Directeur des aéroports de Marseille, d’Orly et de Charles de Gaulle, directeur de l’Ecole nationale de l’aviation civile (ENAC) à Toulouse, directeur des opérations aériennes, consultant en aéronautique… il ne manque que peu de casquettes à Marc Houalla. A part peut-être celle de directeur de compagnie aérienne. Celui qui a plus de trente années d’expériences dans l’aviation civile est, depuis le 15 septembre 2022, directeur du service d’État de l’aviation civile (SEAC.PF) en Polynésie française. Rencontre.
Le SEAC a pour missions, en plus du développement de l’aviation civile en Polynésie française, de gérer les activités de sécurité et de sûreté, du domaine de l’aviation civile, sur les 47 aérodromes que compte la Polynésie française, dont le plus important, celui de Tahiti-Faa’a. Marc Houalla, pour assurer l’ensemble de ses missions, peut compter sur 220 collaborateurs et trois entités : un département de la surveillance, un service de la navigation aérienne et un département des ressources et de l’ingénierie.
La partie sécurité, explique Marc Houalla, est un des pôles les plus importants de ses missions et de celles de ses collaborateurs : “Il faut vérifier que toutes les activités se font conformément à la sécurité. Vérifier que la sécurité est bien appliquée sur les aérodromes de l’État et du Pays. Si je pense que la sécurité et la sûreté ne sont pas bien appliquées sur l’aéroport, je peux faire stopper le fonctionnement de celui-ci.”
Ces missions ne s’arrêtent pas à cela. Celui qui a décidé de mettre ses compétences au service de la Polynésie française, donne l’exemple des débuts d’exploitation d’Air Moana : “Quand Air Moana a voulu se constituer en compagnie aérienne, c’est au SEAC qu’elle a apporté tous les documents nécessaires, à travers lesquels on a regardé qu’elle avait bien les compétences techniques, managériales, et l’ensemble des éléments qui pouvaient la faire opérer, en toute sécurité pour les passagers, comme compagnie aérienne. C’est nous qui avons validé le dossier et l’autorisation d’exploitation.”
“Aujourd’hui, il y a de “l’aviation bashing”, surtout sur l’aviation d’affaire”
En matière de développement pour l’aviation civile du territoire, Marc Houalla est définitivement dans l’ère du temps. Lucide sur la prise de conscience de la population concernant les questions environnementales et les émissions de gaz à effet de serre surtout depuis la crise sanitaire, les aéroports et les vols “verts”, sont, selon lui l’avenir.
Et le Pays a des ressources insoupçonnées pour être précurseur en la matière : “Aujourd’hui, il y a de “l’aviation bashing “, surtout sur l’aviation d’affaire. Ce “bashing” a un impact sur l’aviation en général. Il faut envisager un aéroport à Tahiti avec zéro émission de CO2. Cela est envisageable avec un SWAC (climatisation par eau de mer des profondeurs, Ndlr) et du fonctionnement total photovoltaïque, qui assure que l’électricité dont on se sert est bien décarbonée.” Il ajoute, comme autre projet en tête : la mise en place de navettes à propulsion électrique pour l’ensemble des employés de l’aéroport.
Concernant les vols verts, là aussi il y a des solutions pour le directeur du SEAC. Et le Pays a, selon lui, une carte à jouer : “Pour les avions de moins de dix-neuf places, on pourra être un jour sur du 100 % électrique. Pour des avions de dix-neuf à quatre-vingt places, on aura probablement recours à une technologie hybride. Sur les moyens porteurs, comme un Airbus A320, on utilisera plus probablement des piles à hydrogène.” Quid des gros porteurs ? Marc Houalla répond : “il sera très difficile, voire impossible, de recourir à l’hydrogène mais une autre alternative s’offre : le carburant alternatif durable. Ce carburant est produit à partir de la biomasse, soit l’ensemble des matières organiques pouvant devenir des sources d’énergie. Aujourd’hui, cela est encore trop peu utilisé car la biomasse n’existe pas assez en grande quantité dans le monde. Sauf qu’à Tahiti, 40 % de la biomasse verte n’est pas réutilisée.”
