Tribune – “Aiaiaiaaa !!! Vous avez dit : Prions ?”, par Simone Grand

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“Le profane, noa, est aussi respectable que le sacré, tapu.

Les mots profanes acceptent d’être malaxés, triturés, à condition d’être définis. Définir limite les malentendus et ouvre à la pensée un champ infini de prospection aux résultats à librement discuter dans le respect mutuel. 

Quand des mots sont sacrés, ils ne se discutent plus, ils s’imposent, discriminent, désignent des saints intouchables et des coupables de blasphèmes. Ils ligotent la pensée au nom d’Une Vérité.

En campagne électorale ici, souvent, un préposé à la prière et aux versets bibliques intervient dès qu’une question risque de mettre le candidat en difficulté. Dépositaire de mots sacrés, il les brandit pour tuer la discussion.

Les guerres entre catholiques et protestants furent si monstrueuses de sauvagerie sanglante que la laïcité fut instaurée en France pour séparer la religion de la politique, le sacré du profane. La laïcité protège toutes les religions contenues dans le cadre privé. Elle protège la sphère publique des  tentations au totalitarisme de tout porteur de Vérité.

Aussi, quelle tristesse de voir l’instauration de la prière à l’Assemblée de Polynésie française. Pays où le nombre de lieux de prières et de culte au km2 est inégalé ! Pays où, sans gêne, la prière s’impose à tout bout de ruban coupé d’exposition, de spectacle, d’événement ou réunion.

Nos gouvernants refusent les leçons de l’Histoire et nous manquent de respect.

Il n’y a pas si longtemps, un de nos ténors en déclarations péremptoires proclamait l’idée d’une spécificité spécifique polynésienne, sans en avoir isolé le gène : “le Polynésien est profondément religieux” ! En vrai raciste convaincu qui s’ignore ! Il n’est pas le seul. Hélas !

Si la prière est efficace pour apaiser des tensions, les bûchers de Faaite ont prouvé que l’abus de prière est nocif à la santé mentale individuelle et collective. Comme pour tout remède ou aliment, la juste mesure est préconisée. Nos feti’i de Faaite ont agi comme les  croyants de religions monothéistes au Moyen-Orient aujourd’hui et en Europe et Amérique hier.

Aujourd’hui, ici, la contamination par le sacré s’exacerbe. D’aucuns rivalisent à accoler à tout et n’importe quoi les termes “sacré” et “ma’ohi” qui provoquent en eux une exaltation jouissive évidente.

Le pareu fut fabriqué à partir du tapa, une étoffe, à une époque où l’aiguille à coudre n’existant pas, la seule possibilité offerte pour s’en vêtir était le drapé autour de la taille, au-dessus des seins ou par dessus l’épaule. Donner une dimension sacrée à ces solutions pratiques me semble aussi ridicule que de déclarer que le mono’i est sacré.

L’huile obtenue à partir de la noix de coco fraîche n’est pas plus sacrée que celle obtenue à partir de la noix séchée (coprah). Par contre, il peut y avoir des préparations spéciales pour des rituels sacrés. Mais tout sacraliser c’est tout vulgariser.

Quand tout est sacré, plus rien ne l’est.

Dans chaque société humaine, il existe une sphère relevant du sacré et une autre relevant du profane. La gestion des limites entre le visible et l’invisible est un art exigé des gouvernants et des tahu’a. Les uns et les autres se posent en effet, en “guérisseurs” de nos maux.

Souvenons-nous aussi : le mot ma’ohi = indigène, autochtone. Donc, chaque pays a ses ma’ohi.

Tout pouvoir offre tant de tentations à l’omniscience et à l’omnipotence que les gouvernés ne doivent jamais abdiquer leur discernement.  

‘Ia maita’i”

Simone Ta’ema Grand