Hommage au peintre Michel Ko, « solitaire et prolifique »

ACL Archives LDT 2015 Michel Ko
Michel Ko dans l'escalier menant à son fare d'artiste, à Faaone (Photos : ACL/LDT Archives).
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Décédé en février

« Michel Ko : 8 juin 1948-14 février 2023 ». Yeni, artiste clown de la Presqu’île, a partagé mercredi 26 avril 2023, la triste nouvelle sur les réseaux sociaux, invitant tous ceux qui connaissaient Michel Ko à lui rendre hommage et dignité. Elle a découvert la disparition de son ami et artiste peintre plus de deux mois après son décès à son domicile, où il aurait été retrouvé quelques jours plus tard, à l’âge de 74 ans. « On se rencontrait régulièrement à Carrefour Taravao. Avant, j’étais sa voisine au Fare Nanao à Faaone et on mangeait une fois par semaine ensemble avec mes enfants à son atelier. C’était toujours un bon moment ! Avec les amis de mon groupe d’artistes, nous sommes encore sous le choc de la nouvelle. C’est en voulant lui rendre visite que j’ai appris qu’il était parti », relate son amie au sujet de ce départ à l’image du peintre, discret et solitaire. « Il m’avait offert un petit tableau sur lequel il avait écrit « Si tu le sais, ne le dis jamais », mais là, je ne pouvais pas me taire : je le sais, je dois le dire », poursuit Yeni, qui regrette de ne pas avoir pu assister à l’enterrement de son ami.

Archives LDT 2015 Michel Ko
“L’art, c’est la rencontre de son destin”, avait-il signé l’une de ses œuvres.

« C’était quelqu’un d’exceptionnel »

Pour l’artiste-peintre Sabrina Birk, également résidente de la Presqu’île, l’émotion est encore vive. Elle se souvient de Michel Ko comme un homme et un artiste atypique. « Il avait cette sympathie de toujours aller soutenir les jeunes artistes comme moi, à l’époque. Il m’accompagnait quand je faisais des expos en dehors des murs, dans la nature. Au jardin botanique, il m’avait aidée à installer mes toiles et on avait passé la journée ensemble. C’était un artiste contemporain qui aimait ce qui sortait de l’ordinaire. Il était accessible, mais aussi solidaire et très prolifique. Il peignait beaucoup et, ce qui est magnifique, c’est que son art questionne. Il interroge avec ses œuvres et chaque tableau a une histoire. Ce ne sont pas des tableaux cartes postales… Il accompagnait toujours ses œuvres de quelques mots, comme des devinettes. Ce n’était pas un artiste commercial. Il refusait parfois de vendre ses œuvres, même s’il était dans le grand besoin. C’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel », nous a-t-elle confié.

Michel Ko est enterré au cimetière d’Afaahiti-Taravao. Aidée par d’autres artistes, son amie Yeni a prévu de nettoyer sa tombe, une butte de terre sommaire sur laquelle elle prévoit d’ajouter une pierre sculptée pour que le nom de Michel Ko ne tombe pas dans l’oubli. Une cérémonie d’hommage devrait également être organisée à son initiative dans les prochains jours.

Il y a quelques années, Michel Ko avait reçu La Dépêche de Tahiti, qui lui avait consacré un portrait. Afin d’honorer sa mémoire, nous tenions à vous partager cet article, publié il y a tout juste huit ans, dans notre édition du vendredi 24 avril 2015 :

Rencontre : le peintre symboliste nous a entrouvert la porte de son atelier

Dans l’intimité picturale de Michel Ko

Michel Ko réside depuis cinq ans à Faaone, dans une maison-atelier perchée dans les arbres. L’artiste peintre, qui a notamment exposé à l’international, puise son inspiration dans les événements du quotidien. Papier, carton, toile, et plus récemment palme de cocotier, la créativité de l’artiste est sans limite.

Michel Ko dans son atelier, en 2015.

Difficile à deviner depuis la route. Située à Faaone, la maison de Michel Ko est perchée dans les arbres, entourée d’une multitude d’escaliers, tantôt de bois, tantôt de pierre, permettant d’y accéder, avec cette impression étrange, en grimpant vers le ciel, d’accéder à un autre monde. Construite par son ami et collègue, le sculpteur Jean-Claude Michel, cette cabane en pleine nature accueille également l’espace de création de l’artiste peintre depuis cinq ans. S’il a exposé ses œuvres à Paris ou à Barbizon, mais aussi au Chili, aux Etats-Unis, ainsi qu’à Tahiti, Michel Ko a « pratiquement toujours vécu en Polynésie française ». Très discret, l’artiste a accepté de nous entrouvrir la porte de son atelier et de nous livrer une part de son intimité picturale.

