Tour à prix d’or pour les JO à Teahupo’o : les précisions de la ministre des Sports

Depuis 1999, c'est une tour des juges et des caméras officielles en bois qui surplombe le spot de Teahupo'o, lors de la compétition annuelle de la WSL (Photo : Archive ACL/LDT).
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Révélé par nos confrères de Radio 1, le montant à trois chiffres fait polémique. 527 millions de francs pacifiques, c’est le budget exact alloué à la future tour démontable des épreuves de surf des Jeux Olympiques de Paris 2024. Elle sera implantée dans le lagon de Teahupo’o avec les juges et les cameramen officiels à son bord, pour quelques jours de compétition entre fin juillet et début août 2024.

Inflation et exigences environnementales

Si 170 millions sont financés par l’État, le reste est à la charge du Pays, qui endosse une part colossale en raison d’une augmentation du budget initialement associé à ce projet. “On a un contrat d’engagement avec l’État qui est censé permettre un cofinancement à 50 %, sauf qu’on s’est retrouvé dans une situation où on a dû faire face à l’inflation, et on a aussi, et surtout, réhaussé le curseur environnemental”, explique la ministre des Sports, Nahema Temarii, qui a accepté de répondre à nos questions.

“On a demandé des études supplémentaires et une adaptation structurelle pour limiter l’impact de la tour sur l’environnement. Par exemple, pour les fondations, il n’y aura pas d’excavation. On va rajouter des fondations cylindriques sur un espace sablonneux, ce qui permettra aussi à l’actuelle tour en bois de continuer d’exister. On ne va pas supprimer les anciennes fondations sur lesquelles la vie a repris ses droits”.

Quatre lots, quatre entreprises

Dans le détail, ce tarif vertigineux comprend les études et le marché de conception divisé en quatre lots attribués à quatre entreprises locales : la réalisation des fondations, la construction de la structure en aluminium, l’implantation des réseaux sous-marins (électricité, eau) et une partie technique sur la tour (électricité, plomberie). “C’est un prix définitif, car on est bien avancé, mais quelque soit le projet, il faut toujours prévoir une marge de manœuvre, et c’est le cas avec ce budget”, assure la ministre.

Comment rentabiliser ?

En sachant qu’initialement, la tour aurait dû être plus grande. Le dimensionnement du projet avait finalement été revu à la baisse en cours de route. “Il y a déjà eu des concessions entre le Pays et Paris 2024”, confirme Nahema Temarii, qui cherche désormais à rentabiliser cette infrastructure en faveur du sport et de la jeunesse.

“J’aurais aimé qu’on aille plus loin sur la partie héritage (…). Je veux que ce qui va nous rester après les JO puisse venir oxygéner le monde du surf au quotidien. J’ai demandé à mes équipes de voir avec le constructeur si cette tour pourrait être modulée pour être implantée sur d’autres spots. C’est en cours de chiffrage, mais je ne vais pas lancer des études à des centaines de millions. L’idée, c’est de soutenir les petits clubs et les jeunes champions. Si ce n’est pas possible, l’autre solution, ce serait de rester à Teahupo’o pour accueillir plusieurs compétitions internationales”, poursuit-elle.

“527 millions injectés chez nous”

Pour Nahema Temarii, qui a hérité du dossier il y a trois mois, ce n’est plus le moment de remettre en cause la localisation de l’événement. “Ce serait pire que tout. Cet argent, on l’injecte quand même chez nous. Ça va faire travailler des familles polynésiennes. Je suis persuadée que les quatre entreprises vont faire appel à leurs salariés, forcément, mais aussi embaucher ou faire appel à des prestataires de service, parce qu’on est sur des charges de travail exponentielles. C’est 527 millions chez nous, pas à Biarritz”, souligne-t-elle.

Nahema Temarii regrette tout de même que certains enjeux n’aient pas été davantage anticipés par le précédent gouvernement. “Les candidatures, c’est bien, mais ça se prépare avec 6 ou 10 ans d’avance, pas au dernier moment. Il faut qu’on en tire des leçons et que ça ne se reproduise plus, c’est-à-dire qu’on prenne bien la mesure des impacts budgétaires, mais aussi sociétaux”.

Un premier montage de la tour à terre est prévu en décembre, avec la contribution de l’équipe de Moana David. Elle sera ensuite implantée sur le plan d’eau en mars pour être testée lors de la Tahiti Pro de la World Surf League (WSL), en mai, avant l’échéance olympique.

Une priorité ?

