La Dépêche invite ses lecteurs à une immersion profonde en trois volets dans le plus grand cimetière du fenua, le plus connu aussi tant il incarne le souvenir de celles et ceux qui ont fait la gloire du fenua, de 1843 à nos jours : le cimetière de l’Uranie à Papeete.
A la suite de “Cimetière de l’Uranie (1-3), 14 hectares de mémoire au coeur de Papeete” puis “Cimetière de l’Uranie (2-3), 17 000 sépultures et un problème de place” voici le dernier volet.
L’histoire du cimetière de Papeete est intimement liée à la présence de la Marine française qui, à cette époque, mouillait non loin de l’îlot Motu Uta, en référence à l’Uranie, une ancienne gabare construite en 1811 à la Ciotat (près de Marseille) puis armée et requalifiée en Corvette cinq ans plus tard pour un périple autour du monde.
Ce navire n’a d’ailleurs pas laissé que de bons souvenirs aux Polynésiens puisqu’il prit part en 1846 à une bataille dans l’île de Huahine contre ses habitants qui refusaient d’accepter le protectorat français. Une vingtaine de marins français dont le capitaine de vaisseau Clappier y laissèrent la vie et leurs dépouilles reposent encore dans un tombeau à Maeva (source Tahiti Héritage).
De Dupetit-Thouars à Tanerii Mauri
Mais la Marine nationale, qui dispose de son propre mausolée au deuxième étage sous la garde de deux imposants canons qui font face à la mer, n’est pas la seule à honorer ses valeureux combattants. Dans le même périmètre figurent, en effet, trois autres carrés dédiés à différents corps d’armée: les défunts de l’infanterie coloniale, les anciens militaires des 1er et 2ème Bataillon du Pacifique, sans oublier ceux du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP).
Parmi les noms célèbres, retenons celui de Robert, Auguste, Michel, JP Dupetit-Thouars (1898-1948) qui fut le premier commandant de la Marine des Etablissements français de l’Océanie. Mais tous n’ont pas eu la chance de “tomber” sur le sol qui les a vu naître ! C’est le cas de Jean-Baptiste Céran, mort le 4 janvier 1917 à Fremantle en Australie, puis plus récemment le Brigadier-chef Tanerii Mauri tombé sous les balles des djihadistes le 28 décembre 2020 au Mali. Mais la France reconnaît la valeur de ses héros, raison pour laquelle leurs dépouilles ont été rapatriées.
L’hécatombe due à la grippe espagnole
Par ailleurs, le cimetière de l’Uranie est marqué à tout jamais par une terrible épreuve peu connue du grand public. Car en effet, si l’ouverture grandissant sur le monde a produit de nombreux bienfaits pour la communauté polynésienne, elle a également engendré de grands malheurs comme celui provoqué en novembre 1918 par l’épidémie de “grippe espagnole”.
Avec toujours le même scénario: un bateau de marchandises, le Navua, en quarantaine à Motu Uta, d’où s’est échappé le virus “par maladresse”. Sur les 30 000 habitants que comptaient alors les Etablissements français de l’Océanie (EFO), près de 3 000, soit 10% de la population, succombèrent, selon plusieurs historiens mais les chiffres varient selon les sources. Plutôt “entre 20% et 50% de la population” selon Allegra Marshall qui estime, sur la base des recensements des cinq archipels entre 1911 et 1918, un bilan bien plus effroyable d’environ 9000 décès. Dans son ouvrage “La grippe espagnole aux îles Sous-le-Vent” (Société des Océanistes), François Ravault estime que rien qu’aux îles Sous-le-Vent, l’Influenza aurait emporté au total un millier de Polynésiens.
Aussi, pour casser les chaînes de la transmission de la maladie, deux fosses communes ont été creusées à la hâte. Combien sont-ils à reposer, de manière anonyme, sous les deux blocs de béton qui peinent à résister à l’usure du temps ? Nul ne le sait. Mais sur l’une d’entre-elles, la direction du cimetière a fait installer une plaque commémorative en 2009.
Si l’on ne vient pas par hasard à l’Uranie, c’est l’occasion rêvée d’écouter les nombreux récits et autres anecdotes historiques croustillantes livrées par Allegra Marshall. “J’ai toujours aimé l’atmosphère des cimetières…”, explique-t-elle. Cette native d’Australie qui réside à mi-temps en Polynésie française, organise depuis un an des “visites touristiques” de cimetières à la demande.
Pas seulement à l’Uranie, mais également à Orofara (Papenoo) en passant par la Pointe des pêcheurs (Punaauia), Sans aucune note écrite, elle vous transporte dans le passé de manière à mieux comprendre le temps présent. (Pour plus de renseignements: nati.tupuna@yahoo.com)
S.A