La dernière séance de l’assemblée a offert une tribune à l’opposition, avec un certain “M. Edouard”, appellation employée par le président de l’APF, très offensif. Si Moetai Brotherson la qualifie systématiquement de “minorité“, c’est bien “l’opposition” que voulait incarner mardi l’ex-président du Pays.
Seul A Here Ia Porinetia (AHIP), demeure pour l’heure dans cette “minorité” qui n’est pas forcément opposition. D’ailleurs, son silence envers la majorité lors de cette séance a été remarqué !
Le président du Tapura s’est montré mordant, demandant des explications, inondant les ministres
de questions, sous l’œil ébahi du président de l’assemblée, et les regards gênés de la majorité. Les représentants Tavini demeuraient comme figés devant la pluie de question de l’opposition.
Cette séance a bien mis fin à la période de réserve de l’ancienne majorité et du silence de son ex-président sur l’action du gouvernement. Ainsi, la journée a été bien animée, avec une théâtralité bien rythmée.
Lever de rideau. La pièce a commencé sous la présidence d’un Antony Geros compréhensif,
maîtrisant son rôle de chef d’orchestre. Il semblait parfois amusé face aux difficultés des membres
du gouvernement, en laissant à l’opposition un temps infini pour harceler l’exécutif de questions.
Au point que le président de l’assemblée a senti le besoin de justifier son geste, déclarant avec ironie qu’il serait “préférable d’annuler le règlement intérieur sur le temps de parole” !
Certains ministres semblaient dépassés, car les réponses tardaient à venir… Et comme au théâtre, le
recours aux chuchotements, aux petits mots, tablettes et ordinateurs des conseillers, censés sauver la
mise, n’ont pas évité le malaise et les difficultés, pour le coup visibles, d’un gouvernement encore en rodage !
Dans l’hémicycle comme derrière les écrans, le malaise était palpable. Les représentants bleu ciel n’avaient pas bonne mine, d’autant que le baptême tant attendu des 100 jours est proche. Car les réalisations de ce gouvernement encore jeune et inexpérimenté sont maigres. La communication du président de l’exécutif a trouvé ses limites avec l’exercice du pouvoir. La population demande de l’action !
L’opposition a saisi cette faiblesse. Même le tavana de Bora Bora, d’habitude courtois et discret, a
lancé une pique, à peine masquée, à l’adresse de Moetai Brotherson, concernant la suppression de
la taxe dite CPS : “on comprend que tu veuilles aller à la télé annoncer quelque chose…” Gaston Tong Sang a ouvertement critiqué l’absence de projets en ce début de mandature. Il a aussi dénoncé, d’une manière subliminale, l’annulation de quatre séances sur six à l’assemblée, faute de projets du gouvernement. Même Nuihau Laurey, plutôt discret dans les échanges, y a fait référence dans son propos liminaire : “nous sommes contents de nous retrouver”…
L’opposition, avec un Edouard Fritch visiblement en forme, a de son côté voulu donner l’impression d’avoir étudié ses dossiers. Il a lancé au gouvernement avec condescendance : ”on veut vous aider !”, provoquant une réaction pimentée de la vice-présidente Eliane Tevahitua. Voltaire ne disait-il pas : “Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge !“
“Personne n’a le monopole du cœur”
Le débat a été vif autour de la taxe dite CPS et du traitement des “pauvres”. A chacun son remède. Si le clivage est philosophique, les débats sont restés techniques. La technique peut s’acquérir, en revanche la philosophie (le logiciel) demande une adhésion au projet. Les bleu -ciel proposent une autonomie de la population, au long terme (autonomie alimentaire, économique, appropriation de la culture…), avec une feuille de route pour y arriver. Force est de constater qu’ils ont eu une large adhésion à ce projet, en gagnant les élections territoriales de 2023.
Les rouges et les orange, qui ont gouverné au moins depuis 4 décennies sans politique sociale et culturelle lisible (au moins un tiers de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté), semblent déconnectés de la réalité en continuant à défendre une taxe dont personne ne veut. Ils vantent leur technicité et crient haut et fort qu’ils ont laissé les caisses bien pleines.
Pourtant, la défaite a bien eu lieu. Si le parti rouge l’a peut-être compris, son président en revanche semble s’enfermer dans un déni de la réalité. Aucun vrai bilan de son échec électoral ! Question simple : pourquoi avoir instauré une taxe qui a impacté le pouvoir d’achat des Polynésiens si les caisses étaient pleines ?
Sortir du clivage entre indépendantistes et autonomistes est peut-être l’une des pistes pour débattre sereinement d’un projet de société pour le fenua. Si le Tavini semble porteur d’une vision au long terme, en revanche les rouges ne proposent pas d’autre alternative à cette vision que la poursuite des recettes du passé : une société polynésienne sous perfusion financière.
Karim Ahed