Moetai Brotherson élu “peretiteni api” : l’émotion avant l’action pour le Tavini

Moetai Brotherson prend place sur son nouveau siège de président de la Polynésie française. (Photo : SB)
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Ce matin du vendredi 12 mai, la Polynésie française, est appelée à élire, via ses 57 représentants fraîchement élus à l’assemblée, son président. Sans surprise, Moetai Brotherson, devient peretiteni du Pays avec 38 voix contre 16 voix pour Édouard Fritch et 3 voix pour Nicole Sanquer. Benoît Kautai, qui avait présenté sa candidature en qualité d’élu marquisien voulant défendre son attachement à la République, la retire finalement avant le vote. Le gouvernement Brotherson sera présenté lundi matin.

Moetai Brotherson et Eric Spitz, le nouveau duo Pays/Etat, une nouvelle configuration du dialogue entre Papeete et Paris. (Photo : Jean-Marc Monnier)

Les invités, en ce jour d’élection du président du Pays, sont les mêmes que ceux présents la veille pour l’élection du président de l’assemblée de Polynésie française. On note la présence, ce jour, de la secrétaire générale de A Tia I Mua, Avaiki Teuiau ou encore celle de François Pihaatae, président de l’Eglise protestante maohi (EPM), parmi les nombreuses personnalités du Pays, de l’Etat, des communes et de la société civile. Comme la veille, les militants du parti indépendantistes ont investi le hall de l’assemblée de la Polynésie française, et ne boudent pas leur plaisir de voir leur candidat accéder aux plus hautes fonctions de l’exécutif.

Avant l’ouverture de la séance par le nouveau président de l’assemblée, Antony Géros, Mitema Tapati, ancien pasteur (l’EPM interdit à ses représentants de cumuler des responsabilités religieuses et politiques), effectue la prière. La séance débute et les candidatures à la présidence sont annoncées : Moetai Brotherson pour le Tavini, Édouard Fritch pour la Tapura et Nicole Sanquer pour A Here Ia Porinetia . Petite surprise côté Tapura, avec la candidature de Benoit Kautai, représentant pour les Marquises et Président de la Communauté de commune des îles Marquises depuis 2020.

Nicole Sanquer appelle le Tapura “à l’autocritique

S’en suit les discours des candidats. Benoit Kautai est le premier à se lancer. Il tient à rappeler aux représentants l’attachement des populations marquisiennes à l’autonomie et aux valeurs de la République française. Il défend la collaboration avec l’Etat, souhaite “l’évolution des compétences en matière de gestion” et prévient la nouvelle majorité Tavini que les élus de l’archipel ne veulent pas se voir imposer des projets sans concertation, et surtout pas un éloignement de la France.

Benoit Kautai prévient la nouvelle majorité Tavini que les élus de l’archipel ne veulent pas se voir imposer des projets sans concertation, et surtout pas un éloignement de la France. (Photo : SB)

Nicole Sanquer est la deuxième à se présenter au pupitre pour son discours de candidature. Elle débute son intervention en estimant que “la victoire du Tavini est d’abord la défaite de la gouvernance Tapura”. Selon elle, les Polynésiens ont “exprimé ce qu’ils ne veulent plus”, notamment une certaine “arrogance” de l’exécutif. Elle appelle le Tapura “à l’autocritique”. L’occasion d’espérer que la nouvelle majorité Tavini ne tombera pas dans les mêmes travers, à savoir “les insultes”, le “déni de démocratie”, la “surdité”, “l’impunité” ou encore “la démesure face à la pauvreté”. Nicole Sanquer “souhaite que ce mandat soit une réussite pour tout le monde”, avec “la naissance d’une nouvelle ère” qui s’attachera notamment à réduire la dépendance alimentaire et énergétique.

Pour Nicole Sanquer, la victoire du Tavini est d’abord la défaite de la gouvernance Tapura. (Photo : SB)

Moetai Brotherson veut “discuter avec tout le monde”

Edouard Fritch, président sortant, vient ensuite. “Nous devenons de plus en plus étrangers” déclare, en reo tahiti, Edouard Fritch, en réponse à l’ancien pasteur Mitema Tapati, qui évoquait la perte identitaire du peuple polynésien. L’ancien chef de l’exécutif dit également aux représentants Tavini, toujours en reo tahiti : “je vous respecte énormément pour votre combat. (…) Merci au Seigneur pour cette victoire. (…) Vous devenez les serviteurs de votre peuple”. Ces phrases ne sont pas répétées en reo farani. En langue française, Edouard Fritch estime que le Tapura doit “tourner la page” et “réparer ses propres défauts”. Pour le candidat du Tapura, la question statutaire n’est en rien responsable des crises économiques et sociales, pas plus que l’Etat. “Ne mordons pas la main qui nous donne à manger” conclut le leader autonomiste, qui en appelle à une relation constructive avec Paris.

