Prison ferme pour un couple qui escroquait la CPS à coups d’arrêts maladie

Le budget de la CPS est garanti jusqu'à fin 2023, et il devrait l'être bientôt jusque fin 2024. (Photo archives LDT)
Le budget de la CPS est garanti jusqu'à fin 2023, et il devrait l'être bientôt jusque fin 2024. (Photo archives LDT)
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Un ancien employé de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et sa femme comparaissait pour escroquerie en bande organisée avec une dizaine de complices le mardi 16 mai 2023 devant le tribunal correctionnel. Le système consistait à créer des sociétés fictives, ou en tout cas à l’activité très limitée, qui embauchaient des personnes aux salaires mirobolants qui rapidement tombaient malades. Pendant près de deux ans, les indemnités journalières détournées à la CPS au travers de plusieurs sociétés se chiffrent à près de 23 millions de francs.

Une affaire complexe qui débute par un signalement de la CPS au procureur qui ouvre une enquête. monsieur Chow (nom d’emprunt), ancien employé de la CPS, justement dans le service des arrêts de travail et des indemnités, fait en 2015 ce que le tribunal qualifie de “galop d’essai” du système d’arnaque qu’il a imaginé.

Il se fait embaucher par un patenté, au confortable salaire de 650 000 F par mois. L’idée, dit monsieur Chow, est de lancer un business de fabrication puis de vente de mini-jardins zen. Une si belle idée qu’il est finalement immédiatement augmenté à 1 million de francs mensuel le 28 octobre 2017, puis tombe malade le 3 novembre. Mais la CPS refuse alors de verser les indemnités, le dossier est incomplet.

Après avoir peaufiné sa stratégie, en compagnie de son épouse, le prévenu crée une, puis plusieurs sociétés. L’une vend ces petits jardins miniatures, l’autre fait du conseil, une troisième fait des plats à emporter ou organise des buffets. Le point commun entre toutes ces entreprises, en dehors d’un numéro RC unique utilisé pour les trois entités, les employés sont grassement payés et très souvent malades. Les arrêts de travail sont légaux et le médecin prescripteur, le même dans 90 % des cas, n’a pas été entendu.

“Tout le monde est malade dans ces sociétés”

Le président du tribunal commence par entendre les complices présumés de l’arnaque. Employés par les époux Chow, ils sont tous proches. Une cousine, une belle-sœur, un gendre ou un ami d’enfance. Ils signent des contrats de travail pour des salaires souvent très généreux puis tombent malades.

Une fois payés par la CPS, ils doivent reverser à Monsieur Chow une partie de leurs revenus. Un homme indemnisé à hauteur de 480 000F touchera seulement 200 000F, le reste, c’est pour Chow. Un homme d’affaires aux multiples business, ami du couple, finance parfois leur projet. Il achète aussi pour plusieurs millions de jardins zen, histoire dit-il de “donner un semblant d’activité” à l’entreprise. Les indemnités commencent à tomber, mais pour multiplier les revenus, il faut multiplier les sociétés.

Certains des employés créent alors leur propre entreprise. Une société de ménage, une patentée propose des services à la personne et embauche une auxiliaire de vie à 800 000F par mois, il y a de la restauration ou une société d’événementiel, des domaines où aucun, de leur propre aveu, n’a d’expérience. Ça n’a pas grande importance, puisqu’au final, leur activité est fantomatique, pour ne pas dire inexistante. Des complices servent surtout de prête-noms, puisque c’est Monsieur Chow qui gère sur Internet les comptes de ses sociétés fictives à la comptabilité hors norme.

Comme dans les entreprises de Chow, tous les employés qu’ils recrutent tombent, eux aussi, fréquemment malades, et cela, seulement deux ou trois semaines après leur embauche. Dans le dossier, on trouve un salarié en arrêt 331 jours sur les 730 jours de son contrat, un autre cumule 258 jours d’arrêt pour 668 jours de travail. Ou encore, un contrat de travail de six mois est proposé à une femme enceinte de sept mois.

Si le montant précis fait débat entre magistrats, avocats et CPS, le cumul des indemnités perçues par tous les protagonistes est d’environ 23 millions de francs, selon les chiffres donnés par le président du tribunal.

Malade, mais en hôtel de luxe

Le tribunal s’intéresse au train de vie du couple. Les enquêteurs épluchent leurs comptes et les mouvements sont limités, car tous les flux financiers ou presque sont réalisés en cash. Il est tout de même question du goût prononcé de Madame Chow pour les hôtels de luxe. Seize millions de francs de factures en moins de deux ans pour le seul InterContinental Tahiti !

Il y a aussi des notes de séjour dans d’autres établissements et de grosses dépenses de location de voiture. Un train de vie difficilement expliqué par les prévenus à la barre, ce serait “grâce à leurs entreprises” disent-ils. Seulement, l’étude des comptes ne prouve que de très faibles rentrées d’argent, alors qu’ils payent dans le même temps des salaires astronomiques. La société de conseil par exemple, n’affiche que deux millions de francs de chiffre d’affaires annuel, quand sur la même période sa masse salariale approche les douze millions. “Ça ne tient pas” dit le président du tribunal à Monsieur Chow.

C’est ce que martèle également la procureure qui revient surtout sur les documents retrouvés dans les différents ordinateurs de Monsieur Chow. Des “projets” nommés “waterfall”, “boomerang”, ou encore “Sdiraf” qui se matérialisent par des documents réalisés sur tableur sur lesquels figurent la durée de contrat idéale, quand se mettre en arrêt de travail, le montant des indemnités attendues ou encore le taux de rentabilité des sociétés en fonction de ces indemnités.

Le projet Sdiraf, du nom du syndicat des retraités, est plus que parlant. Il suggère d’embaucher des retraités dans le besoin, de préférence grabataires pour qu’on ne puisse pas remettre en cause leurs futures “maladies”. Pour un rendement maximum, un autre document suggère de faire des contrats de 24 heures, avec un arrêt-maladie déposé dès le premier jour. Pour le ministère public, le seul but de l’activité des prévenus et de leurs sociétés est clair : arnaquer la CPS.

Pour les avocats, impossible de matérialiser une escroquerie

Les deux avocats brandissent le même argument. Pour confirmer une arnaque à la CPS, il faut que les arrêts de travail soient illégaux, et ça n’est pas le cas. Le médecin prescripteur n’est pas entendu par la justice et la CPS ne s’est pas étonnée du nombre de jours d’arrêts distribués par ce médecin.

En ce qui concerne l’embauche pour six mois d’une femme proche de son accouchement, ou les augmentations express des employés, l’avocat de Monsieur Chow déclare que les chefs d’entreprise font ce qu’ils veulent : “On peut être choqué, mais ça ne constitue pas une escroquerie”. Ils demandent la relaxe de leurs clients.

Le tribunal les suit pour un employé de la société de mini-jardins et le présumé financier, tous deux relaxés. Les différents acteurs de second plan sont condamnés à des peines entre 6 et 12 mois de prison avec sursis. Le couple est plus lourdement sanctionné par le tribunal, quatre ans dont une année de sursis pour Monsieur, quatre ans dont deux avec sursis pour Madame. Ils ont l’interdiction définitive de gérer une société.

Les montants à rembourser solidairement par les prévenus condamnés seront fixés le 18 octobre. La CPS, pourtant “la principale intéressée” selon un avocat, ne s’est étonnement pas fait représenter à l’audience. Sur cette absence, la procureure commente succinctement : “Ça n’est pas leur argent…”

Compte-rendu d’audience : Y.P