L’ex-ministre Christelle Lehartel : “Si on a besoin de moi, je serai là”

Interrogée sur les écoles bilingues, l'ex-ministre indique que les enseignants ont vite compris la différence entre parler et enseigner en reo maohi.
Interrogée sur les écoles bilingues, l'ex-ministre indique que les enseignants ont vite compris la différence entre parler et enseigner en reo maohi. (Photo d'archives LDT)
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Ancienne tavana de la commune de Papara, Christelle Lehartel entre au gouvernement Fritch en 2018 comme ministre de l’Education, de la Jeunesse et des Sports. Sa nomination fait suite à la victoire du Tapura lors des élections territoriales de la même année. Mais avant d’entamer une carrière politique, elle est avant tout une professionnelle de l’enseignement. Plus de trente années de carrière dans le secteur. Retour avec madame la directrice d’école sur ses cinq ans passés à gérer le portefeuille de l’Education du Pays.

C’est avec plein d’idées que Christelle Lehartel fait son entrée au gouvernement en 2018. Une de ses priorités à l’époque : la vie des étudiants. Pour elle, il est impératif de simplifier le parcours de ces derniers dans toutes leurs démarches et formalités administratives. Ce dossier, elle le mettra en place. Malgré les retards pris en raison de la crise sanitaire, le guichet unique étudiant voit finalement le jour en février 2023.

Autre dossier de satisfaction pour l’ex-ministre : la mise en place de classes bilingues à parité horaire. “Dans l’école où je travaillais (avant sa nomination comme ministre, NDLR), dans un quartier prioritaire dans le contrat de ville, je me suis rendue compte que la langue posait problème. Pour atteindre les objectifs de réussite de nos élèves dans les évaluations, on s’est bien rendu compte qu’au niveau de la langue ça posait problème dans toutes les disciplines” témoigne Christelle Lehartel. “Le gouvernement nous a proposé plusieurs dispositifs expérimentaux dans les écoles mais nous n’étions jamais arrivés au bout. Selon les gouvernements qui arrivaient, c’était une priorité ou pas. On a alors senti à l’époque une démotivation de la part des enseignants en raison de cela. On passait notre temps à faire des choses expérimentales.”

A son arrivée au ministère, cette idée d’école bilingue (reo/français) ne l’a pas quittée, précise l’ex-ministre. Lorsqu’elle annonce, en 2019, que de telles classes seront mises en place, encore faut-il trouver les moyens financiers, humains, les outils pédagogiques mais aussi prendre le temps de former les enseignants.

Du côté du corps professoral, les envies de participer au projet sont réelles, indique Christelle Lehartel. Grâce à un partenariat Pays/Etat, le projet voit alors le jour. Dès la rentrée 2019, les écoles de Maatea à Moorea, de Tiva à Tahaa, le CJA de Paea et le collège d’Afareaitu à Moorea bénéficient de ce programme. Aujourd’hui, pour la plus grande satisfaction de l’ex-tavana, le programme existe dans tous les archipels, avec la prise en considération des dialectes propres à chacun d’entre eux.

Christelle Lehartel (au centre), en 2020, lors d’une réunion sur les écoles bilingues à parité horaire français-langues polynésiennes. (Photo : Présidence de la Polynésie française)

“Le Tavini a une autre vision sur la protection des langues

Concernant la continuité de ce programme par le nouveau gouvernement, Christelle Lehartel estime que le Tavini “a une autre vision sur la protection des langues.” “Sur les école immersives (souhaitées par le Tavini, NDLR), on ne partage pas le même avis” explique-t-elle. “Une école immersive est à 100 % en reo. Je ne suis pas convaincue que les parents l’adoptent. C’est une interrogation sur le long terme. Je ne sais pas si les enseignants sont prêts. Quand on a commencé les écoles bilingues, tous étaient volontaires, mais ils ont vite compris que parler et enseigner en reo, c’était totalement différent.