Pour Edouard Fritch, le Tapura doit “tourner la page” et “réparer ses propres défauts”. ( Photo : SB)

Enfin, Moetai Brotherson, clôt les débats. Il salue son “adversaire” des Marquises Benoît Kautai, et lui assure son attachement personnel à la Terre des hommes. Moetai Brotherson souligne ensuite les “belles propositions” de Nicole Sanquer, en lui assurant de sa volonté de “travailler ensemble”. Aux tavana, le candidat du Tavini déclare : “chers maires, je ne vous demande pas de vous soumettre à cette couleur bleue”. Moetai Brotherson l’assure : il souhaite surtout “échanger”. Il remercie aussi Edouard Fritch pour ses encouragements, avant de dénoncer les “mensonges” colportés sur l’accession à l’indépendance. “J’entends les craintes que nous vous livrions aux mains de Chinois” répond Moetai Brotherson à Benoît Kautai, avant de lui assurer sa volonté de “discuter avec tout le monde”. Il énonce enfin les mots-clés du Tavini. D’abord respecter : le peuple, les institutions, l’Etat, les “cousins du Pacifique”. Ensuite soutenir et enfin bâtir.

Moetai Brotherson, rappelle, dans son discours, les piliers de la campagne du Tavini : Respecter-Soutenir-Bâtir. (Photo : SB)

Vient le temps du vote. Benoit Kautai prend la parole pour annoncer à Antony Géros qu’il retire sa candidature. Seuls trois candidats restent en lice. Sans surprise, c’est Moetai Brotherson qui est élu avec 38 voix contre 16 pour Edouard Fritch et trois pour Nicole Sanquer.

Oscar Temaru lors de son vote. (Photo : SB)
Moetai Brotherson, après sa victoire, s’adresse aux sympathisants Tavini venus nombreux dans le hall de l’assemblée de Polynésie française. (Photo : SB)
Oscar Temaru suivant des yeux son protégé, Moetai Brotherson, qui se dirige vers son siège de président à l’assemblée. (Photo : SB)

Les réactions après la victoire de Moetai Brotherson

Eric Spitz, Haut-commissaire de la République : “Moetai Brotherson (…) ne place pas la question de l’indépendance au cœur de ses préoccupations”

“J’ai déjà invité Moetai Brotherson il y a dix jours chez moi, juste après les élections. On a fait un déjeuner de travail tous les deux, on a commencé deux jours après les Territoriales, le 2 mai. Et quand le gouvernement sera composé, éventuellement je les inviterai à dîner officiellement, et peut-être que j’assisterai au premier conseil des ministres. Tout va se passer de façon normale. (…) Je sais que Roch Wamytan, le président du congrès de Nouvelle-Calédonie, était là, c’est normal vu qu’il préside la même institution. Je ne suis pas très bien placé pour savoir ce qui rentre en résonance entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, mais je suis bien placé pour savoir que Moetai Brotherson que j’ai vu à plusieurs reprises la semaine dernière, pour l’instant ne place pas la question de l’indépendance au cœur de ses préoccupations. Il m’avait dit un jour quand je suis arrivé qu’il fallait déjà que l’Etat verse moins d’argent. On verse 213 milliards de francs Pacifique par an, demain ce sera 180, 160 etc, et quand on sera à zéro, on pourra discuter effectivement indépendance, mais on n’en est pas là.” 

Le haut-commissaire Eric Spitz explique qu’il a déjà commencé à rencontrer Moetai Brotherson depuis la victoire du Tavini aux Territoriales. (Photo : Jean-Marc Monnier)

Roch Wamytan, président indépendantiste du congrès de Nouvelle-Calédonie : “On va les aider pour avancer. Ils vont nous aider aussi”

“Je pense que l’élection d’Antony Géros ce jeudi 11 mai et de Moetai Brotherson aujourd’hui, va nous permettre de nous rapprocher encore plus, de rapprocher les deux territoires. On va être plus en proximité. On travaillait déjà ensemble mais plus sur le plan politique. Mais comme les institutions sont aujourd’hui gérées par les indépendantistes, c’est une raison de plus pour rapprocher les territoires et pour qu’ils œuvrent ensemble. Devant l’Etat, on aura un levier supplémentaire pour être plus forts face au gouvernement français. Le Tavini va avancer dans son processus et nous on est déjà engagés dans ce processus de décolonisation et d’émancipation. On va les aider pour avancer. Ils vont nous aider aussi. Je pense que ca va apporter des résultats très positifs pour nos deux pays et pour le processus d’émancipation dans lequel nous sommes.”

