Justice – “Ha’avitesse ! Je veux rentrer chez moi en prison !”

Quand la Présidente lui demande de donner sa version, l'accusé répète qu'il était "possédé" : "c'est le seigneur qui doit me juger". La Présidente répond : "Le seigneur vous jugera peut-être plus tard, mais aujourd'hui c'est cette cour qui va vous juger". (Photo arch. LDT)
(Photo arch. LDT)
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Un homme de 41 ans était jugé en comparution immédiate le 25 mai 2023, pour s’en être pris à son père début avril à Huahine, après un séjour de quatre jours en hôpital psychiatrique la semaine précédente. Très nerveux à l’audience, il a été condamné à un an de prison ferme et à l’interdiction de se rendre en Huahine pendant deux ans à sa sortie.

Une audience tendue pour cette session de comparution immédiate. En cause, un Polynésien de 42 ans en détention provisoire depuis plus d’un mois, qui hurle dans la cellule du palais avant l’arrivée des magistrats. Il faut dire qu’en mars dernier, il avait passé la journée à attendre pour finalement voir son procès renvoyé, le tribunal ayant demandé son expertise psychiatrique.

Après quelques minutes à chercher son avocate, invitée à aller calmer son client, le voilà finalement désentravé, comme le veut la procédure, à côté des autres détenus du jour. Les sourcils froncés, l’air hostile envers quiconque croise son regard, on lit la colère et l’impatience. Après quelques minutes passées sur un renvoi, la procureure invite le tribunal à commencer par son dossier “pour la sérénité de l’audience”, dit-elle.

Appelé à la barre, le prévenu est serré de près par trois gendarmes. Le tribunal rappelle les faits, l’agression, mais surtout les menaces de mort envers son père chez qui il vient d’arriver à Huahine. Depuis qu’il ne vit plus chez sa mère à Moorea, il est SDF, tout comme son petit frère à qui il fait souvent référence.

Au moment des faits, il est saoul et a fumé beaucoup de paka. Il commence d’abord par crier puis, armé d’un couteau, lance à son père : “je vais te découper ! Je vais te tuer !”. A l’arrivée des gendarmes, le père se réveille d’un KO. Il se voit prescrire quelques jours d’ITT. Parti “dans la brousse” lorsqu’il entend une voiture, le fils violent est finalement interpellé quelques instants plus tard. Pendant sa garde à vue, il dit avoir bu dix bouteilles de 50 cl et fumé du paka. Le tribunal l’interroge donc sur ces pratiques.

“Vous dites que vous avez bu dix obus ?” demande le président du tribunal.
“Non, du komo”, répond le prévenu, toujours nerveux, se balançant d’une jambe sur l’autre, le regard fixe vers le sol.
“Combien vous fumez par jour ?”
– “Énormément !”
– “Combien à peu près ?”
– “Deux boîtes par jour”

Une vengeance pour les mauvais traitements qu’il a subis

A la question du tribunal “Qu’est ce qui s’est passé ce jour-là ?”, la réponse du prévenu, qui coupe presque la parole au juge, est fulgurante :
“Je ne regrette pas ce que j’ai fait. Parce que ce qu’il m’a fait quand j’étais petit, c’est pire. Ce qu’il a fait à ma mère, c’est pire !”
Le tribunal relance, et lui demande à nouveau ce qui s’est passé : “Je ne me rappelle plus, j’étais bourré”.

L’audience arrive à l’étape de l’expertise psychiatrique demandée quelques semaines plus tôt. L’attente n’a pas servi à grand-chose. Face au docteur désigné par le tribunal, il ne dit rien, à part son nom et celui de son petit frère.

“Je ne veux pas raconter ma vie à n’importe qui !”, explique-t-il sèchement au président du tribunal, toujours le regard noir et froid, un méchant de western. Le procureur rappelle que l’homme hurle et s’énerve partout, “chez le procureur, chez le psy, dans la cellule du palais”. Il rappelle également son casier, des vols, des agressions sexuelles, et plusieurs actes de violence, puis pointe enfin du doigt l’absence totale de regrets du prévenu sur les faits aujourd’hui reprochés.

La plaidoirie débute et surprend. Son défenseur avoue que son client peut, en effet, “paraître inquiétant”. Elle demande toutefois non pas une peine sèche, comme le souhaite le procureur, mais une peine mixte avec une obligation de soin, “Il en a besoin” dit-elle.

On veut bien la croire, car pendant la suspension de séance avant le délibéré, l’homme s’impatiente, grommelle puis s’énerve de nouveau. “Ha’avitesse !”, crie-t-il à plusieurs reprises, “je veux rentrer chez moi en prison !”

Une vingtaine de minutes plus tard, il est exaucé. Le tribunal le condamne à 18 mois de prison dont six mois avec sursis avec maintien en détention, obligation de soins, et une interdiction de se rendre à Huahine pendant deux ans.

Compte-rendu d’audience Y.P.