
Après plusieurs renvois et deux mois passés en détention provisoire, le “ministre des Affaires de terre et porte-parole du roi Pakumotu” a été libéré et placé sous contrôle judiciaire le 4 juillet 2023 par le tribunal. Il lui est reproché l’occupation illégale de deux terrains qu’il revendique “au nom du roi” à Moorea et Paea, en 2022 et 2023, ainsi qu’une violation de domicile et des violences. À l’issue d’une audience pittoresque, le prévenu a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire jusqu’au 2 octobre prochain, le temps de réaliser une nouvelle expertise psychiatrique sur cet ancien policier de 60 ans, dont “les troubles délirants” ont été mis en avant.
On ne juge pas n’importe qui en comparution immédiate le 3 juillet 2023. L’homme de 60 ans, cheveux et barbe blanche, la main sur le cœur toute l’audience, présente au tribunal une sacrée carrière et ses éminentes fonctions. Cet ancien policier retraité dit avoir travaillé pour le gouvernement de Gaston Flosse avant de devenir garde du corps de l’ancien président. Il a depuis quelques années changé de guru puisqu’il est, selon lui , “ministre des Affaires de terre, chargé des litiges fonciers et des expulsions“, et “porte-parole du roi Pakumotu” Athanase Teiri et sa couronne de galette des rois.
Le royaume fournit régulièrement du travail aux magistrats depuis une quinzaine d’années. Quelques incidents avec des membres de la milice du royaume auraient pu être très graves, comme lorsqu’en 2014 on tire sur les gendarmes venus interpeller le souverain. Il ne reste en 2023 qu’une poignée d’hommes et de femmes à la cour de Frangipane 1er, qualifiés de “moutons soldats” par l’une des proches du prévenu pendant l’enquête.
Lors du dernier renvoi le mois dernier, le tribunal fait appel à la Direction territoriale de la police nationale ale (DTPN) pour sécuriser le palais, par peur de l’arrivée de militants venus soutenir leur ministre, aucun n’est là, si bien que l’audience se tient sans aucun renfort ce 3 juillet. Il est reproché à cet accroc de la fantasque monarchie d’avoir revendiqué puis procédé à une véritable saisie de deux terrains. À Paea en 2022 tout d’abord, ou il s’en était pris à la personne chargée des travaux sur place. Elle s’était fracturée l’épaule après une chute. Même procédé en 2023, lorsqu’il viole le domicile d’une propriétaire de Moorea pour installer des adeptes sur le terrain et dans la maison qui s’y trouve. Il lui est aussi reproché d’avoir systématiquement refusé les prises d’empreintes ou les tests ADN obligatoires pendant ses gardes à vue. “J’ai refusé car ils n’avaient aucun droit sur moi“, dit le pseudo-ministre à propos des gendarmes d’une République qu’il ne reconnaît pas. Il a toujours refusé de s’exprimer en français.
Comment régler les problèmes de terre en trois leçons
Le procédé expliqué et défendu par le prévenu est radical et rapide. Une efficacité à faire pâlir de jalousie nos affaires foncières qui se battent parfois des décennies pour régler des problèmes d’indivision, même Joinville Pomare pourrait en prendre de la graine. Chez les Pakumotu étape 1, le roi à breloque revendique une terre puis le notifie au Haut-commissaire. Étape 2, notre responsable en litiges installe un petit panneau sur la parcelle visée, synonyme d’avis d’expulsion. Etape 3, dès que les occupants s’absentent, des membres de la cour s’installent sur place. Si cela peut prêter à sourire, il ne faut pas oublier le calvaire des propriétaires. La plaignante de Moorea, par exemple, a dû attendre plus de deux ans pour pouvoir accéder à la maison qu’elle avait pourtant légalement achetée aux enchères.
Si les faits sont reconnus par le prévenu qui se dit “sain d’esprit“, une expertise tend pourtant à présenter un homme victime de troubles délirants “enkystés” qui démontrent, selon le psychiatre, une abolition du discernement. Un premier diagnostic dénoncée par les parties civiles, qui égratignent au passage “Le roi absent“, citant Moetai Brotherson, pour signaler que celui qui envoie le commettre des délits, c’est un roi qui non seulement s’arrange pour ne jamais comparaître, mais qui, en prime, reporte toute la faute sur son ministre, indiquant pendant l’enquête que sa majesté n’a jamais donné d’ordre pour ces occupations du bien d’autrui.
““Il vit totalement dans un monde parallèle“”
Le procureur lui aussi estime que l’homme, “qui a déjà été inséré dans la société” est tout à fait apte à être jugé. “Je ne vois pas en quoi nous avons à faire à un aliéné mental“, ajoute-t-il, avant de requérir 12 mois de prison ferme. C’est la plaidoirie, ou l’avocate place d’entrée l’anosognosie de son client, un déni de réalité du prévenu sur les pathologies dont il souffre. Pour son avocate, “il vit totalement dans un monde parallèle“. Le tribunal l’entend, et ordonne une nouvelle expertise qui sera effectuée prochainement par le docteur Roland Coutanceau. Cet expert en psychiatrie et psycho-criminalité, président de la Ligue française pour la santé mentale, viendra prochainement, comme chaque année, réaliser une série d’expertises judiciaires. Le prévenu est de nouveau convoqué au tribunal le 2 octobre prochain. Son contrôle judiciaire lui interdit de se rendre sur les lieux des deux faits reprochés. Alors que le prévenu indique qu’il a eu des problèmes en détention, la présidente du tribunal est directe : “Je ne suis pas votre reine, mais si vous recommencez […] la justice que vous ne reconnaissez pas vous enverra tout de même à Nuutania”.
Y.P