
Depuis 2020, Auguste Buluc a tout misé sur les holothuries, en commençant par une espèce locale de rori blanc à mamelles : holothuria fuscogilva. En partenariat avec l’Ifremer et la Direction des Ressources Marines, sa société, Tahiti Marine Products, est pionnière dans cet élevage aquacole. « On est passé de 30.000 à 350.000 juvéniles sortis d’écloserie entre 2021 et juin 2023. On commence à maîtriser la technicité », remarque le directeur d’exploitation, Laurent Burgy, quant aux dernières avancées en matière de production présentées le mardi 13 juin 2023, à Vairao, en présence de plusieurs représentants officiels.
Premiers débouchés en Asie et au Moyen-Orient
Prochaine étape indispensable pour la rentabilité de l’entreprise : la commercialisation. C’est à Singapour que les premiers compléments alimentaires devraient être écoulés prochainement. Le marché asiatique est friand des holothuries, notamment réputées pour leurs vertus nutritionnelles, anti-oxydantes et anti-inflammatoires. Les recherches se poursuivent pour isoler les molécules et cibler leurs propriétés à des fins cosmétiques. Tahiti Marine Products a d’ailleurs remporté un financement en matière d’innovation durable lors de l’Expo City Dubaï, suivie d’une invitation à la COP28 sur les changements climatiques prévue dans la ville-émirat, en décembre prochain. Pour la jeune société polynésienne, ce sera l’occasion de présenter ses produits nutraceutiques et cosmétiques, ainsi que son projet de développement en matière de santé et d’économie locale.


Les débouchés thérapeutiques et pharmaceutiques sont plus lointains, mais ambitieux et chargés d’espoir. « J’aime l’approche holistique de ce projet, à la fois pour le bien-être et les soins. Quand on sait combien coûtent le diabète et les maladies liées à l’obésité en Polynésie… C’est un projet d’avenir porté par des locaux qui ont eu des expériences liées à des problématiques de cancer. Ils sont déterminés à avancer et leur plan de développement mise sur des emplois dans les îles dans le secteur de la mer. C’est complètement adapté à la Polynésie », analyse Pauline Niva, présidente de la commission santé, social et emploi à l’assemblée territoriale.
Surmonter les coûts pour produire dans les îles
Pour que la production soit à la hauteur de la demande, en complément de la future zone bio-marine de Faratea, Tahiti Marine Products souhaite effectivement confier le grossissement des rori titi en enclos marin à des centaines d’habitants des îles, moyennant salaire contre surveillance et entretien. Problème : la construction des cages lagonaires s’annonce très coûteuse. Des recherches de financements sont en cours, via le plan d’investissement national France 2030, notamment.


Un appel a également été lancé à l’intention du gouvernement, qui était représenté par le ministre du secteur primaire, en charge de la recherche. « C’est un projet totalement innovant. C’est la première fois que des étapes d’écloserie et de croissance de l’holothurie sont finalisées, donc en tant que scientifique nouvellement ministre, c’est un projet que je félicite et que j’admire. Je vais en faire la communication en conseil des ministres auprès de Moetai Brotherson pour soutenir cette filière. On le sait : la recherche et développement sont des secteurs difficiles et fragiles. Pour un pouvoir public, il est important de soutenir cette valorisation, pas que pour l’alimentation, mais aussi pour des vertus cosmétiques et potentiellement thérapeutiques, qui apportent une valeur ajoutée à un produit local », estime Taivini Teai.
Les tests se poursuivent dans les lagons de plusieurs îles et communes, dont Raiatea, Taiarapu-Ouest et Teva I Uta. D’autres pistes d’optimisation seront explorées, comme le positionnement des enclos de rori sous les lignes d’huîtres perlières ou en association avec les rahui. L’équipe s’est ajouté un défi supplémentaire avec le lancement imminent des premiers essais de production sur une espèce sœur en provenance de Rimatara : le rori titi noir.
Hereroa Johnston, scientifique spécialisé en recherche et développement :

« Des pistes de développement contre les syndromes métaboliques »
« Je suis de Tahiti et j’ai intégré l’équipe en novembre 2022. Je suis parti en France pour faire un BTS en bio-technologie, puis une licence, un master et un doctorat à l’université Côte d’Azur. J’ai effectué ma thèse dans un institut de recherche sur le cancer en travaillant sur des invertébrés marins, dont l’anémone de mer. J’ai aussi étudié les nudibranches à l’université de Californie, en post-doctorat.
L’objectif de nos recherches, c’est de développer des produits pour aider la filière à aller plus loin, notamment avec des médicaments. En pharmacologie, les procédés durent en moyenne entre 10 et 12 ans. C’est pour ça que la stratégie de valorisation de TMP est de travailler dans un premier temps sur la cosmétique et les compléments alimentaires. C’est plus court à mettre au point et plus grand public. Sur les juvéniles, nous avons déjà des pistes de développement contre les syndromes métaboliques en lien avec le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires. On a aussi étudié la biologie des holothuries pour extraire des molécules sans les sacrifier pour la cosmétique ».
Larry Tchiou, en charge du développement commercial :

« Des compléments alimentaires pour commencer »
« J’ai rejoint l’équipe récemment pour m’occuper des partenariats, notamment internationaux. J’ai grandi en Polynésie, où je suis revenu il y a quatre ans, après avoir été aux États-Unis et en Asie. J’ai été consultant en système d’information à Singapour, puis dans le développement de start-up.
Le développement commercial démarre tout juste avec des compléments alimentaires, pour commencer. On a constitué une société sœur à Singapour avec des partenaires locaux, dont un Polynésien. Elle va être en charge de l’import et de la transformation finale, après une première transformation au Fenua. Des échantillons sous forme de gélules 100% holothuries sont attendues ici entre fin juin et début juillet. On mise sur le marché singapourien, parce que la médecine traditionnelle chinoise reconnait les vertus nutraceutiques des rori, qui sont habituellement consommés en Asie. Notre approche se veut durable et pratique. Les premiers retours sont excellents. Le marché est très important avec 5,5 millions d’habitants à fort pouvoir d’achat. C’est le meilleur endroit pour se lancer, en tant que plaque tournante de l’Asie ».