Tribune – “De la prédation au partage” par Simone Grand

"Ces danses, chants, gestes, langues, rencontres et références diabolisés, interdits, jusque dans les années 1960, ainsi tout cela nous est aujourd'hui âprement disputé par des descendants de censeurs et prédateurs d'hier!" (Photo : danseuse de Temaeva, par Florent Collet/LaDépêche)
"Ces danses, chants, gestes, langues, rencontres et références diabolisés, interdits, jusque dans les années 1960, ainsi tout cela nous est aujourd'hui âprement disputé par des descendants de censeurs et prédateurs d'hier!" (Photo : danseuse de Temaeva, par Florent Collet/LaDépêche)
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“Admirant le spectacle primé de ce Heiva au marae Arahurahu, ma perplexité devient ahurissement. Ainsi, ces danses, chants, gestes, langues, rencontres et références diabolisés, interdits, jusque dans les années 1960, ainsi tout cela nous est aujourd’hui âprement disputé par des descendants de censeurs et prédateurs d’hier!

Aux fêtes d’écoles, les parents vont applaudir leurs enfants et petits-enfants, nièces, neveux, la progéniture de proches, de connaissances dont on suit l’évolution. C’était ça le Tiurai. C’est ça le Heiva :une grande fête familiale à laquelle sont conviés les spectateurs intéressés.

L’évangélisation s’est faite ici sur le mode sectaire par diabolisation reniement des ancêtres pour une affiliation à Abraham, Isaac et Jacob. Les brebis, berger, lion, serpent, désert,.. s’imposèrent références identitaires sacrées. La langue fut manipulée pour haranguer et ligoter la pensée.

La CPS, Nuutania et Tatutu attestent de cette brutalité qui fut aussi corporelle.

Les épidémies introduites par Wallis, confortées par chaque “re-découvreur” réduisirent la population à une poignée de survivants sidérés.

La première colonisation fut anglo-protestante politico-religieuse.

La seconde colonisation fut française, menée par des francs-maçons indifférents aux blasphèmes. Elle réhabilita les danses et chants ancestraux. L’éducation nationale interdit le tahitien à l’école et imposa ses références géographiques et historiques des antipodes.

Ainsi se succédèrent des processus de déracinement sur place.

Dans les année 1950, aux fêtes scolaires, nous dansions et chantions Bretonnes et Alsaciennes.

Les filles perdues et les voyous dansaient Tahitiens mais ailleurs, en lieux de perdition.

La réconciliation avec nos danses maudites fut souvent douloureuse. Quant à la langue…

Aussi, aux manifestations du Heiva, je vais voir mes enfants, ceux de camarades de classe, écoles, collèges, lycée, voisins, connaissances, feti’i proches ou lointains: célébrer et s’épanouir dans ce qui nous fut interdit.

Que les enfants des descendants biologiques, professionnels ou autres de nos censeurs d’hier, s’épanouissent dans nos danses et expressions, tant mieux. Qu’ils organisent donc leurs manifestations, mais à part.

Nous n’avons pas encore terminé notre travail de recherche, récupération, réhabilitation de nos objets culturels profanes ou sacrés, matériels ou immatériels enfouis ou qui nous crèvent les yeux.

Que ce soit la bouche en cœur et le nombril dénudé, ces intrusions gênent.

Nauséeux est le silence sur l’usurpation identitaire du graff “polynésien” à Paris olympique.

Fiu d’être parlés et définis par les autres!

Ces intrusions, invasions, prédations, usurpations d’identité blessent et angoissent.

Est-il possible de nous accorder une pause? Un arrêt son, images, odeurs?

Pourquoi vouloir être nous? Nous aux ancêtres encore universitairement qualifiés de “primitifs” ?

Nous tentons de définir ce “nous”. Un “nous” dépouillé des oripeaux dont nous ont affublés des majestés d’une hautaine bien-pensance toujours active.

Nous sommes las de servir de faire-valoir à tous ces egos mortifiés avides jusqu’à l’indécence d’être vus.

Ras le ‘umete.

L’idéal serait que ceux qui veulent être “nous” fassent le même travail que nous, sur leurs objets culturels à eux, leurs terres et terroirs à eux. Ainsi cessera la prédation. Ainsi commencera un vrai partage avec un enrichissement mutuel vrai.

‘Ia maita’i

Simone Taema Grand

Les propos de cette tribune n’engagent que son auteur