L’ex-ministre a-t-elle des déceptions après ses cinq années à l’Éducation ? Christelle Lehartel reconnaît que la gestion du décrochage scolaire est l’une d’entre elles. “Après la crise Covid, on a eu beaucoup de décrochage scolaire. On a réussi à faire revenir environ 1000 élèves qui avaient décroché dans le premier et le second degré. J’allais rencontrer les familles. Certaines étaient gênées de faire revenir les enfants à l’école suite au retard pris par certains d’entre eux.”

Autre dossier au goût d’inachevé pour l’ex-ministre : son projet de réforme des Centre des jeunes adolescents (CJA). “On voulait revoir le type de formation. Il faut garder ce dispositif car cela permet de lutter contre le décrochage scolaire. C’est un bel outil qui n’existe qu’en Polynésie française. C’est un combat avec l’État pour maintenir cela.”

Après sa passation avec son successeur Ronny Teriipaia, le 16 mai dernier, Christelle Lehartel reprendra le chemin des classes dès le mois de juin. Le 12 juin, elle prendra ses fonctions de directrice d’école à Teva I Uta. Sur le plan politique, elle reste fidèle au Tapura, avec pour ligne de mire les élections communales de 2026. Avant de conclure : Si on a besoin de moi, je serai là.”

“64,9 milliards de francs par an pour l’éducation : vous allez chercher ça où ?

Interrogée sur la défaite du Tapura aux élections, l’ex-ministre ne cache pas sa déception lors de l’annonce des résultats le 30 avril dernier. Sur les potentielles raisons de la défaite, Christelle Lehartel répond : “En ayant fait le terrain, il m’était souvent remonté le mariage à Teva I Uta, les personnes non vaccinées, l’exemplarité. C’est le retour que j’ai eu dans les quartiers. Le bon bilan de la gouvernance n’efface pas cela. Peut-être que la population avait envie d’un changement.”

Concernant l’alliance Tapura/Amuitahiraa de l’entre deux tours et son passage de la cinquième place à la treizième, sur la section deux des îles du Vent, au profit de Katty Taurua, elle explique que, tout comme sa consœur Virginie Bruant, c’est elle qui a proposé d’effectuer ce changement. “J’ai proposé de changer. Vu les résultats, il fallait trouver toutes les stratégies possibles et imaginables pour gagner ces élections. Il fallait placer des gens du Amuitahiraa sur notre liste.”

Face à la victoire du Tavini, celle qui retrouvera les bancs de l’école d’ici peu, dit avoir des craintes : “La nouvelle génération du groupe Tavini huiraatira communique très bien mais je pense qu’elle ne rentre pas suffisamment en profondeur car leur but, au bout du bout, c’est vraiment de demander l’indépendance.” Et de s’interroger, si le Pays devait un jour être indépendant : “64,9 milliards de francs par an (de l’État, NDLR)pour l’éducation : vous allez chercher ça où ?”

“On a testé les remplacement via visioconférence

Un autre gros dossier qui touche le ministère de l’Education, quelque soit le gouvernement : le problème de l’absentéisme des enseignants. Christelle Lehartel reconnaît la complexité du sujet : “On a commencé à travailler sur le problème. On s’interrogeait sur les causes de ce problème d’absentéisme. On retrouvait comme raisons un mal-être au travail, des difficultés rencontrées par des enseignants avec des chefs d’établissement, des problèmes de gouvernance… On a alors mis en place des séminaires sur le bien-être à l’école. Dans le premier degré, c’est plus simple de faire des remplacements. Dans le second degré, c’est bien plus difficile. On a testé les remplacements via visioconférence par exemple. On nous a proposé d’installer une brigade mobile de remplaçants dans le second degré. Mais ce n’est pas évident de trouver des enseignants pour le collège, pour le lycée. Ce n’est pas facile de trouver des professeurs dans toutes les matières. Comme première solution apportée, la tendance a été de remplacer en interne, c’est-à-dire au sein même de l’établissement du professeur absent.”