François Pihaatae : “L’Eglise protestante maohi n’a soutenu aucun parti”

"La vision de l’EPM, c’est que ce changement politique aux Territoriales correspond à une régénération cyclique qui nous échappe" explique François Pihaatae, président de l'Eglise protestante maohi.
"La vision de l’EPM, c’est que ce changement politique aux Territoriales correspond à une régénération cyclique qui nous échappe" explique François Pihaatae, président de l'Eglise protestante maohi. (EPM)
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François Pihaatae, le vendredi
5 mai à Paofai.
(Photo : Damien Grivois)

Le pasteur François Pihaatae a succédé en 2019 à Taaroanui Maraea à la tête de l’Eglise protestante maohi (EPM), autonome depuis 1963.

Chaque année, lors de la clôture du synode, il présente des conclusions souvent très radicales, qui dénoncent “l’esclavagisme” pratiqué par l’Etat français, redoutent “l’immigration” des non-maohi et en appellent à l’instauration d’un “gouvernement de Dieu”.

Selon lui, c’est le Tavini, qui comme lui ne jure que par “Maohi Nui”, qui a repris dans son programme des thématiques chères aux Protestants. Entretien.

Le Tavini a remporté les Territoriales, est-ce une satisfaction pour l’EPM ?

“Oui dans le sens où c’est le choix du peuple. L’Eglise a sa vision des choses, à travers la culture, les écritures, c’est un enjeu où tout est interconnecté. Nous avons toujours dit, lors de nos rencontres avec le président Fritch, qu’il ne faut pas s’occuper que d’économie et de politique. La culture et la foi sont importantes au niveau du peuple, or ces deux aspects ont été négligés par l’exécutif sortant. Le peuple maohi est un peuple religieux. Les politiques le savent et ne se privent pas d’utiliser des versets de la Bible comme appâts dans leurs campagnes.”

Peut-on dire que la victoire du parti indépendantiste est également un peu celle de l’EPM ?

“Non, pas du tout. L’Eglise protestante maohi n’a soutenu aucun parti politique. Nous avons encouragé nos fidèles, qui sont présents dans toutes les familles politiques, à voter librement. Il peut exister des similitudes entre des positions du Tavini et le discours de l’EPM. Toutefois, devant l’ONU à New-York, on ne peut pas dire que l’EPM fait “front commun” avec le Tavini sur la question de l’autodétermination. C’est, je crois, la première fois qu’une Eglise met le pied dans un hémicycle politique. Nous allons devant l’ONU pour réclamer la reconnaissance de l’identité du peuple autochtone maohi. Ensuite, pour que l’ONU joue un rôle d’arbitre, Paris ne peut plus continuer à être juge et partie. Enfin, pour protéger les ressources qui appartiennent au peuple maohi et qui ont été accaparées par l’Etat français, sans oublier bien sûr le nucléaire.”

Une lutte pour l’autodétermination plus que pour la souveraineté ?

“Moetai Brotherson a bien indiqué que le vote en faveur du Tavini ne signifiait pas accéder immédiatement à la souveraineté, ni mettre quiconque dehors. C’est plutôt la reconnaissance de la liberté de se prononcer, en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Nous l’avons expliqué à l’ancien haut-commissaire Dominique Sorain ainsi qu’au nouveau, Eric Spitz, mais n’avons jamais reçu de réponse. Par exemple, le reo tahiti n’est pas la première lanque enseignée, alors que nous sommes en Maohi Nui, c’est anormal.”

“Nous ne sommes pas en France ici !”

L’EPM parle “d’accaparement des richesses” du fenua par l’Etat français. Le synode de l’EPM est allé jusqu’à parler de “servitude”, et même, je cite, “d’esclavagisme”. N’avez-vous pas le sentiment d’aller trop loin ?

“C’est un terme très fort, c’est vrai, mais il est adapté car c’est comme si le peuple maohi n’existait pas… Sur mon passeport, c’est marqué que je suis né à Papeari mais que je suis français. Alors que nous ne sommes pas en France ici ! Idem pour les Jeux olympiques 2024 : les épreuves de surf vont se passer à Teahupoo mais ça n’a rien à voir avec Paris. Nous sommes un peuple et voulons simplement être reconnus comme tel, sans avoir de préjugés envers les autres qui vivent également à Tahiti et dans les îles. Nous accueillons tout le monde mais il ne faut pas nier le peuple premier.”

L’Eglise protestante maohi, tout comme le Tavini d’ailleurs, condamne la colonisation dans son volet politique mais accepte très bien la colonisation religieuse…

“Les aspects négatifs de la colonisation ont été dénoncés par l’EPM. C’est vrai que la Bible a été amenée chez nous, accompagnée notamment de restrictions vestimentaires qui ont un peu dégradé la culture maohi. C’est pourquoi nous avons entamé un renouveau au niveau de l’Eglise. Il faut aussi rappeler que paradoxalement, c’est la bible traduite par Henri Nott qui a sauvé la lanque polynésienne. La Bible est notre guide au quotidien. Je n’accepte pas le discours selon lequel les Eglises doivent s’occuper de sauver des âmes et ne pas aller sur le terrain du social, etc. L’EPM est une Eglise par le peuple et pour le peuple.”

