Salon des jeunes créateurs – “J’aimerais élever le tifaifai au rang de la danse tahitienne”

La robe en tifaifai de Rava Ray, maître artisane, a marqué les esprits lors d’un précédent salon des jeunes créateurs. Crédit : Rava Ray
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Le 3e Salon des jeunes artisans créateurs ouvre ses portes mercredi 22 mars, au Hilton hôtel Tahiti pour quatre jours. Organisé par le service de l’artisanat traditionnel, il a pour but de les encourager et de les mettre en valeur. Rencontre avec une jeune maître artisane, marraine de l’événement, Rava Ray, dont la robe en tifaifai a marqué les esprits lors d’un précédent salon.

Les premiers contacts de Rava Ray avec l’artisanat,  ”c’est à travers la danse”, lorsqu’elle doit confectionner ses costumes pour les spectacles. Elle a alors un peu plus de 8 ans et vient de s’installer à Moorea avec sa maman tahitienne après être née aux États-Unis d’un père américain et avoir passé le début de sa vie en France hexagonale. ”Je découvrais mes mains, j’apprenais ce qu’elles pouvaient faire avec la matière première prélevée dans la nature, le auti, les fleurs. Maman m’aidait à tresser. Je découvrais les aiguilles, le fil”, raconte Rava qui donnerait à n’importe qui envie de s’y mettre, tant elle dégage un charisme et un charme fous.

Et ça tombe bien parce que la jeune maître artisane de 33 ans est la marraine du 3e Salon des jeunes artisans créateurs qui s’ouvre mercredi 22 mars, au Hilton hôtel Tahiti. Elle aura pour mission – avec l’aide de trois autres parrains artisans, Tehina Manutahi (bijouterie traditionnelle), Iaera Tefaana (vannerie) et Heremoana Buchin (sculpture-gravure), et de deux autres membres du jury – de récompenser trois jeunes artisans exposants dont l’œuvre aura été évaluée en fonction de la technicité, du respect du thème, de l’originalité, du choix des motifs et des matières utilisées. Les visiteurs du salon seront aussi amenés à donner leur avis qui comptera pour 40 % de la note finale.

De Hawaii à Tahiti par amour

Si Rava Ray est devenue maître artisane depuis peu, son parcours pour y arriver n’a pas été un long fleuve tranquille. “À 11 ans, je pars vivre avec mon papa aux États-Unis (ses parents se sont séparés juste après sa naissance, NDLR) et je laisse de côté tout mon côté polynésien, donc le peu que j’avais touché de l’artisanat. Mon papa est très vieux jeu et pour lui, tout ce qui touche à l’art n’a pas beaucoup de valeur. J’ai alors entrepris des études d’économie pour lui, mais je lui ai demandé de les suivre à Hawaii pour retrouver la Polynésie. À cette époque, je confectionnais des bijoux que je portais lorsque je dansais dans les hôtels ou sur les paquebots. Des touristes ont commencé à vouloir m’acheter mes créations. Ça me donnait une validation.”

Rava Ray est une des marraines du 3e Salon des jeunes artisans créateurs, qui s’ouvre mercredi 22 mars au Hilton hôtel Tahiti pour quatre jours. Elle y tiendra aussi des ateliers de confection de tifaifai.
(Crédit : IG hellojeau)

Son diplôme d’économie en poche, Rava dit à son père que, maintenant, elle allait faire ce qui lui plaisait. “Il a accepté de me soutenir à la condition que j’aille dans une des meilleures écoles d’art au monde. Et c’est comme ça que je suis allée à Parsons à New York, tout en étant hôtesse de l’air sur Hawaiian Airlines.”

En 2018, pour le Heiva, Rava revient à Tahiti concourir avec Tahiti Rurutu Noa d’Olivier Lenoir. Elle sera 3e meilleure danseuse, cette année-là. Elle rencontre aussi son amoureux, tatoueur, et tombe enceinte. Elle se pose alors la question de savoir où elle veut accoucher, comment elle veut élever ses enfants. Ainsi, elle se réinstalle à Moorea et la crise Covid la fait démissionner de Hawaiian Airlines en 2021. Après la naissance de ses enfants, Rava se lance dans l’artisanat à 100 % et dans le tifaifai qu’elle a découvert à Hawaii auprès de deux grands maîtres du « quilting ». “Je me vois comme le véhicule d’un savoir-faire qui m’a été transmis.”

Robes de mariée en tifaifai

Commence alors le parcours administratif pour exercer en toute légalité. Elle ouvre une patente avec “la difficulté de comprendre comment le système polynésien fonctionne”.  “Il faut être entouré de personnes ressources afin de comprendre toutes les démarches parce que sinon je ne sais pas comment tu y arrives », avoue-t-elle. « Mais il ne faut pas se laisser décourager et arrêter l’artisanat à cause de ça.”

Rava sait où elle veut aller avec son art, qu’elle estime qu’il lui “est tombé dessus”. “J’ai envie de marier le monde du tifaifai avec celui de la mode.” Sa robe en tifaifai a d’ailleurs marqué les esprits lors d’un précédent salon des jeunes créateurs et en ligne. “Ces retours m’ont fait plaisir parce que pour continuer mon parcours d’artisane, c’est la validation dont j’ai besoin. Qu’on donne ainsi de l’amour à mon travail, ça m’encourage à créer encore et encore.”

Depuis cette première création, Rava confectionne notamment des robes de mariée en tifaifai et rêve de devenir la Vera Wang du Fenua, styliste américaine à la renommée internationale chez qui elle a travaillé lors de ses études connue pour ses collections de robes de mariée. Ainsi “j’aimerais élever le tifaifai au rang de la notoriété de la danse tahitienne”, conclut-elle.

En attendant, vous pourrez retrouver Rava Ray qui animera des ateliers de confection de tifaifai lors du 3e Salon des jeunes artisans créateurs.

T.I.

De la difficulté d’être artisan

• Fixer un prix

“En tant qu’artisan, c’est difficile de donner un prix à ce que nous créons. Au fond de nous, nous savons la valeur qu’ont nos créations, mais quand tu débutes l’afficher reste difficile parce que tu as peur du retour des clients. Puis, tu prends ta place dans le monde et tu n’as plus peur.”

• Se séparer de ses créations

“La première fois que j’ai vendu un collier en ligne sur mon site Internet, j’ai ressenti une grande tristesse parce que je ne voulais pas me séparer de mon travail. Je pense que tous les artisans passent par là aussi. Il faut vraiment prendre conscience qu’au début, tu crées pour toi, mais qu’après, c’est pour les autres afin que ton art ait une place dans la vie des autres.”

• Vit-on de son artisanat ?

“Cela dépend de tes circonstances. Si tu vis seul, sans un soutien familial, je serais impressionnée que quelqu’un puisse en vivre. C’est trop dur. Les gens qui veulent continuer à voir de l’artisanat doivent nous soutenir avec leur chéquier. Une création que tu vends, c’est du temps passé à la confectionner, mais c’est aussi tout ce que tu dois faire pour la vendre : le marketing, la communication, la gestion des commandes, la comptabilité.”

Infos pratiques

  • 3e Salon des jeunes artisans créateurs
  • Au Hilton hôtel Tahiti
  • Du mercredi 22 au samedi 25 mars, de 9 à 18 heures, nocturne en accès libre vendredi 24 mars, de 18 h 30 à 21 heures
  • Exposition-vente, concours de créations, ateliers créatifs ouverts aux adultes (entre 2 000 et 6 500 F par personne, inscription par e-mail : developpement.art@administration.gov.pf, par MP sur la page Facebook Service de l’artisanat traditionnel)