Une restauratrice qui blanchissait l’argent d’un trafic d’ice écope de 5 ans ferme

"Une volumineuse procédure et neuf personnes à juger dans cette affaire d'importations d'ice"
"Une volumineuse procédure et neuf personnes à juger dans cette affaire d'importations d'ice" (Photo : YP)
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Neuf personnes ont été jugées par le Tribunal de première instance les 9 et 10 mai 2023 pour leur participation à une ou plusieurs importations d’ice en provenance des Etats-Unis, entre novembre 2018 et novembre 2020. C’est l’arrestation d’une mule à l’aéroport de Tahiti-Faa’a qui a permis la mise au jour du trafic et les importations précédentes, pour une quantité totale de près de cinq kilos. Quasiment tous arrivés libres au Palais de justice, les neuf prévenus ont été conduits en cellule à l’issue de l’audience.

Les 28 novembre 2020, les douanes de l’aéroport de Tahiti-Faa’a découvrent 719 grammes de métamphétamine dissimulés à l’intérieur d’une enceinte portable type “boombox” dans les bagages d’un Polynésien de retour de Los Angeles. Très vite, la mule interpellée désigne son cousin comme celui qui lui propose le deal et finance le voyage.

L’enquête est lancée. Interpellé, le cousin de la mule donne tout de suite le nom de celui qui lui a demandé de trouver quelqu’un prêt à faire le voyage, Sako (nom d’emprunt). Pas de “loi du milieu” qui impose le silence sous les cocotiers, Sako balance tout dès sa première garde à vue. Il reconnaît immédiatement les faits mais mieux encore, il avoue trois autres importations, donne les dates, les quantités et désigne tous les protagonistes du trafic, notamment Daniel, son binôme sur toutes les importations, qui lui aussi reconnaît les faits et donne d’utiles détails aux enquêteurs. 

Avant la dernière saisie de 719 grammes le 28 novembre 2020, il y a eu trois autres voyages selon Sako. 30 grammes arrivent en février 2020, cachés dans le slip de Daniel. 1,2 kilo passe les contrôles dans des enceintes ramenées par une autre mule, caissier, en janvier 2019. La plus grosse importation, en novembre 2018, permet selon l’enquête d’écouler plus de trois kilos d’ice.

Deux des prévenus sont bien impliqués dans les quatre opérations, Sako, d’une trentaine d’année, et Daniel (prénom d’emprunt) 55 ans, connu de la justice comme compagnon de trafic du célèbre Teiva Spector dans la non moins célèbre affaire Vahine connexion, dans laquelle 18 personnes sont condamnées en 2008 pour importation d’ice et de cocaïne.

La méthode est toujours la même. Sako et Daniel, via un ou deux intermédiaires, recrutent une mule pour un séjour à Los Angeles. Les deux hommes sont du voyage, parfois dans le même avion à l’aller comme au retour. Daniel se charge d’aller chercher la drogue auprès d’un dealer mexicain, grâce à l’aide d’un sans-abri américain prénommé Luc. Ils s’équipent de matériel, une balance, des gants, une machine pour mettre sous vide.

C’est Sako, habile de ses mains, qui se charge de démonter et remonter les enceintes une fois la drogue insérée. Les “boombox” sont ensuite livrés à l’hôtel de la mule chargée du rapatriement. A chaque mule, chaque intermédiaire, on promet cinq, dix, jusqu’à vingt millions de francs de rétribution. Sako les rassure en leur promettant que c’est du “sûr à 100%”, il évoque même la présence d’un complice parmi les douaniers de l’aéroport.

Des roulottes et des travaux pour blanchir l’argent

La dernière appelée à la barre est une jeune femme cheffe d’entreprise à Paea. A la tête d’une garderie, de plusieurs roulottes puis d’un restaurant, elle est celle, selon des témoignages, qui propose puis finance la première importation de novembre 2018 en remettant à Daniel, son beau frère, près de 20 000 US dollars.

2,9 kilos passeront alors à travers les trop grosses mailles du filet. Le frère de la jeune femme est celui que l’on désigne comme la mule de ce premier voyage. Il nie la totalité des faits. Daniel a beau dire qu’il a laissé un colis à son nom à l’accueil d’un hôtel, ça n’est pas lui dit-il, indiquant que beaucoup de Tahitiens s’appellent comme lui. Aux nombreuses questions des magistrats, “Je ne sais pas” est son unique réponse.

Sans emploi depuis près de dix ans, l’impressionnant amateur de MMA dit gagner de l’argent grâce aux combats de coqs et au kikiri. Quelques minutes auparavant, un recruteur a lui aussi annoncé gagner parfois jusqu’à deux millions de francs au kikiri pour justifier de son train de vie. Le président du tribunal ironise alors sur le nombre inouï de gagnants au jeu de hasard chez les amis de la meth.

