Il est rare que l’on se souvienne des initiateurs d’une réalité devenue banale.
Jusque dans les années 1980, les seuls bateaux à affronter l’au-delà du récif étaient les bonitiers et poti marara. Pêche côtière. Le développement de la pêche hauturière fut l’objet de moult tentatives.
Apprenant de ces échecs, une petite équipe du service de la pêche menée par Bruno Ugolini, associée à des chercheurs de l’ORSTOM et de la Commision du Pacifique Sud, décida de défier les certitudes.
La population croyait que le poisson sur glace n’était pas frais. Faire accepter la glace paillette fut gageure! Une autre forte croyance était tonitruée: “Les Tahitiens sont incapables de rester plus d’une nuit en mer!” Ce qui est vrai s’ils n’ont ni couchette où dormir, ni argent à ramener à la maison et n’ont qu’un petit bol de riz au repas.
Certains de nos spécialistes auto-proclamés ramenèrent du Japon, un bateau qu’ils me firent visiter. Mon mètre 58 n’arrivant ni à s’y tenir debout ni à se déployer sur une bannette, un irrépressible fou rire me saisit. Vexés ils furent.
Des pêcheurs rejoignirent l’équipe qui recueillit et interrogea des données. Un programme de développement intégré de pêche hauturière fut élaboré incluant : l’évaluation de la ressource, sa localisation, comment y accéder, la gérer, capturer, conditionner et commercialiser.
L’on s’interrogea sur un type de bateau adapté à notre réalité géographique et à la stature de nos hommes devant y vivre plusieurs jours. Les chantiers Piriou de Concarneau et celui naval du Pacifique de Christian Perez le mirent au point avec bonheur.
Fut pensée la formation des hommes à la construction, la maintenance et la réparation des navires ; à l’utilisation des appareils électroniques d’aide à la navigation, au repérage et à la capture du poisson à manutentionner, conditionner, conserver et vendre.
Nous surprenant dans nos cogitations, d’aucuns tempêtaient indignés : ” Faut-il y avoir de l’argent public à fiche en l’air pour vous payer à faire des plans sur la comète!” Christian Perez et d’autres comprirent que c’était possible. Les ministres Alexandre puis Boris Léontieff et donc le Territoire, la Socredo et l’Etat ont soutenu.
Gilles Leboucher sur Areva Manu et Claude Cassel sur Tahiti Nui furent capitaines armateurs pionniers. L’attention portait sur le retour d’expérience pour améliorer ces prototypes. C’était sans compter papa Noël qui battit les Léontieff aux élections. Il fit venir des Chinois pour les copier et en construire plusieurs… convoyés par le GIP qui intéressa les tribunaux… Distribués selon le bon plaisir du souverain, beaucoup pourrirent dans le port.
Malgré ce sabotage d’envergure, d’autres poursuivirent l’impulsion discrètement, efficacement, chacun à sa manière.
Dorénavant, même en saison de pénurie, tau ‘oe, l’on trouve sur les étals, du poisson de haute mer dont on se régale en préparations traditionnelles et originales.
Ainsi sommes-nous, souvent pétris de croyances paralysantes. Qu’elles soient disqualifiantes ou hyperqualifiantes, ces croyances doivent subir l’épreuve de la méthode pour permettre l’épanouissement de chacun et tous. Et surtout, méfions-nous des omnipotents omniscients.
Comme Maui l’impertinent, questionnons sans trêve.
Rendons hommage à Christian Perez, son épouse Bella, leurs enfants, leur équipe et tous ceux qui relevèrent le défi de la pseudo incapacité congénitale polynésienne…
Une belle aventure sans fin.
‘Ia maita’i
Simone Ta’ema Grand