
Les représentants de l’Assemblée de la Polynésie française (APF) étaient réunis à Tarahoi, ce mardi 1er août, pour la première séance de la session extraordinaire. La majorité Tavini a notamment présenté et adopté son projet de loi du pays portant modification du code des impôts, avec pour objectifs la suppression de la contribution pour la solidarité (CPS) dite “TVA sociale” au 1er octobre, la modification des obligations relatives au bénéfice du régime fiscal simplifié des très petites entreprises (TPE), la modification des conditions d’admission au régime de la franchise en base de TVA, l’exonération de la TVA sur les produits utilisés en boulangerie et enfin la modification du dispositif de défiscalisation concernant le secteur du transport aérien interinsulaire ou international. L’opposition Tapura se déclare inquiète, persuadée que l’augmentation de la Contribution de solidarité territoriale (CST) sur les hauts salaires sera incapable de rapporter autant que la taxe CPS.

Créée par la loi du pays du 27 décembre 2021, la contribution pour la solidarité (CPS) dite “TVA sociale” avait pour objectif de reconstituer les financements de la protection sociale généralisée (PSG) par la contribution de l’ensemble des organismes publics, semi-publics, privés et de la population.
Cette taxe mise en place par le Tapura, et très critiquée par l’ensemble de l’opposition lors des élections territoriales, repose sur les règles applicables à la taxe sur la valeur ajoutée, à l’exception des taux et du régime de la déductibilité, avec un taux fixé à 1 %, appliqué à l’ensemble des biens et services importés, livrés, consommés ou utilisés (à la différence des cotisations payées uniquement par les employeurs et les salariés).

La nouvelle majorité, considérant que la TVA sociale participait à l’augmentation des prix au détriment des foyers les plus modestes, a donc proposé de supprimer la taxe à compter du 1er octobre 2023. Le texte modifie également les obligations relatives au bénéfice du régime fiscal simplifié des très petites entreprises.
Les différentes impositions forfaitaires annuelles seront les suivantes : 25 000 F pour les personnes réalisant un chiffre d’affaires (CA) inférieur ou égal à 2 millions de francs, 45 000 F CFP pour celles réalisant un CA inférieur ou égal à 5 millions de francs, 110 000 F pour un CA inférieur ou égal à 7,5 millions et enfin 200 000 F pour un CA inférieur ou égal à 10 millions de francs, à compter du 1er janvier 2024.
Afin que toutes les entreprises relevant du régime des TPE puissent bénéficier des avantages inhérents à l’application du régime de la franchise en base de TVA, la majorité a proposé de porter le seuil de la franchise à 10 millions de francs “dans un souci de simplification des régimes fiscaux”.

Par ailleurs, les produits utilisés en boulangerie , autrefois considérés comme PPN ou PGC, ne peuvent plus bénéficier de l’exonération de la TVA mais une mesure transitoire leur permettra de bénéficier du dispositif antérieur, jusqu’en septembre. Les produits nécessaires à la confection de pain et autres produits boulangers seront exonéré de tous droits et taxes à l’importation.
Le texte modifie aussi le dispositif de défiscalisation concernant le secteur du transport aérien interinsulaire ou international. Avant d’être modifié en 2022, il ouvrait la défiscalisation aux programmes portant sur l’acquisition ou la rénovation d’aéronefs neufs destinés au transport de personnes et/ou de marchandises mais l’augmentation de la fréquentation touristique, “associée à l’arrivée de nouvelles compagnies aériennes pour la desserte interinsulaire”, rendait nécessaire, selon la majorité, la modification de ce secteur en rétablissant le dispositif initial, sans conditions liées aux caractéristiques des avions. La loi du pays apporte également des précisions au dispositif de réduction d’impôt à l’impôt foncier sur les propriétés bâties relative à l ’installation de panneaux photovoltaïques.