Il est pourtant souvent reproché à l’EPM d’intervenir sur le terrain politique…

“Oui bien sûr. Mais c’est l’Evangile qui nous pousse à faire ça ! Face à l’injustice sociale, face au partage inéquitable des richesses avec cet immense fossé entre les très riches et les très pauvres, l’Eglise ne peut pas rester immobile. D’ailleurs, je pense que l’EPM est un bon exemple. Nous n’avons pas de vrais salaires, et ce que nous touchons ne dépasse par les 100 000F/mois. C’est valable pour le président comme pour le pasteur sur un petit atoll des Tuamotu…”

“C’est le Tavini qui a repris nos thèmes…”

Vous dites appliquer la parole de l’Evangile. Avec ce même texte, d’autres Eglises du fenua n’en appellent pas pour autant à un “gouvernement maohi” ni ne protestent devant l’ONU…

“L’Eglise a un vrai rôle à jouer dans la société. Notre foi est là pour guider, un peu comme le phare de la Pointe Vénus ! C’est ce même message que nous avons passé à tout le monde. Et c’est le Tavini qui a repris nos thèmes, raison pour laquelle certains ont cru que l’EPM soutenait les indépendantistes. Les mêmes propositions ont été présentées à Fritch qui a répondu : “on comprend où vous voulez amener le peuple, mais on ne peut pas vous suivre.”

La devise du Tavini est “Te atua to’u fatu” (“Dieu est mon seigneur”) et ses bulletins de vote portent une croix chrétienne. Le mélange entre religion et politique est ici incontestable…

“C’est justement pour dire que les Polynésiens sont un peuple religieux ! Dans le cycle de la culture maohi, il y a cinq ères distinctes qui se succèdent. Elles ont été oubliées mais l’EPM les rappelle depuis 2020 : la période des dieux, la période des guerriers (Aito), la période des ancêtres (tupuna), la période des rois (Arii) et enfin la période du Hinapaarae, la dernière génération d’une famille ou d’une tribu. Ce sont les rois qui ont commencé à négliger la place de Dieu et pour faire peur au peuple, ils ont instauré les sacrifices humains qui n’existaient pas auparavant. La vision de l’EPM, c’est que ce changement politique aux Territoriales correspond à une régénération cyclique qui nous échappe. C‘est une fin de cycle divin, avec un grand nettoyage, avant de recommencer.”

Antony Géros a déclaré que la laïcité ne correspondait pas à la philosophie polynésienne. N’est-ce pas pourtant la laïcité qui garantit à chacun, justement, de pouvoir vivre sa foi, d’en changer ou encore ne pas en avoir ?

“Je pense qu’Antony Géros a raison. Pour moi, la laïcité n’est pas la défense des religions. Nous l’avons dit à Fritch : la laïcité est un frein pour que le gouvernement s’appuie sur la foi pour gouverner.”

Faut-il comprendre que l’EPM milite pour une théocratie, une société où l’autorité politique a une assise d’ordre divin ? Est-ce pour cela qu’elle en appelle à “un gouvernement de Dieu” ?

“Selon nous, le gouvernement doit appliquer le sens de la foi. La prière est très ancrée dans la culture polynésienne. C’est aussi une manière de dire que le peuple que l’on conduit est le peuple de Dieu. Ce que nous faisons, c’est ce que Dieu veut.”

Comment pouvez-vous savoir si tous les croyants tombent d’accord sur “ce que Dieu veut” ?

“Dieu veut la liberté et la dignité du peuple, de tous les peuples qu’il a créé. Et il veut la justice. Lorsque j’ai représenté l’EPM pendant 10 ans à Fidji auprès de la Conférence des églises du Pacifique, j’ai pu mesurer la différence entre les colonisations française et anglaise. Les Anglais ont décolonisé beaucoup plus vite. Nous-même avons demandé au haut-commissaire la mise en place de la citoyenneté maohi, une idée présente en effet sur le programme Tavini. Ce n’est pas parce que tu me reconnais comme peuple primitif que je vais te demander de rentrer chez toi, tu es aussi un enfant de Dieu. On peut selon moi être citoyen polynésien et ressortissant français. Et si on reste avec la France, on est aussi Européens.”

Propos recueillis par Damien Grivois

Mitema Tapati n’est plus pasteur !

L’ancien pasteur Mitema Tapatati a été élu pour représenter le Tavini, en troisième position de la première section des îles du Vent, derrière Tematai Le Gayic et Minarii Galenon.

“Il est parti de son plein gré mais il n’est donc plus pasteur” explique François Pihaatae. “C’est une décision que l’Eglise a prise en 1999. Les pasteurs, diacres ou évangélistes, s’ils s’engagent politiquement, perdent automatiquement leur titre religieux.”

François Pihaatae dit respecter son choix. “C’est sans doute pour lui une autre façon de servir le peuple”.