Tribune – “Et l’on passe au bleu !” par Simone Grand

Lessiveuses à Papeete.
Blanchisseuses à Papeete en 1907. (Fragment de cliché Médiathèque historique de Polynésie.)
Temps de lecture : 2 min.

“Passer au bleu” est une expression d’avant le lave-linge dont l’invention fit disparaître une servitude féminine. Ses inventeurs, bienfaiteurs de l’humanité ne sont jamais célébrés. Bizarre.

À Papeete, près du parc Albert, un lavoir couvert accueillait les blanchisseuses, armées de battoirs, planches à laver, brosses, savons, poussant leurs brouettées de linge. Mais les rivières furent les principaux ateliers de blanchissage de 10h du matin quand le soleil avait tiédi l’eau jusqu’aux environs de 16h.

Dans la dernière eau de rinçage de linge jauni, une petite boule bleue indigo, enserrée dans un carré de tissu, était légèrement secouée. L’eau en bleuissait, teignant légèrement le blanc rendu lumineux.

Le passage au bleu aura-t-il le même effet en politique ?

Notons que malgré l’interdiction de joyeusement voter au son harmonieux des guitares, ukulele, to’ere et pahu, les sourires ont prévalu dans la morosité coincée imposée.

Quand on constate les effets de cette grisaille de triste ennui sur les politiciens nationaux, ça craint vraiment. Un an plus tard, le perdant en appelle encore à l’insurrection aux sons de discordantes frappes sur casseroles.

Pourquoi la musique tahitienne les jours d’élections dans nos îles est-elle illégale et le tintamarre métallique tous les autres jours légal dans l’Hexagone?

Nos politiciens ont jusqu’ici fait preuve de respect mutuel. Certes, au moment des résultats, des perdants ont imité Gavroche : “Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau… Et le pactole s’envole c’est la faute à Nicole! ‘Ua riro te mana hau, Te hape na Nuihau ” (le pouvoir nous est pris, c’est la faute à Nuihau).

Nul ne s’en étonne. Pas comme en 2004 où le fastueux repas de la victoire s’est transformé en piteux retour chacun chez soi. Le spectacle entièrement télédiffusé assaisonné de bafouillis journalistiques fut un moment mémorable.

Puisse ce gouvernement, ces élus et leurs assistants arriver à faire preuve d’imagination en cessant de copier la réglementation continentale sans réfléchir et sans tenir compte de notre réalité humaine façonnée par l’Histoire et la Géographie. S’y opposer systématiquement par principe ne serait pas judicieux non plus.

Une partie de notre population est piégée chez elle dans des rôles de quémandeurs honteux auprès de venus d’ailleurs qui se proclament au paradis. Cela peut être vécu comme une insupportable violence qui se déverse contre ses proches ou soi-même.

J’ai aussi habité en métropole, dans l’Hérault et le Gard où je fus adjointe au maire d’une petite commune rurale. Pour ces chaleureux villageois, les gens des villages alentours distants de 3km sont mutuellement qualifiés d’estrangers (prononcer toutes les consonnes).

Les pays indépendants du Pacifique interdisent toute cession de la terre qui appartient aux ancêtres. Un des résultats est que le développement économique ne s’y réalise pas ou mal. Aussi, les 2/3 de la population migrent en pays colonisés comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie, les îles Hawaii et les USA. Trouver un équilibre viable est un défi à relever

Ia maita’i

Simone Ta’ema Grand

PS. En métropole aussi la numérisation sans nuance avec suppression de tout contact humain et de filière papier engendre la colère et peut expliquer un certain désamour.