La jeune femme doit d’abord expliquer des retraits en dollars juste avant le départ de Daniel et Sako, puis un voyage aux Etats-unis à la même période que les prévenus. “C’était pour acheter un food truck”, explique-t-elle. A propos des témoignages qui la désignent comme celle qui propose puis finance la première importation, elle nie tout en bloc.

Daniel ne l’aime pas depuis longtemps, “je suis la victime idéale pour lui” dit-elle. Son discours est sec, ses réponses rapides. Elle est sûre d’elle, agacée. Les choses se compliquent quand il lui faut détailler le florissant état des comptes de ses entreprises. Partie d’une petite roulotte à Paea, elle en ouvre deux autres à Pirae et Punaauia, avant de lancer les travaux d’un grand restaurant, puis d’un ensemble immobilier de six bungalows cosy avec piscine.

Trois heures d’attente, puis la prison

Le procureur revient sur l’implication de chaque prévenu, tous coupables selon lui. Il cite “les conjonctions de présence sur le sol américain” des prévenus. Il revient en exemple sur les retraits en dollars de la prévenue, la présence des mules et des trafiquants dans le même hôtel ou le même avion. “Pas des coïncidences, mais un faisceau d’indices” dit le procureur.

Sur le plan comptable, il fait part lui aussi de l’étonnement suscité par la vue des bilans. Il cite les experts qui estiment à 45 voire 60 millions de francs les dépenses pour lesquelles l’origine des fonds est inconnue. Il requiert des peines entre deux et quatre ans de prison pour les diverses petites mains du trafic. Il demande la saisie des biens de la restauratrice, requiert à son encontre une peine de cinq ans de prison. Six et sept ans sont requis pour Sako et Daniel.

Trois heures s’écoulent entre la fin de l’audience et le délibéré. La plupart des prévenus, sans doute conseillés par leurs avocats, reviennent avec leurs sacs de linge, un coussin neuf… L’arrivée dans le hall d’une douzaine de gendarmes, juste avant l’entrée des magistrats en salle d’audience, laisse présager de la suite.

Tous sont condamnés à de la prison ferme avec mandat de dépôt. Entre deux ans et cinq ans ans de prison ferme pour les mules et les recruteurs, des peines qui fluctuent selon leurs casiers et les quantités transportées. Sako et Daniel écopent de cinq et sept ans de prison.

La restauratrice est condamnée à cinq ans ferme. Le terrain, le restaurant et les bungalows qui s’y trouvent, la roulotte et son onéreux matériel ainsi que tous ses véhicules sont saisis. Le total des amendes douanières réclamées approche les 500 millions de francs. Des amendes réduites pour Sako et Daniel, “pour leurs contributions à l’enquête” annonce le président du tribunal, reprenant un argument lancé par l’avocat de Daniel qui dans sa plaidoirie souhaitait “que l’on récompense ceux qui parlent”. Le message est passé.

Compte-rendu d’audience : Y.P

Le problème des dealers : ils sont trop riches et ça se voit !

Se basant sur le business plan fourni à la Banque de Tahiti pour obtenir un emprunt de 77 millions de francs, puis sur les informations révélées par l’enquête, l’honnêteté des comptes et la provenance des fonds sur les comptes de la restauratrice de Paeae posent question aux magistrats. Les experts évaluent les dépenses de la jeune femme pour son commerce à plus du double de l’emprunt perçu.

Ils citent notamment une facture de 16 millions de francs de matériel de cuisine haut de gamme. Une femme également touchée par une fièvre acheteuse automobile, pour 12 millions de francs de voitures et scooters, dont un Ford 150 payé cash à plus de quatre millions. A propos des nombreux employés sur le chantier de ses bungalows, pour lesquels elle n’a aucun justificatif, ça n’était selon elle que des amis, de la famille, des bénévoles…

Sur la période concernée par la prévention, les enquêteurs estiment à plus de 20 millions les dépenses en liquide de la prévenue. La représentante des douanes, avant de réclamer plus de 500 millions de francs d’amende douanière aux neuf prévenus, rappelle d’autres chiffres à faire pâlir de jalousie le syndicat des restaurateurs.

La première roulotte passe de 37 millions de francs de chiffre d’affaires en 2017 à près de 75 millions en 2018, puis quasiment 85 millions déclarés aux contributions en 2019. Autre performance de snack, sa roulotte de 30 couverts à Punaaiua qui fait 83,5 millions de francs de chiffre dès la première année, monte à 143 millions de francs de CA l’année suivante.

De l’argent “qui ne peut venir que du trafic” selon les Douanes.

Y.P