
“Si tu crois connaître la Polynésie française, c’est qu’on te l’a mal expliquée !”
J.M Regnault dans “Tahiti tu connais ?”
Les débats télévisés à la suite de ce premier tour des élections territoriales ce 16 avril 2023 ont
démontré que le clivage entre autonomistes et indépendantistes a la dent bien dure et surtout bien limée. Les résultats provisoires publiés en soirée par les services du Haut-Commissariat indiquaient une nette avance du parti bleu ciel, victoire sans contestation possible puisqu’un écart de 5% sépare les deux grands partis du pays.
Pourtant, le parti rouge, au lieu d’admettre la défaite et de chercher les causes réelles de cette
déconfiture (malgré les tavana, malgré le bilan de la mandature) se lance dans la diabolisation du parti bleu ciel et entend alerter sur les risques d’une indépendance synonyme, selon lui, de plongeon dans l’inconnu… et la crise économique. Pourtant, l’autonomie est déjà une souveraineté déguisée, avec son drapeau, son hymne, sa monnaie, ses “lois de Pays” et même ses décorations…
Les vrais thèmes de cette campagne sont la vie chère, la question de l’emploi, la santé, le logement… Les partis qui ont traité ces sujets ont su séduire l’électorat.
Le spectre de l’indépendance pour ceux qui n’ont rien, ne possèdent rien, ne sont respectés en rien… n’agit pas tellement ! Car rien à perdre, mais beaucoup à espérer. En outre, ils se déplacent souvent pour voter ! La taxe de 1% dite TVA sociale, la taxe immobilière démagogique de 1000% pour plaire à l’électorat indépendantiste ont fait déserter quelques chefs d’entreprise qui ont commencé à préférer
l’original à la pâle copie.
L’usure du pouvoir rend sourd et aveugle, et provoque le désamour de la population. L’histoire se
répète et son enseignement ne sert malheureusement pas de phare pour orienter nos dirigeants.
Ce fut le cas, jadis, pour Francis Sanford et pour Gaston Flosse. Aujourd’hui, si des mesures ne sont
pas prises dans les 15 jours qui arrivent, cela risque d’être aussi le cas pour Edouard Fritch. Il est peut-être même déjà trop tard.
Le Tapura a de nouveau misé sur la stratégie des tavana en position éligible, y voyant le gage d’une réélection facile. Mais le principe a démontré ses limites. Le cumul des mandats, le non-renouvellement de la classe politique ont érodé le parti rouge sans que personne n’y prenne garde. Surtout, le Tapura a sous-estimé l’impact négatif de sa gestion critiquée de la crise Covid-19 et en particulier des images du mariage de Tearii Alpha à Papeari…
Les maires proches du Tapura battus aux législatives, puis aux territoriales, risquent de ne pas avoir le sommeil tranquille… Huit grandes communes de l’archipel de la Société ont donné leur préférence au Tavini huiraatira d’Oscar Temaru ! En effet, le grand parti autrefois dominant n’a pas de réserve de voix pour le deuxième tour, à moins de mobiliser le grand parti des abstentionnistes. L’équation parait difficile, et le Tapura n’a pas dans sa besace de professeur de mathématiques pour la résoudre.
A Here Ia Porinetia est qualifié pour le deuxième tour, le jeune parti a déclaré qu’il se maintient pour tracer son sillon. Le parti de Nuihau Laurey tient à son programme et entend le mettre en œuvre, en homme libre, à l’instar de Moetai Brotherson, sans contrainte ni alliance.
Le Ia Ora Te Nuna de Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau, tout comme le Amuitahiraa de Bruno Sandras/Gaston Flosse sont non-qualifiés à l’issue de ce scrutin. Vu le degré de rancœurs et de malentendus (pour rappel, les insultes à l’assemblée), une consigne de vote en faveur des rouges paraît improbable.
La digue “indépendance/autonomie” a bien cédé et c’est heureux. La population a besoin d’un débat
serein sur son futur, sur sa culture, sur l’orientation économique du Pays, sur les choix de l’école…
René Magritte, peintre surréaliste, démontrait que même une pomme peinte avec une extrême précision, “n’est pas une pomme”. Juste une image “que nous pouvons croquer”. Il en va de même pour un discours ou une promesse électorale : tant qu’ils ne sont pas réalisés, cela
reste du domaine de l’abstrait. Le politique doit être plus proche du réel que de l’idéal.
Karim Ahed