Edito – Le quatrième pouvoir n’est plus sur le Caillou

Il n'y a plus d'espoir pour le seul quotdien du Caillou, placé en liquidation judiciaire.
Il n'y a plus d'espoir pour le seul quotdien du Caillou, placé en liquidation judiciaire. (Photo AFP)
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La mort d’un journal, c’est une bibliothèque qui brûle, c’est la mémoire d’un ancien qui se perd à
jamais. Le journal “Les Nouvelles Calédoniennes”, le seul quotidien de l’île, a été liquidé ce vendredi 17 mars 2023 dans l’indifférence générale, malgré l’intervention du procureur qui souhaitait un plan de continuation, et pourtant ce n’est pas son rôle ! Les actionnaires visaient l’arrêt du journal à cause d’un passif de 800 millions de francs.
En effet, les banques n’ont pas voulu soutenir le groupe Melchior qui demandait à ses
créanciers une négociation de la dette. L’actionnaire a eu en retour… une augmentation de taux d’intérêt. Une belle manière de l’aider à survivre !

Sans le vouloir vraiment, les banques ont précipité la chute du journal historique de la Nouvelle-Calédonie. Ni l’Etat, ni le gouvernement calédonien ne sont venus au secours de ce monument de la presse locale. Outre le drame humain que provoque cette fermeture (il s’agit de 120 personnes qui ont
perdu leur emploi, sans garantie d’en trouver un dans le même secteur), il y a aussi un vrai problème
démocratique que pose cette situation : l’absence d’organe de presse susceptible d’informer la
population.

“Etat et politiques absents”

La situation institutionnelle est contrariée par le dernier référendum et les discussions sur l’avenir du Caillou méritent qu’un instrument de presse, qui a déjà fait ses preuves et était apprécié par tous, soit aidé. L’absence de réaction des politiques pose problème. Aucune déclaration de soutien aux salariés ni à l’organe de presse créé en 1971 : son acte de décès a été acté dans un silence assourdissant. Malheureusement, la Dépêche de Tahiti a connu le même traitement.
Même pas les larmes de crocodiles que les politiques ont l’habitude d’afficher, dans pareille
situation.
Certes, les journaux sont fragiles financièrement. Sans doute qu’ils ont loupé le virage du numérique. Sans doute aussi qu’ils n’ont pas été assez à l’écoute du lectorat… Le résultat est terrible : la faillite.
L’arrivée des réseaux sociaux a fragilisé l’édition papier. Même l’édition numérique est menacée,
car les internautes ne sont pas soumis aux mêmes règles éditoriales de contrôle et de vérification de
l’information que les journalistes. Tout le monde devient journaliste sur internet, d’où la montée en puissance des fausses informations, voire de la diffamation, quand ce n’est pas franchement de l’insulte. Le dénigrement provient de beaucoup de courageux cachés derrière leurs
écrans. Curieusement, cet état de fait coïncide avec les difficultés de la presse ! Cette situation devrait pourtant alerter mais elle n’interroge personne.
Cependant, les politiques semblent se plaindre aussi de cette jungle qu’est devenue la toile. Les
opinions y remplacent les idées. Les élus sont malmenés, insultés, diffamés, mais demeurent
étonnamment sourds et aveugles devant ce drame que connait la presse, surtout en outre-mer.
Albert Camus disait que “le journalisme indépendant, c’est aussi un journalisme qui bouscule les pouvoirs et le public en lui apportant des nouvelles qui vont le faire bouger. C’est notre responsabilité de journaliste”. N’avons-nous pas manqué de courage ?

Karim Ahed