Attaque de requin en 2019, la touriste gravement blessée présente au procès en appel

Un requin longimane dit patata. (Photo : Michel Bègue/requinsdepolynesie.com)
Temps de lecture : 3 min.

Le 26 octobre 2021, une monitrice de plongée de Moorea était relaxée par le tribunal correctionnel des faits de “blessures involontaires supérieures à trois mois”, condamnée à une simple amende de 150 000 F pour un problème avec la licence du bateau. Deux ans plus tôt, lors d’une “sortie baleine” encadrée par cette monitrice hautement qualifiée, la victime s’était fait arracher un sein et ses deux avant-bras par un requin longimane, un parata. C’était, selon un expert, la première attaque de ce type enregistrée en Polynésie depuis près de 50 ans. 

Le 21 octobre 2019, la sortie est organisée par la monitrice patentée, dont les hautes références professionnelles sont tout de suite mises en avant par la cour. A la demande d’un groupe d’amis, résidents, qui accueillent une famille de touristes, elle se fait prêter un bateau et du matériel par le prestataire pour lequel elle travaille. L’objectif est d’aller observer, uniquement avec palmes, masques et tubas, baleines et dauphins. Mission accomplie dès la première mise à l’eau, au large de Maharepa. Au loin, une baleine et son baleineau, puis un banc de globicéphales qui font la joie de toute la palanquée, notamment le couple et leur enfant de onze ans. Un parata est observé sur la zone. C’est à nouveau le cas lors du second stop, un parata suit les dauphins, cela est connu de tous. “Ils ne mordent jamais”, entend-on sur le bateau. 

“C’est pas les dents de la mer”

Comme le font bon nombre de prestataires nautiques de l’île sœur, l’encadrante plaisante tout en rassurant. Il n’y a selon elle “jamais d’accident en Polynésie” avec ce type de requins. Selon un expert des squales interrogé par le tribunal, la dernière attaque de parata référencée dans nos eaux remonte à 1972. C’est pourtant bien ce qui arrive à la mère de famille de 35 ans. Alors qu’elle est légèrement en retard par rapport au groupe lors de la dernière session snorkeling, le parata de près de deux mètres attaque et s’acharne d’éternelles secondes sur la victime sous les yeux de ses proches restés sur le bateau. Elle s’en sort vivante, notamment grâce à l’intervention de deux infirmières sur le bateau qui pratiquent les premiers soins, d’importants garrots. La petite et frêle jeune femme a les deux avant-bras arrachés, ils tiennent encore miraculeusement, grâce à des lambeaux de peau, au bout des bras. Une autre violente morsure arrache un sein et une partie de l’épaule. La violence de l’assaut, la puissance des mâchoires, les cris, le sang, quelques minutes après l’ironie de la monitrice sur le film culte, c’est bien Les dents de la mer à Moorea. 

Une mère “privée de sa fille”

Opérée deux fois au Taaone juste après l’accident puis rapatriée à Toulouse, la mère de deux enfants enchaîne depuis les hospitalisations, déjà 15 opérations. Elle porte encore une prothèse, d’importantes cicatrices qu’elle assume en manche courte, des doigts et une bonne partie de la chair de ses bras en moins. Une femme forte et courageuse est à la barre, jamais elle ne perd connaissance ce jour-là. Ce qui la touche le plus, encore aujourd’hui, c’est dit-elle la manière dont son infirmité la prive de sa fille d’un an, restée en France à l’époque. Ses hospitalisations, l’impossibilité de se servir de ses mains, la faiblesse de ce qu’il reste de muscle lui ont lourdement confisqué la fabuleuse intimité d’une mère et son enfant.

Une monitrice traumatisée

Ce qu’on lui reproche, du côté des parties civiles et de l’avocat général, c’est un bateau à la licence de navigation expirée, et donc l’impossibilité d’obtenir l’autorisation d’aller observer les baleines. Mais avant tout, “une imprudence totale” et “des fautes caractérisées”, lors d’une sortie qui était bien commerciale et non privée selon l’avocat métropolitain de la victime.

La prévenue, immense et costaude, chemise de bûcheron, s’exprime avec une voix remplie de sanglots qui tranche avec son look, l’air encore dévastée. Elle sèche ses larmes et indique qu’elle a mis des années à se remettre à l’eau. Encore aujourd’hui, elle préfère être celle qui reste sur le bateau. Elle détaille la scène, son briefing, ses consignes, son discours sur la présence de cette espèce de requins. Avant l’attaque, la sortie est parfaite, les sourires partout. Elle répète qu’elle n’a, selon elle, commis aucune faute. Son avocat Maître Bennouar rappelle son expérience professionnelle, elle est une des 3 ou 4 personnes les plus diplômées du fenua, sans un seul accroc lorsqu’elle accompagne des plongeurs en quinze ans de carrière. 

Après une bataille entre les avocats des assureurs de la victime et de la prévenue, la Direction de l’environnement (DIREN) qui représente le Pays indique que l’accident n’a pas nui à la réputation de la Polynésie et à son image de destination touristique. Un témoignage aussi bref que surprenant, puisqu’il est dit l’inverse en première instance. L’avocat général, pour qui être resté à l’eau, en connaissant la présence de ces requins inquisiteurs et imprévisibles, est bien une grave faute caractérisée, demande à la cour de réformer la décision de relaxe de première instance et de condamner la responsable de la sortie à six mois de prison avec sursis et interdiction d’exercer pendant un an. 

“Si plonger avec les requins est interdit, bon nombre de clubs vont devoir fermer”

Une affirmation qui ouvre la plaidoirie de Maître Bennouar, qui montre au tribunal des photos promotionnelles de nombreux prestataires nautiques.Tous vantent justement le possible contact avec tout type de requins pour faire la promotion digitale de leur activité. Pour lui, on ne peut pas reprocher à une monitrice hautement qualifiée et respectueuse de toutes ses obligations de sécurité un accident “totalement imprévisible qui n’est pas arrivé depuis 50 ans”. 

L’arrêt de la cour sera rendu le 17 août 2023. 

Correspondance Y.P