Les “petites phrases” de l’hémicycle
• Tepuaraurii Teriitahi (groupe Tapura) : “C’est le premier projet de loi du gouvernement Brotherson à caractère fiscal et économique. (…) Cela aura un impact budgétaire certain mais les effets mesurés risquent d’être insignifiants. (…) Le retrait de la CPS est plutôt brusque et précipité (…), et peut-être imprudent. (…) Si la caisse est à l’équilibre, alors pourquoi lui verser 2,5 milliards de francs pour la fin de l’année ? Nous avons besoin de savoir où l’on va. (…) Vous dites : “Que le privé fasse sa part”, ça ressemble à de la naïveté. (…) Vous réussissez un tour de passe-passe grâce aux réserves budgétaires. Mais le gouvernement Brotherson sera confronté aux mêmes réalités que le gouvernement Fritch. Le groupe Tapura s’abstiendra”.
• Nuihau Laurey, non inscrit, parti A Here Ia Porinetia : “C’est le premier projet qui porte la patte du gouvernement. (…) Nous avions voté contre la TVA sociale. C’est un problème complexe que l’équilibre des comptes de la Protection sociale généralisée. Si la suppression de la taxe est nécessaire, elle doit s’accompagner d’une réforme du financement de la PSG. (…) Je suis surpris d’apprendre que la Caisse de prévoyance a versé 1,575 milliards de francs de primes, surtout pour la prime d’assiduité. (…) En fait, les absences ne font que faire baisser la prime, ça s’assimile à un 13e mois déguisé. (…) Nous soutenons la suppression de la TVA sociale, la franchise de base TVA pour les très petites entreprises et la révision des seuils. Nous voterons pour.”
• Tematai Legayic, représentant Tavini et député : “La centralisation de l’impôt, c’est le fait des états modernes comme la France ou la Grande-Bretagne, pour que chacun participe à l’effort commun. (…) Plusieurs peuples viennent à se soulever dès lors que le système fiscal est injuste. (…) Notre peuple maohi a du faire face au colonialisme et au capitalisme effrénés. (…) Nous avons été un peu désarçonnés par l’intervention du Tapura (…) qui confirme que le parti est bien macronien. (…) La dette nucléaire de l’Etat envers la CPS, de l’ordre de 100 milliards de francs, est prioritaire. (…) Le retrait d’une taxe sur la consommation n’entraîne pas de baisse des prix s’il y a augmentation des marges bénéficiaires. (…) C’est un appel aux entreprises afin qu’elles soutiennent la consommation. (…) Nous demandons toujours une augmentation du contrôle des prix, surtout dans les îles.”
• Moetai Brotherson, président du Pays : “(A l’adresse du Tapura) Le peuple ne voulait pas de cette taxe, vous ne l’avez pas écouté, aujourd’hui vous êtes dans la minorité… (…) Le problème de fond, ce sont les équilibres des comptes sociaux. La supression de la TVA sociale va-t-elle faire baisser le coût du panier de la ménagère ? (…) Je crois qu’il faut faire confiance au patriotisme des entreprises et des industriels du fenua (…), ce sont des Polynésiens comme nous. Pour l’instant, c’est le Pays qui fait sa part (…) avec des objectifs d’équité fiscale. Il faut faire payer plus ceux qui peuvent payer plus. (…) Il faut aussi travailler sur les changements d’alimentation.”