Roch Wamytan, président indépendantiste du congrès de Nouvelle-Calédonie. (Photo : SB)

Mereana Reid-Arbelot, suppléante de Moetai Brotherson et future députée de la Polynésie française : “On est tous émus”

Je voudrais féliciter Moetai pour son parcours et pour ses mots qu’il a eu pour sa population. On est tous émus. J’ai beaucoup apprécié les mots qu’il a eu pour sa population, pour nous tous.” Concernant ses futures fonctions : “Je sens le poids des responsabilités depuis quelques jours, mais je suis prête”.

Mereana Reid-Arbelot, succèdera à Moetai Brotherson au palais Bourbon à Paris. (Photo : SB)

Moana Brotherson, frère de Moetai Brotherson : “beaucoup de fierté, beaucoup d’émotion”

“Je suis fier de Moetai. Cette année était la suite de ce qu’il s’est passé avec les trois députés. Je suis content qu’il ait été choisi pour mener le Pays.” A la question de savoir si Moetai Brotherson est engagé politiquement depuis tout jeune, il répond : “Notre grand-père a été président de l’assemblée pendant dix ans dans les années 60. Notre mère ne souhaitait pas forcement que l’on fasse de la politique. On a vécu à Huahine, on était loin de ce qu’il se passait. Mon frère fait aujourd’hui de la politique au plus haut niveau. Ca doit être dans les gênes. (…) Il y a beaucoup de fierté, beaucoup d’émotion à ce que mon frère soit élu.”

Moana Brotherson, frère de Moetai Brotherson, ému après l’élection de ce dernier à la tête du Pays. (Photo : SB)

Hinamoeura Morgant-Cross, représentante Tavini à l’assemblée : “Œuvrer à mettre en place tout ce qu’on avait exposé

“Je suis très contente des deux élections de ce jeudi 11 mai et de ce vendredi 12 mai. Je sais que certaines personnes avaient des inquiétudes durant les élections. On nous reprochait que Moetai était un cheval de Troie et aujourd’hui on montre à la population qu’à aucun moment on a essayé de leur mentir. On reste droit dans nos chaussures et on va maintenant œuvrer à mettre en place tout ce qu’on avait exposé sur notre projet de société.”

Hinamoeura Morgant-Cross, toute nouvelle représentante Tavini à l’assemblée de Polynésie française. (Photo : SB)

Antony Géros, nouveau président de l’Assemblée de Polynésie française : “Mémorable dans l’histoire du Tavini”

“Ce qu’il s’est passé hier et aujourd’hui est mémorable dans l’histoire du Tavini. Pour la première fois dans l’histoire du parti, on a pu mettre véritablement, le Tavini tout seul, deux indépendantistes à la tête du Pays. Un à la tête de l’exécutif, un à la tête de l’assemblée de la Polynésie française. C’est une grande satisfaction pour nous. Ca nous permet maintenant, de manière objective et libre, de conduire le Pays, conformément au programme annoncé et dans le respect de l’objectif du parti.”

Antony Géros (au centre), nouveau président de l’assemblée de la Polynésie française, se réjouit de la victoire de Moetai Brotherson à la présidence ce vendredi 12 mai. (Photo : SB)

Adrien Tapii, 21 ans, étudiant : “J’ai des doutes, des craintes pour l’avenir”

“Avoir Moetai Brotherson comme président, c’est avant tout une fierté. Et surtout un désir de changement, parce que c’était quelque chose que je voulais pendant cette dernière campagne électorale et même celle de l’an dernier. Un changement de la classe politique dans laquelle je ne me reconnaissais pas,. Aujourd’hui via ce nouveau président, j’arrive à comprendre ses mots. Il communique plus facilement avec moi et certainement avec d’autres jeunes, j’arrive à me reconnaître au travers de ce personnage. Dans l’immédiat, j’attends de lui une touche personnelle avant tout, par exemple qu’il puisse lutter contre la précarité étudiante qui existe encore chez nous. En fait cela concerne les étudiants, les jeunes qui sont comme il le dit lui-même, l’avenir. Je suis en licence d’Histoire à l’université et c’est important pour moi. Sinon, dans un registre moins personnel, je pense aussi au coût de la vie qui est excessivement cher et qui le devient de plus en plus chaque année. Et moi j’ai des doutes, des craintes pour l’avenir vis-à-vis de la vie chère.”

Propos recueillis par Sébastien Berson et Jean-Marc Monnier