L’inspiration à foison

D’emblée, Michel Ko donne le ton : « Pour moi, un peintre, c’est quelqu’un d’intemporel. Maintenant, les gens veulent être de ce petit village, de cette bourgade ou de cette région… au détriment des œuvres ! C’est pour ça que je ne dis jamais d’où je viens, qui je suis, ou mon âge ; je suis simplement un peintre, mais avec un cœur d’humain. Il y a beaucoup de peintres qui ont fait des choses en fonction de leur renommée. Il ne faut jamais faire ça ». On pourrait penser, à tort, qu’il est facile pour un artiste de parler de sa propre personne. C’est davantage au travers de ses œuvres que Michel Ko se livre et se dévoile, par bribes, en fonction de ses rencontres, de ses lectures, de l’actualité aussi, mais surtout de la réalité du quotidien. « La peinture, pour moi, c’est 80% cérébral, et 20% manuel. Et c’est ça qui fait la différence entre les gens qui barbouillent, sans avoir une pensée, et les gens qui peignent. Tous mes tableaux ont une histoire, même le moindre petit tableau », observe-t-il. Le peintre, en effet, ne manque pas d’inspiration. Son atelier est à la fois un espace de création, avec son lot de tubes de peinture, et une galerie, avec un nombre incalculable d’œuvres exposées ou entreposées, des feuilles volantes pincées sur un fil aux encadrements. « Il y a plein de tableaux partout », confie Michel Ko, contraint d’en stocker beaucoup d’autres chez des amis, à Taravao, par manque de place, mais également pour protéger ses créations des dégradations causées par l’humidité. Dans une boîte, l’artiste conserve précieusement ses esquisses comme autant de premiers jets intuitifs, d’authentiques tableaux miniatures baptisés « good luck » ou « passeport pour la chance », qu’il offre au gré de ses envies, agrémentés de quelques mots, comme un mantra du jour à méditer.

Toutes les couleurs de la vie

D’ailleurs, si l’on prête un peu plus attention à ses œuvres, on s’aperçoit que l’artiste laisse derrière chacun de ses tableaux un message, une lecture au verso qui vient compléter la compréhension du recto de la toile. Entre ces traits noirs dominants et ces aplats de couleurs variées, avec une préférence marquée pour le vert et le bleu, on pourrait tenter d’esquisser certaines comparaisons avec ses aînés. Mais c’est encore Michel Ko qui en parle le mieux, en évoquant notamment Van Gogh et Modigliani. « Ils sont comme des frères, de vrais frères d’armes », explique-t-il, avant de préciser : « Mon arme, c’est un pinceau ». Frères d’armes ou frères d’art, une chose est sûre, c’est leur personnalité en tant qu’hommes qui semble avoir profondément marqué l’artiste : « Ce n’est pas que je veux leur ressembler, c’est le mythe qui m’intrigue ». Ce rapprochement permet de faire un pas de plus dans l’univers du peintre, qui tend à se livrer davantage. « Je suis un peintre symboliste. Tahiti, dans le monde entier, c’est un symbole. De gaieté, même si ce n’est pas toujours vrai », reprend Michel Ko. Puis d’ajouter : « Il y a beaucoup de peintres dans le monde qui sont très pessimistes. Je suis pessimiste, mais mon côté polynésien remonte à la surface et l’optimisme revient. Mélangé au pessimisme, c’est ce qui fait ma peinture, et c’est ce qui fait la vie ». De l’art à la philosophie, il n’y a qu’un pas. Une réflexion portée par la créativité fait d’ailleurs dire à l’artiste que « le mauvais génie, pour l’art, ce sont les gens de bon goût ; c’est parfois mieux de ne pas avoir de culture pour aller voir des peintures, parce qu’on arrive net de tout a priori ».

Parmi ces dernières créations, Michel Ko sort du cadre de la toile pour fixer ses couleurs sur la base séchée des palmes de cocotier, qui prennent des allures de masques. L’imagination du peintre semble sans limite. S’il n’a pas de nouvelle exposition en vue, il a pour la Presqu’île « un projet insensé », celui de réunir les artistes locaux en un même lieu ; « une émulsion d’âmes » dont l’objectif serait de valoriser la création, sous toutes ses formes.