Expert en géopolitique et en intelligence économique, Alain Juillet a animé, mercredi 5 avril en soirée au cercle mixte interarmées de Taaone à Pirae, une conférence pour l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), à l’invitation de son président en Polynésie française, Stéphane Boutheon.
Président de l’Académie d’Intelligence Economique, président du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises (CDSE) de 2011 à 2017, Alain Juillet a dirigé de nombreuses entreprises françaises et étrangères avant d’être nommé Directeur du renseignement à la DGSE de 2002 à 2003. Il a ensuite occupé jusqu’en 2009 les fonctions de Haut responsable à l’intelligence économique, rattaché au Premier Ministre. La Dépêche de Tahiti lui a posé quelques questions.
Quelle est la raison de votre présence à Tahiti ?
Ca fait longtemps qu’on l’on me demandait de venir animer des conférences à Tahiti, en particulier ce mercredi pour l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Jeudi j’ai un rendez-vous avec le Medef, et d’autres conférences pour des services de l’Etat. C’est un voyage long, et j’ai essayé de joindre l’utile à l’agréable en prenant contact avec beaucoup de responsables en Polynésie française, pour essayer d’esquisser une analyse de la situation polynésienne à la veille d’une importante échéance électorale.
Quels sont les grands thèmes que vous abordez ?
Partant de ce que nous appelons l’intelligence économique, la recherche et l’utilisation du renseignement pour aider les décideurs dans le monde de l’économie, j’évoque ce qui se passe dans l’Indo-Pacifique avec les mutations, les rapports de force qui sont en train de s’installer entre les différentes grandes puissances. Et donc les conséquences que cela peut avoir, les relations avec la Chine, avec les Etats-Unis. Toujours avec le souci de rester dans l’intelligence économique : il faut bien expliquer que nous sommes dans une compétition mondiale dans laquelle on est obligés d’être informés si on veut pouvoir gagner. Aujourd’hui, celui qui n’a pas les bonne informations ne peut plus gagner dans la compétition, il faut ouvrir les yeux.
Pour les territoires insulaires du Pacifique, notamment la Polynésie française, est-il aujourd’hui possible de ne pas s’aligner sur une position plutôt pro-Washington ou pro-Pékin ?
Oui, mais ça ne signifie pas que l’on est contre ou que l’on est pour. En revanche, il fait bien connaître les autres pour comprendre comment on peut trouver sa place dans la compétition moderne. Chacun doit trouver son bon positionnement. Pour pouvoir agir au mieux, il est essentiel de connaitre ses adversaires mais aussi ses partenaires. SI vous ne connaissez pas ceux qui sont autour de vous, vous faites des erreurs. Aujourd’hui, la Polynésie française a une position centrale dans le Pacifique, c’est véritablement une zone très importante sur le plan stratégique. Elle doit évaluer comment bien tirer son épingle du jeu dans cet environnement.
Ce glissement géopolitique vers le bassin Indo-Pacifique était annoncé depuis longtemps et il est devenu réalité. Quel regard portez-vous sur le dossier du projet chinois de ferme aquacole à Hao dans ce contexte, qui a été copieusement critiqué par le président Macron ?
Dans ce type d’affaires-là, il faut regarder tout ! Il faut rechercher des renseignements sur l’ensemble de la problématique. Au départ, il faut considérer le dossier Hao comme un dossier géostratégique. Hao, c’est l’escale pour que les avions chinois puissent aller en Amérique du sud et revenir. C’est ça la clef. Si vous ajoutez derrière qu’à partir du moment où il y a une escale d’avions il y a des desseins stratégiques, il ne s’agit pas de “desseins inavoués” mais d’objectifs que des grandes puissances ont tout intérêt à développer. La Polynésie française, et la France, doivent comprendre ce que cela signifie.
Dans ce cas, peut-on parler de “déficit d’intelligence économique” pour le dossier qui concerne l’atoll de Hao ?
Absolument, la-dessus il n’y a pas l’ombre d’un doute. C’est pour cela que le Président de la République est intervenu, en disant “attention” lors de sa visite en Polynésie française, ce qui est logique. (…) L’économie est en effet une compétence du Pays et de je ne le remets absolument pas en question. Toutefois, quand vous travaillez ensemble, vous pouvez prévenir un partenaire d’un danger. Ce n’est pas parce que ce n’est pas de sa compétence que l’Etat ne doit rien dire et laisser la collectivité s’enferrer dans un choix qui n’est pas forcément le bon. (…) Chaque territoire a sa spécificité, mais il existe des problématiques communes aux collectivités d’outre-mer.”
Propos recueillis par Damien Grivois.