Justice – “Quand c’est de la bière ça va, mais rhum et whisky ça se passe mal”

La présidente du tribunal s'étonne que l'homme continue de boire autant car il sort de deux ans de soins issus de sa dernière condamnation. (Photo YP)
La présidente du tribunal s'étonne que l'homme continue de boire autant car il sort de deux ans de soins issus de sa dernière condamnation. (Photo YP)
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Un couple de la Presqu’île se présente une nouvelle fois au tribunal le 24 avril 2023. Depuis leur rencontre en 2012, c’est la 4ème fois que l’homme est condamné pour des violences légères sur sa concubine. En comparution immédiate pour des faits du 22 avril, il écope d’une nouvelle peine de six mois de prison avec sursis, et une obligation de soins “renforcée” pour lutter contre de graves problèmes d’alcool.

L’homme de 34 ans, crâne rasé, porte un t-shirt vert floqué du nom d’un célèbre surf-shop local. Il pourrait presque poser pour leur publicité. Dès les premières questions de la présidente du tribunal, on constate qu’il a du mal à s’exprimer à la barre. Le traducteur prend le relais, on réalise alors que ça n’est pas la langue le problème…
Ce samedi, il ne rentre pas juste saoul au domicile, ce serait “normal”… Il rentre particulièrement saoul. L’éthylotest affiche encore plus de deux grammes d’alcool dans le sang une bonne heure après les faits. Il reconnaît avoir souvent envie de boire, et quand ça le prend, il ne peut pas s’arrêter.

– “Qu’aviez-vous bu ce jour-là ?” lui demande la présidente du tribunal.
– “Trois bouteilles de whisky, pas de mélange” répond-il instinctivement.

C’est le premier demi-tour soudain de son avocate en sa direction, le regard à la fois sévère et désabusé. Des demi-tours ou des sursauts de son conseil, il y en aura beaucoup d’autres. La franchise et la naïveté saupoudrée de bêtise du prévenu donnent en effet lieu à une discussion avec la présidente à la fois très honnête pour le tribunal, mais presque gênante pour qui voudrait le défendre.

La présidente du tribunal s’étonne que l’homme continue de boire autant. Il sort de deux ans de soins issus de sa dernière condamnation et a suivi toutes ses obligations, le rapport du service de probation est même élogieux.

À propos de ce suivi, la magistrate lui demande : “Ça ne t’a pas fait réfléchir sur ta consommation d’alcool ?”

“Non”, se contente de répondre l’homme au regard totalement perdu. Elle lui rappelle ensuite qu’il a déjà été averti, condamné à du sursis. Il savait qu’il risquait la prison la fois suivante. Même question : “Ça ne t’as pas fait réfléchir non plus ?”. Même réponse : “Non”.

Elle l’aime toujours et veut rester avec lui

À la barre, la victime confirme le rapport des gendarmes et du médecin. Lui ne se rappelle de rien ou presque. Il rentre donc fin bourré. Il sent fort l’alcool, elle lui demande d’aller se laver, il jette son linge sale par terre…

Sur les raisons de la dispute, on n’en apprend pas plus. La cause, “c’est l’alcool”. Il l’attrape par les cheveux et ne veut plus la lâcher, elle le frappe pour qu’il cède, ils échangent quelques coups, mais rapidement la famille les séparent. Bilan pour la victime, un jour d’interruption temporaire de travail (ITT).

Elle décrit son mari comme un bon père, quelqu’un avec qui il n’y a pas de problème. Non pas quand il est sobre -ce serait inédit-, mais quand il se contente de boire de la bière. À l’écouter, les disputes ne sont pas si nombreuses : “tous les trois ou quatre mois” dit-elle à voix basse. Elle confirme à la présidente du tribunal qu’elle veut rester avec lui et ne demande aucune compensation.

La procureure revient sur le rapport du service de probation et d’insertion sur le prévenu. “Un suivi de façade” pour la représentante du ministère public qui demande 18 mois de prison dont 10 avec sursis, avec mandat de dépôt pour la partie ferme “pour qu’il prenne conscience de ce qu’est Nuutania”.

L’avocate du prévenu, à l’inverse, s’appuie sur ce rapport élogieux et une obligation de soins qui, selon elle, a fonctionné, car il n’y a pas eu de faits commis pendant celle-ci. Elle rappelle qu’on parle d’un tirage de cheveux et espère que le tribunal lui évite la prison et remette plutôt en place un cycle de soin pour un homme face à la maladie : “le vrai alcoolisme”.

Le tribunal semble donner raison à la défense. L’homme est condamné à six mois de prison avec sursis probatoire “renforcé” pendant deux ans pour traiter son addiction.

Compte-rendu d’audience : Y.P