temae, en concertation avec la commune de Moorea, fera l’objet d’un aménagement pour un accès public à la mer avec parkings, parcours santé, promenade et zone de vente de produits artisanaux et de terroir”.

Une réponse jugée peu convaincante par Nicole Sanquer, qui par communiqué du 14 mars évoque encore trop de zones d’ombre dans ce dossier, parlant même “d’incrédulité” et de “malaise”. La représentante s’interroge sur la différence de prix entre le terrain estimé à 6 milliards de francs, mais acheté par Louis Wane 2,85 milliards. Ainsi que sur la faible différence entre le prix d’achat de 18 hectares et le prix d’achat de la totalité du domaine, soit 56 hectares. Elle conclut que “tout le monde a compris qu’il y a quelques chose qui cloche . A l’inverse de ce qu’avance le Pays, l’élue assure que l’utilisation du droit de préemption était possible à l’époque de la vente. Elle avance même qu’un “cadeau fiscal ” de 113,46 millions de francs au titre d’une exonération des droits d’enregistrement et de publicité foncière aurait été accordé à la société Motu Temae par le conseil des ministres.

Elle s’interroge aussi sur la réelle nécessité de ce rachat, avançant que “l’emprise n° 22 réservée à la commune de Moorea-Maiao dans son PGA d’une surface de 3,2 hectares situé en bord de mer du domaine Enany permettrait déjà de répondre aux attentes de la population et maintenir un accès mer à la population à un moindre coût, sans avoir à acquérir une surface de 18 hectares pour 2,6 milliards et dont l’utilité publique n’apparait aucunement établie”. Nicole Sanquer rebondit enfin sur les propos du gouvernement et sur la garantie qu’il prétend avoir obtenu de Louis Wane de ne pas construire de bungalows sur pilotis. Elle soulève le fait que cela ne relève pas d’un “commun accord” entre les deux parties mais d’une décision du tribunal administratif du 20 septembre 2022 qui annule le projet de modification du PGEM du 10 septembre 2021. Ce projet de modification aurait en effet permis cette implantation.

“Son irresponsabilité n’a d’équivalent que sa démagogie

Il n’en faut pas plus pour que Nicole Sanquer s’attire les foudres, non pas du Gouvernement, mais du groupe majoritaire, le Tapura huiraatira. Le 15 mars, ce dernier répond de manière virulente et s’interroge sur les réelles volontés de cette dernière allant même jusqu’à poser la question : “Mais pour qui roule Nicole Sanquer ?“. Il affirme que l’attitude de Nicole Sanquer est “contraire à la volonté légitime de la grande majorité des “vrais” habitants de l’île sœur”. Le Tapura y défend le travail du Gouvernement et présente les projets à venir suite au rachat : “donner enfin un large accès à la plage et disposer d’un espace récréatif et aménagé de grande qualité pour les familles”. Il précise que cette zone sera enfin assainie et protégée des inondations qui sont fréquentes en temps de pluie. C’est ensuite la préoccupation de pouvoir trouver des emplois pour les jeunes de Moorea afin de leur permettre de vivre dignement”.

Le Tapura : « Avec Nicole Sanquer, demain on rase gratis et on bafoue le droit et la propriété privée ! »

Dans un communiqué, le Tapura s’indigne de “l’acharnement” de Nicole Sanquer sur l’investisseur Louis Wane, pouvant créer un climat de défiance et jugeant son attitude irresponsable et démagogue. S’en suivent des propos élogieux envers le Gouvernement relatifs au désenclavement réussi de l’accès au motu Temae et au succès des discussions Pays-Socredo pour la réouverture de la route de ceinture par le chemin qui longe le golf. Le Tapura affirme aussi que le droit de préemption était impossible dans cette acquisition et souligne que si cette procédure avait été possible, le juge aurait probablement fixé un prix d’achat bien moins intéressant de ce qui a pu être négocié entre la Direction des affaires foncières et Louis Wane. “Madame Sanquer devrait savoir que le droit de préemption n’est pas un hold-up légal contrairement à ce qu’elle veut faire croire” s’indigne le parti majoritaire. “Ce qui montre son niveau d’irresponsabilité. Avec Nicole Sanquer, demain on rase gratis et on bafoue le droit et la propriété privée !” Le Tapura estime que l’attitude de Nicole Sanquer n’a pour finalité que de semer doutes et “zizanie”. Cette dernière n’a, à la date du 16 mars, pas répondu au communiqué du Tapura.