Éliane Tevahitua, vice-présidente ou la maman du gouvernement bleu ciel

Éliane Tevahitua, vice-présidente : "Parmi les ministres, il y a beaucoup de jeunes, excellents dans leur domaine, mais qui n’ont jamais fait de politique. Je veux être leur maman". (Photo : T.I.)
Éliane Tevahitua, vice-présidente : "Parmi les ministres, il y a beaucoup de jeunes, excellents dans leur domaine, mais qui n’ont jamais fait de politique. Je veux être leur maman". (Photo : T.I.)
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“Amours de nos mères, à nul autre pareil.” Comment ne pas commencer ce portrait d’Éliane Tevahitua par une citation, elle qui les apprécie tant et qui en inscrivait toujours une en introduction des rapports qu’elle présentait quand elle était représentante à l’assemblée de la Polynésie française (2013-2023). “Elles ont la propriété de synthétiser en une phrase ce que vous voulez dire. Je les aime bien parce que ce sont comme des formules lapidaires qui sont une bonne introduction. Selon la tonalité de la citation, vous savez quelle va être la teneur du propos.”

Eliane Tevahitua au côté d’Oscar Temaru en 2022 lorsque le leader indépendantiste rappelle la propriété du peuple polynésien sur l’ensemble de ses ressources, y compris sous-marines, tel que le rappelle l’ONU. (Photo : Damien Grivois)

Et comment ne pas choisir une citation sur les mères et leurs amours inconditionnels qui s’accorde si bien à la personnalité d’Éliane Tevahitua. Dans son grand bureau pas encore aménagé dans l’ancien ministère de la Culture un peu vide, on aurait comme envie que la nouvelle vice-présidente, 64 ans, nous prenne dans ses bras réconfortants et nous fasse un câlin. Comme une maman.

Honorée par son poste de vice-présidente auquel elle ne s’attendait pas, Éliane Tevahitua se voit en coordinatrice de l’action gouvernementale. “Nous nous sommes engagés devant les Polynésiens sur un programme et je ferai en sorte qu’il soit respecté et tenu. Il faut honorer nos engagements vis-à-vis de la population et je serai là pour le rappeler”, insiste celle qui a en charge plusieurs ministères (culture, enseignement supérieur, environnement, foncier, artisanat et relations avec les institutions).

“Le gouvernement est un groupe de dix personnes avec différentes personnalités. Il va falloir les driver pour que nous allions tous dans le même sens. Je suis la gardienne de la maison. Parmi les ministres, il y a beaucoup de jeunes, excellents dans leur domaine, mais qui n’ont jamais fait de politique. Je veux être leur maman. La vie politique est dure. Parmi nos adversaires politiques, il y a de vrais politiciens affûtés. Mon rôle est d’accompagner les ministres, surtout en commission de l’assemblée. Dans les premiers temps, je serai avec eux jusqu’à ce qu’ils prennent de l’assurance.”

“Je suis aussi là pour suppléer Moetai Brotherson quand il est absent. Je suis son double. Nous ne pensons pas forcément la même chose, mais nous avons une liberté de confiance et une liberté d’échanges.”

“Une enfance heureuse”

Celle qui a grandi enfant unique dans la vallée de Tavararo à Faa’a pense qu’elle a été choisie au poste de vice-présidente parce qu’elle a toujours “été franche avec Oscar Temaru, que je connais depuis mon enfance, et maintenant avec Moetai Brotherson. Je dis les choses, même quand ça déplaît. Les hommes ou femmes politiques ont besoin qu’on leur dise les choses, pas seulement de les flagorner. C’est mon rôle de Mère Fouettard. Être ferme quand il le faut, laisser faire quand tout va bien”.

Eliane Tevahitua se décrit volontiers comme “Mère Fouettard” au besoin… (Photo : Damien Grivois)

Le président de la Polynésie française a déclaré qu’il l’avait voulu au gouvernement parce que c’est la meilleure. “J’ai besoin d’une personne qui a des convictions solidement ancrées, qui ne s’écroule pas au premier coup de vent. C’est quelqu’un dont j’apprécie la compétence et l’engagement total à 200%. C’est aussi quelqu’un qui n’hésitera jamais à monter au créneau si je fais des bêtises ou si un ministre fait des bêtises.”

