Tribune – “Programmes économiques électoraux : éviter les pires erreurs” par Christian Montet

"Le supplément de croissance dont le Pays a besoin passe par une hausse significative des investissements publics et privés" estime Christian Montet.
"Le supplément de croissance dont le Pays a besoin passe par une hausse significative des investissements publics et privés" estime Christian Montet. (Photo : archives LDT)
Temps de lecture : 4 min.

“Les défis auxquels va se trouver confronté le gouvernement qui sortira des prochaines élections sont énormes. La Polynésie française souffre d’un sous-emploi chronique, avec un taux d’emploi (rapport des personnes ayant un emploi à la population en âge de travailler, de 15 à 64 ans) de seulement 53 %. Alors que ce taux atteint 58% en Nouvelle-Calédonie, 68% en France, 77% en Nouvelle-Zélande.

L’inflation, largement importée, vient en outre augmenter le coût de la vie, déjà structurellement élevé. Il est dès lors inévitable de voir plus du quart de la population souffrir de grande pauvreté. Par ailleurs, l’asphyxie du transport routier sur l’île de Tahiti, couplé à une défaillance des aménagements urbains, pénalise la mobilité des personnes et les activités industrielles et commerciales. Et à tous ces problèmes s’ajoute à présent l’urgence de la transition énergétique et de la prévention contre les effets du réchauffement climatique.

“Il faut plus de prospérité, plus de revenus, plus d’emplois”

Dans ces conditions, il faut de la témérité, un sens aigu du bien public, voire une certaine inconscience, pour se lancer dans la course à la gestion des affaires publiques. Mais si l’on ne doute pas de la bonne volonté des différents candidats, il serait dommage d’appliquer dans quelques années aux heureux élus la formule que Robert Louis Stevenson réserve à un de ses personnages de roman : “il voulait bien faire, essaya un peu, échoua beaucoup”.

On souhaiterait évidemment qu’ils essaient beaucoup, et surtout qu’ils réussissent un peu. Car s’il est vrai que Stevenson était malgré tout indulgent avec son personnage, les économistes le sont moins face aux politiques économiques ratées, les plus fondés à se plaindre étant les plus démunis de nos concitoyens, les sans-emplois, tous ceux qui font les frais de ces mesures mal conçues, voire calamiteuses.

La pêche aux bonnes idées est ouverte, au-delà même des partis en course comme en atteste le Livre blanc que vient de présenter le Medef. Un constat semble faire l’unanimité : pour faire face aux défis du moment, il faut plus de prospérité, plus de revenus, plus d’emplois, bref des suppléments de croissance économique.

Mais rares sont les programmes qui traduisent les efforts à réaliser pour obtenir ce choc de croissance. Or le régime de croisière donnant 1% à 2% de croissance réelle de l’économie polynésienne ne peut pas suffire. Le supplément de croissance dont le Pays a besoin passe par une hausse significative des investissements publics et privés.

Pour les premiers, l’urgence est à la réalisation de gros investissements dans les infrastructures de transport, notamment pour fluidifier la circulation à Tahiti, faciliter la mobilité des entreprises et des ménages, ouvrir de nouvelles ressources foncières, autant de facteurs puissants de croissance.

Pour les seconds, tout doit être tenté pour faciliter la vie des entreprises, pour les inciter à investir, à développer leurs activités, à entrer sur des marchés nouveaux, parfois trop verrouillés. Il ne s’agit pas nécessairement de distribuer des subsides, pas toujours bien ciblés, ni équitablement distribués.

En revanche, il serait urgent de se pencher, si possible de façon trans-partisane et éclairée par des experts indépendants, sur l’inefficacité de nombreuses réglementations, dont les finalités sont parfois douteuses et les effets désastreux sur l’investissement et la prise de risque entrepreneurial.

“En finir avec les pseudo-recettes dont on a pu observer les échecs répétés”

A cet égard, il serait au moins heureux d’en finir avec les pseudo-recettes dont on a pu observer les échecs répétés. La palme des mauvaises idées en ce domaine revient certainement à la liste qui souhaite une participation accrue de la puissance publique dans de multiples domaines de la vie économique, depuis l’approvisionnement en hydrocarbures jusqu’à la gouvernance des hôtels.

Le désir de bien faire n’est pas en cause et l’envie de “tenter beaucoup” est louable. Mais l’échec est en tout point garanti, comme nous l’enseigne à la fois la théorie des incitations économiques et surtout l’expérience accumulée des économies fortement administrées par les gouvernements.

Cela ne veut pas dire que ces candidats n’aient pas identifié de réels problèmes, mais il existe de meilleures façons de les résoudre. Pour l’approvisionnement en hydrocarbures par exemple, si problème il y a, mieux vaut encourager la concurrence, voire organiser des systèmes compétitifs d’enchères plutôt que d’acheter un bateau en espérant un hypothétique management public efficace de la ressource, voire enfin envisager une régulation par un régulateur indépendant s’il s’avérait que la concurrence ne puisse pas fonctionner aisément dans ce secteur.

Une autre erreur à éviter, que l’on retrouve pourtant dans plusieurs programmes en compétition, consiste à croire que les blocages de prix, voire des marges, sont susceptibles de combattre la vie chère et l’inflation.

“L’intrusion du politique dans le management des entreprises (…) se révèle pire que le mal”

Cette intrusion du politique dans le management des entreprises peut donner une illusion de réussite à court terme, mais se révèle pire que le mal à plus longue échéance. Ces contrôles et blocages mettent à mal le rôle du prix comme signal de rareté relative et faussent donc les incitations des consommateurs à se détourner vers des produits plus avantageux et celles des producteurs à augmenter leur production.

A terme, il n’en résulte que des distorsions inefficaces des marchés, voire des pénuries qui alimentent l’inflation future. Comme l’écrivait récemment Emmanuel Combe, ancien vice-président de l’Autorité de la concurrence française : “Le prix joue en économie le rôle d’un thermomètre […]. Bloquer le thermomètre ne change rien à la pénurie […]. Pire encore le blocage des prix exerce un effet désincitatif sur l’offre. Il alimente les stratégies de contournement […]. Enfin la sortie du blocage des prix est toujours un moment périlleux, avec de forts effets de rattrapage.” (Les Echos, 2 juillet 2022).

Même la simple instauration de taux de TVA zéro sur les produits dits de première nécessité (PPN) se révèle depuis longtemps un mauvais moyen de maintien du pouvoir d’achat et de redistribution en faveur des plus démunis. Pourtant plusieurs listes proposent encore l’allongement de la liste de ces PPN, comme si l’on ne connaissait pas les effets pernicieux de ce système.

À “tenter peu”, autant essayer quelques mesures ayant une plus grande probabilité de succès. Il en existe certainement dans la grande pêche aux idées.”

Christian Montet, Professeur émérite de sciences économiques, Université de la Polynésie française.