Tribune – “Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde”

(Photo DGEN)
Temps de lecture : 2 min.

“Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde” (A. Camus)

Le soir du 25 avril j’ai écouté le débat en tahitien entre les représententants des Rouge, Vert et Bleu. Entendre d’aucuns se revendiquer avec fierté d’une langue qu’ils massacrent est douleur.

“La langue est un trésor déposé par les ancêtres” (de Saussure).

Si les ancêtres tahitiens ont utilisé des mots de l’étranger pour désigner des matériaux et concepts de l’étranger comme ‘āuri = iron = fer, Piritane = Britain, c’est normal.  

La substitution des mots océaniens par des mots popa’a mal prononcés relève de la mise sous influence, d’une stratégie de déstabilisation mentale de conversion sectaire. Truquer ce “trésor” en le truffant de mots dépourvus de sens a permis de parachever la fragilisation mentale des survivants endeuillés et traumatisés par les épidémies mortelles introduites.

Le candidat bleu à la présidence du Pays préconise d’enseigner les disciplines comme  la biologie  en tahitien. Pourquoi pas ? Biologie signifie “discours sur le vivant”. Mais si par un avéré et constant mépris de la pensée tahitienne, on se contente de remplacer des consonnes du mot d’origine grecque par d’autres lettres pour faire tahitien du genre “piotoria” en ajoutant des tārava par ci par là, c’est le grand n’importe quoi qui continue.
En effet: le mot Polynésie signifie “Plusieurs îles”. Une traduction juste donnerait: “Motu rau“. Pourquoi Pōrinetia qui n’a aucun sens ?

Le mot “Politique” signifie “Gestion de la cité”. Une traduction juste donnerait : Fa’aterera’a nuna’a ou ‘oire. Les débats politiques auraient une autre dimension si les mots avaient un sens. Car le discordant poritita ne signifie rien.

Idem pou ‘Uitiē pour “Huissier” qui aurait pu être traduit Ti’a ha’avāra’a = Représentant de Justice.

Que dire d’Ōtōnōmī  = “autonomie”!! qui selon l’Académie tahitienne caractérise “pour la Polynésie… une situation de dépendance partielle par opposition à Ti’amāra’a, qui désigne l’indépendance totale”… Les concepts européens “autonomie”, “indépendance” semblent aussi incompris des académiciens que “politique”. Nous sont livrées des interprétations personnelles tendancieuses de gens mal informés ayant négligé de chercher dans un dictionnaire la définition exacte de mots français!

Grand-mère Maraetafa’a est ma référence en langue tahitienne. Quand je salissais un endroit ou quelque chose et partais sans nettoyer derrière moi, elle me rappelait :

  • “Haere mai! Titi’o ‘oe, fāiru i tō ‘ohure, ‘e ti’amā ia ‘oe”
  •  “Viens! Quand tu défèques, essuye toi le derrière, ainsi tu te tiendras fièrement debout.”

Pour elle, le statut de ti’amā ne s’obtient que si on assume ses actes et besoins et nettoie derrière soi. L’on ne peut être fièrement debout que si on a le cul propre.

La liberté c’est être sans entraves: vī ‘ore.  

L’indépendance, c’est couper tout lien = tāpu te taura ta’amu.

Fa’ata’a’ēra’a = séparation, divorce.

Au moment d’une séparation ou d’une prise de responsabilité, chaque mot pèse. Autrement c’est embrouiller les esprits, semer la confusion, manipuler, égarer.

Exigeons de nos politiciens des mots justes dont le sens précis est connu de tous.

Notre Académie doit travailler autrement.

Ainsi, journalistes, enseignants et tous disposeraient d’outils de langage permettant l’élaboration de pensées justes et variées où les malentendus seront bien moindres.

Ainsi serait crédible la proposition bleue d’écoles à la bretonne ou à la basquaise.

‘Ia maitai’

Simone Ta’ema Grand