Avant d’être la maman du gouvernement bleu, Éliane Tevahitua est celle de quatre enfants, une fille et trois garçons, qui ont fait d’elle une grand-mère par deux fois.

Adoptée par son grand-oncle maternel Panapa et sa femme Tiare pratiquement à sa naissance, la vice-présidente a grandi dans une “famille modeste et honorable” qui ne parlait que tahitien. “Le français, je l’ai appris à l’école.” “Ma maman vendait des couronnes à l’aéroport nouvellement construit et allait à la pêche. Mon papa avait plusieurs occupations pour que nous puissions vivre dignement. Il était porteur de valises à l’aéroport et docker sur le port.” “J’ai vécu une enfance heureuse, avec tout l’amour dont j’avais besoin, dans la transparence de mon adoption dès que j’ai été en âge de comprendre.”

Bonne élève, Éliane Tevahitua a commencé sa scolarité à l’école publique avant de rejoindre l’école des sœurs non mixte, Notre Dame des anges, en sixième où elle décroche son brevet la veille de ses 15 ans, puis Anne-Marie Javouhey en seconde et La Mennais où elle obtient son bac juste avant ses 18 ans. S’offre alors le choix de continuer les études supérieures pour devenir institutrice ou infirmière. C’est à cette dernière profession qu’elle se destine après s’être sentie impuissante à soigner un motocycliste, vers l’âge de 12-13 ans, lorsqu’elle est témoin d’un accident.

Un stage marquant à la maternité pendant ses études d’infirmière lui fait envisager le métier de sage-femme. Celle qui s’appelle encore Éliane Vaimeho-Peua s’envole pour l’université de Bordeaux ayant réussi le concours d’entrée de l’école de sages-femmes, alors qu’elle obtenait son diplôme d’État d’infirmière.

De retour au Fenua, elle entre au centre hospitalier de Mama’o et y sera sage-femme de 1981 à 1988, où elle mettra au monde 3 000 bébés.

“Soif d’apprendre”

D’une “curiosité intellectuelle insatiable”, Éliane Tevahitua ne cesse de se former, passant “tous les diplômes d’université spécifiques à mon métier dans le cadre de la formation continue” et retournant à l’école des cadres sages-femmes à Dijon pendant un an (1989).

Et figure maternelle, Éliane Tevahitua l’aura été pendant neuf ans lorsque elle a été la première directrice locale de l’école de sages-femmes (1994-2013). Une ancienne élève la décrit comme quelqu’un avec “une main de fer dans un gant de velours qui n’hésitait pas à défendre leur cause”.

Eliane Tevahitua lors d’une cérémonie du Tavini huiraatira à Faa’a un 29 juin, “Fête de l’autonomie” pour certains mais surtout jour de l’annexion de Tahiti et ses îles, donc “jour de deuil”, pour le parti indépendantiste. (Photo : Damien Grivois)

En 2001, sa “soif d’apprendre” lui fait obtenir un DEA d’anthropologie sous la direction de Paul de Dekker. Puis, encouragée par Bruno Saura, elle soutiendra, en 2008, une thèse sur la toponymie des terres de Faa’a et les représentations foncières tahitiennes. “Une thèse, c’est chronophage, mais ça m’a tellement passionné.”

Tout au long de ses années dans la fonction publique, Éliane Tevahitua a toujours fait preuve de “neutralité politique”. “J’avais mes convictions solidement ancrées, mais il était hors de question de les afficher. En 2013, j’ai eu l’occasion de prendre une retraite anticipée et j’ai reçu un coup de fil d’Oscar Temaru pour être sur la liste du Tavini huira’atira aux élections territoriales. C’est comme ça que j’entre à l’assemblée, qui est un autre monde par rapport à la fonction publique.”

Travailleuse, consciencieuse et présente même quand les représentants ne sont pas en séance, Éliane Tevahitua aura notamment marqué l’institution par ses questions écrites au gouvernement. “Ces dix années ont été merveilleuses et très riches en enseignements.”

Selon un proverbe chinois, “ne soyez pas effrayés de vous transformer lentement, soyez seulement effrayés de faire du sur-place.” Avec la nouvelle maman du gouvernement bleu ciel, aucun risque pendant cette nouvelle mandature de cinq ans.

Tiphaine Isselé