
“Aujourd’hui, l’identité se résume aux prénom et nom.
L’appropriation des prénoms par des étrangers blesse et déstabilise.
Identité est traduit iho ta’ata. Iho = “nature, essence de l’homme”. Or, Le concept nature/culture n’a aucun sens dans la pensée océanienne. Dans les mythes des origines, le visible et l’invisible, le vivant et le minéral, les éléments et les phénomènes forment un continuum.
Au Tiurai, les groupes de chants et danses déclinaient leur identité en disant leur ‘Āi’a, ses repères géographiques et temporels, le marae sacralisant l’espace, le lieu de réunion et autres points remarquables. Chefs, chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses, musiciens et costumiers savaient et vivaient ce qu’ils disaient, dansaient et chantaient.
Aujourd’hui, ça joue trop souvent à faire la belle ou le beau.
Du sommet de la montagne au trou à thons au-delà du récif, le ‘Āi’a permettait à un groupe d’ascendance commune de se nourrir, s’abriter, se vêtir, fabriquer des outils, rêver, s’entr’aider, s’aimer, se haïr, chanter, danser, gérer les tensions: faire société.
La réorganisation spatiale à la mode continentale spolie et désoriente.
Il m’arrive d’être sollicitée par des professionnels se sentant démunis devant des attitudes dites “culturelles” par des personnes en difficulté de vie. Etrange comme le mot “culture” génère parfois une impuissance teintée de culpabilité chez des intervenants très compétents et conscients d’être dans le même temps, manipulés par leurs interlocuteurs.
“Culture” est devenu un mot magique. Comme ma’ohi. Tels des mots sorts, parau taora
De quelle culture parle-t-on? Car, nulle part n’est enseignée l’Histoire qui a fait de nos îles ce lieu où, à tout instant il peut vous être demandé de baisser la tête, fermer les yeux et prier Jéhovah. Dans ces litanies mal polies car imposées au nom de la culture, même à celles et ceux qui n’y croient pas, ça déroule une généalogie totalement étrangère à l’identité des personnes réunies. Mis à part ceux d’origine juive, nul ne descend d’Abraham Isaac et Jacob. Quant à la prière : “L’Eternel est mon berger…” Plus exotique que ça tu meurs. J’ai découvert le troupeau de moutons et son berger ou sa bergère à 15 ans, en France. Avec la télé et la fréquence des voyages, l’exotisme et l’étrangeté de la formule sont certes atténués, mais demeurent.
Nulle part ne sont enseignées la flore et la faune locales. Dans les écoles et crèches sont surtout affichés le magique Disney World. On y étudie aussi le sucre comme en Europe en zappant le sucre de canne, tō et de cordyline tī…
En 1998-99, je fus directrice du Centre Polynésien des Sciences Humaines. Cauchemardesque période où je réussis malgré tout, grâce à une stagiaire du Centre Beaubourg et une partie du personnel, à organiser une exposition sur le purau, Hibiscus tiliaceus. Arbre ultra commun et essentiel à la vie polynésienne traditionnelle. Beaucoup d’enseignants, d’enfants et d’adultes le découvrirent ainsi. Une vraie fête! Nul n’a repris l’idée. Dommage.
Le vide sidéral de la majorité des ‘orero scolaires tonitruants des années précédentes m’a fait zapper ceux de cette année.
J’aimerais tant voir et entendre célébrer la vie toute simple, les plantes tels le ‘uru, le purau,… les animaux tels le porc, le chien, le vini, la carangue, le requin etc. Avec des mots simples. Sans hébraïsmes, ni hellénismes ni anglicismes. En toute simplicité joyeuse.
Notre exceptionnelle insularité océanienne.
‘Ia maita’i”
Simone Ta’ema Grand