C’est la principale question qui revient à l’annonce de ce montant exorbitant : est-ce vraiment un investissement prioritaire dans le contexte économique actuel ?

“Sincèrement, je comprends que notre nuna’a puisse s’étonner, s’offusquer ou se fâcher. Ça reste un demi-milliard ! Il faut rappeler que, malgré la bonne volonté de Paris 2024, on est tenu à un cahier des charges. Le sport, dans le monde entier, est financé grâce aux droits de télévision. On est obligé de répondre à des besoins techniques liés aux retransmissions TV, qui vont notamment nécessiter l’implantation de serveurs sur la tour pour garantir la transmission des images. Ça peut paraître anodin, mais c’est essentiel. Si on avait le choix au gouvernement, on aurait fait complétement différemment, mais un engagement, ça se tient”, répond la ministre.

Quant à l’option d’une tour en bois, comme c’est le cas depuis plus de vingt ans à Teahupo’o, c’est l’argument des assurances “qui ne couvrent pas n’importe quelle structure dans le cadre d’un tel événement” qui est avancé.

Plus de transparence

Cette polémique sur la tour à un an de l’échéance olympique met à nouveau en lumière un manque de communication, palpable depuis 2019. Une situation à laquelle Nahema Temarii veut remédier avec ses équipes. “On est en train de finaliser un premier dossier complet sur les JO pour les médias, mais aussi pour la population de Teahupo’o avec des présentations sur le terrain”, annonce la ministre. Ces rencontres à vocation d’information devraient se faire en partenariat avec le ministère des Grands Travaux et les élus communaux, d’ici quelques semaines.

Ce sera aussi l’occasion de faire le point sur le coût total de l’événement en Polynésie, de même que sur les retombées économiques. “On sait déjà que plus de 130 millions ont été chiffrés et payés aux populations de Taiarapu-Ouest, que ce soit pour les hébergements ou les bateaux, avec les versements des arrhes de réservation, la Water Patrol, etc. On évalue au fur et à mesure, et on va suivre ça de très près. Et je le redis : il y a un vrai impact médiatique. Sur place, les gens me confirment que la fréquentation est multipliée par trois”, conclut la ministre.

Le point de vue de Lionel Teihotu, président de la Fédération Tahitienne de Surf :

“Une structure réservée à des événements XXL”

Est-ce que le coût de réalisation de la tour vous surprend ?

“Au niveau de la fédération, nous avons eu un rôle de conseil au début du projet. Entre les études et la mise aux normes selon les exigences du CIO (Comité international olympique, ndlr), malheureusement, ça a un prix, tout comme les assurances et le fait de garantir que la structure soit suffisamment solide pour résister à la masse d’eau qui déferle à Hava’e. L’enjeu, c’est aussi de protéger des vies et de garantir la sécurité du matériel chargé dessus. Je pense quand même que ça vaut le coup, avec une vision décennale. Accueillir les JO chez nous, ça reste un privilège, d’autant que nous avons deux champions polynésiens dans la course”.

“Pour la WSL, Teahupo’o est l’étape la plus coûteuse du circuit mondial”

L’option d’optimiser la structure en la déplaçant sur d’autres spots est-elle intéressante ?

“Ça me semble difficile de déplacer la structure sur d’autres sites, comme Rangiroa ou Taapuna, où les tours n’ont pas besoin d’être aussi grandes. Pour Vairao et Sapinus, c’est à voir selon les études, mais je pense que les échafaudages classiques sont suffisants. En revanche, à Teahupo’o, tous les ans, on a besoin d’une tour, c’est une certitude. Et pourquoi pas multiplier les compétitions ? Le bodyboard a aussi sa place à Teahupo’o, comme avec l’APB (Association des bodyboardeurs professionnels, ndlr), il y a quelques années. Mais il faut que l’organisateur, comme la WSL, ait les reins solides avec une puissance de frappe financière et le soutien du Pays. À mon humble avis, ce type de structure est vraiment réservé à des événements XXL, sur une durée de 15 jours maximum, comme la Tahiti Pro. Si c’est envisagé, il faudra que la communauté locale soit d’accord, bien sûr. Cette tour aura le mérite d’exister et de montrer à la WSL et à l’ISA (Association internationale de surf, ndlr) que Tahiti fait des efforts pour faire en sorte que l’événement dure dans le temps, après 20 ans d’investissement par les étrangers en faveur de l’événement, à hauteur d’au moins 200 millions de francs l’an dernier. Pour eux, l’étape de Teahupo’o est la plus coûteuse du circuit mondial”.