• Edouard Fritch, président du groupe Tapura, ex-président du Pays : “Je constate que la majorité a des réponses hautement philosophiques. Sur ce texte, le Tapura s’abstiendra. (..) Avec la taxe CPS, nous avons répondu à une urgence. Sans elle, la caisse n’aurait pas pu, en fin d’année 2022, payer les allocations, etc. Les gens qui ont des petits moyens sont l’objet de nos attentions à tous. (…) Sans la taxe, il y aurait eu un désastre social. Je ne la regrette pas. (…) Vous avez annoncé 2,5 milliards de francs de soutien à la CPS pour le dernier trimestre, c’est la preuve que le besoin est là. (…) Vous vous étiez avancés de manière imprudente, vous êtes maintenant face à la réalité. La taxe CPS n’était pas le seul facteur inflationniste. (…) En matière de marges, les comportements ne sont pas homogènes. (..) L’institut de la statistique le dit : la taxe CPS a représenté une hausse des prix comprise entre 0,75% et 1,25% en 2022. (…) Je suis allé faire des courses pour 8000F et j’ai acheté du Chesdale, des sardines, du lait UHT, du corned beef, du Milo, du beurre, du riz, des lentilles… Eh bien, sur tout cela, j’ai payé 0% de TVA et 0% de CPS. (…) Vous profitez en fait de l’augmentation conjoncturelle des recettes fiscales.”
• Gaston Tong Sang, représentant Tapura, ex-président de l’assemblée : “Gouverner c’est prévoir. (…) Vous attribuez 2,5 milliards de francs à la Caisse de prévoyance pour le dernier trimestre, c’est donc que la taxe CPS représente non pas 8 milliards mais bien 10 milliards de francs en année pleine. (…) L’attitude la plus sage aurait été d’attendre la fin de l’année fiscale, puisque de toute façon la réforme de la PSG ne date pas d’hier. (…) Mais bon, le président doit aller à la télé pour ses 100 premiers jours et il veut pouvoir confirmer une promesse de campagne. (…) Vous dites que c’est à l’Etat de payer ? Non ! Les 130 milliards de financement de la PSG sont assurés à 99% par le Pays, il faut en être fiers.”
• Oscar Temaru, président du groupe Tavini, ex-président du Pays : “La population est confrontée à de nouvelles maladies que l’on ne connaissait pas avant l’arrivée du Centre d’expérimentation du Pacifique. (…) Ce ne sont pas des maladies “de civilisation” mais bien des maladies de la colonisation. “La colonisation est un crime contre l’humanité”, oui monsieur Macron ! (…) Il y a dans ce pays une majorité de personnes très, très pauvres. Ne fermons pas les yeux. (…) Prenons des décisions ensemble. (…) Nous sommes une seule population. (…) Rendons grâce au seigneur pour nos grandes richesses”.
• Edouard Fritch sur la révision du budget : “Vous avez promis 10% de réduction du train de vie du gouvernement. En réalité non seulement rien n’a baissé, mais vous avez augmenté la note de 90 millions de francs. (…) Les plus gros salaires jamais versés à des directeurs de cabinet datent du Taui en 2004, avec 1,7 million de francs, aucun gouvernement n’a fait autant depuis. En fait c’est vous les champions”
En bref…
Sur YouTube, la “traduction” est partie en vacances…
Les séances de l’Assemblée sont proposées en direct sur YouTube, soit en version originale, soit en version avec traduction en français des propos tenus en reo tahiti. Ca, c’est le principe, qui jusqu’alors fonctionnait de manière plutôt satisfaisante. Ce mardi 1er août, la traduction était clairement aux abonnés absents. Par exemple, lors de l’intervention en tahitien du président du groupe Tavini, Oscar Temaru, une phrase sur cinq au mieux a été traduite, et de manière décousue. La teneur du message du leader indépendantiste restera un mystère pour tous les non-locuteurs de la langue tahitienne.
Tematai Legayic ne jure que par les Maohi
Si le terme est commun à la famille indépendantiste qui a depuis longtemps rebaptisé la Polynésie française en “Maohi nui”, force est de constater que le nouveau député Tavini Tematai Legayic utilise le terme Maohi à toutes les sauces : la “nation maohi”, “notre peuple maohi”, etc. Maohi signifie : qui se rapporte aux Polynésiens, aux “autochtones”, sans que le dictionnaire précise si cela se limite aux Polynésiens de souche ou pas. “Le fait que le terme ma’ohi ait pu être employé dès l’apparition d’une vie politique tahitienne organisée, c’est-à-dire à partir de 1945, par les partisans de Pouvanaa Oopa dans un contexte de défense des intérêts autochtones, donne à ce terme une dimension contestataire aux yeux de certains” reconnaît l’anthropologue Bruno Saura dans “Dire l’autochtonie à Tahiti. Le terme ma’ohi : représentations, controverse et données linguistiques”. L’auteur précise toutefois que l’inscription du vocable ma’ohi dans le domaine de l’action culturelle militante, “mais sans dimension politique séparatiste avérée”, s’est effectué au début des années 1960.