“Les touristes pourraient dire qu’ils arrivent sur un aéroport vert“
“Ne pourrait-on pas utiliser cette biomasse pour créer ce carburant ?“, s’interroge l’ex-directeur de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Avant d’ajouter : “Ainsi, depuis Tahiti, les avions seraient chargés en carburant vert. Les touristes pourraient dire qu’ils arrivent sur un aéroport vert.” Marc Houalla informe, sur ce sujet, que des recherches de financements pour lancer l’étude d’une unité de production en Polynésie française ont été initiées.
En plus de ces idées et des projets, il est aussi urgent, pour le directeur du SEAC, que d’importants travaux soient initiés sur la plateforme aéroportuaire de Tahiti. Pour lui, la période liée à l’appel d’offres et à la concession de l’aéroport de Tahiti-Faa’a a créé de l’instabilité, avec pour conséquence un non-investissement, pourtant nécessaire.
Toujours selon Marc Houalla, il y a plus de quatre années de sous-investissements, notamment liées au dossier de la concession. Situation et non-investissement qu’il admet ne pas comprendre : “Aujourd’hui, il existe dans le cahier de concession actuel la possibilité d’investir. Les investissements qui n’auront pas été totalement amortis par le concessionnaire ayant investi, sont récupérés par le prochain concessionnaire à la valeur nette comptable, c’est-à-dire à la valeur de l’investissement, moins ce qui a été déprécié en amortissement. Il n’y a aucun risque économique pour le concessionnaire qui investit.“
Aéroport des Marquises: “il ne supporte aujourd’hui pas
un gros porteur ou moyen porteur”
Marc Houalla explique que pour le moment, il n’y a eu ni présentation de chiffres ou d’études concernant le projet d’aéroport international à Nuku Hiva. Il précise qu’aujourd’hui, l’estimation du coût d’un tel projet est une inconnue. Selon lui, les travaux seraient considérables : “cet aéroport ne supporte aujourd’hui pas un gros porteur ou moyen porteur comme un Airbus A320 par exemple. Je pense qu’on n’a pas encore tiré toutes les capacités de l’aéroport de Tahiti.” L’ancien patron de l’aéroport d’Orly, sans exclure aucun projet, considère qu’il est peut-être préférable de se focaliser d’abord sur Tahiti-Faa’a, et de développer son potentiel de “Hub aéroportuaire”.
“Y’a-t-il un pilote dans l’avion?”
Interrogé sur un futur sans pilote dans les avions, Marc Houalla apporte deux réponses. Une sur la question technique :“Oui j’y crois. On a les moyens de précision techniques pour faire décoller et poser des avions sans pilote. J’ai d’ailleurs travaillé sur la mise en place d’eVTOL. Il s’agit d’une espèce d’hélicoptère électrique de 4 personnes, sans pilote. Ils seront opérationnels entre l’aéroport Charles de Gaulle et le Bourget, ainsi qu’entre Charles de Gaulle et Austerlitz durant les Jeux Olympiques de Paris 2024.” Son autre réponse concerne l’aspect psychologique d’un avion sans pilote : “Maintenant, psychologiquement, est ce que les passagers seraient d’accord ? C’est beaucoup plus compliqué. Un pilote est là pour rattraper manuellement les failles techniques de la machine. Je suis moi-même pilote. Et parfois, j’ai débranché le pilote automatique pour reprendre la main lorsque le comportement de l’avion me semblait étrange.”
Des projets à venir avec le lycée Diadème
L’ex-directeur de l’École nationale de l’aviation civile croit en la méritocratie républicaine. Il assure vouloir rendre ce que l’enseignement républicain lui a donné. Il informe que le SEAC va s’impliquer dans les enseignements du brevet d’initiation à l’aéronautique (BIA) délivrés par le lycée Diadème. Objectif : susciter de l’intérêt pour le monde de l’aviation civile chez les jeunes, afin si possible d’envisager la création future de filières aéronautiques en Polynésie française.