Water Patrol : les anges gardiens de Teahupo’o se confient

En binôme, la Water Patrol est prête à intervenir dans la zone d'impact (Photos : Archives ACL/LDT).
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Tandis que la Shiseido Tahiti Pro était à l’arrêt dans l’attente de conditions plus favorables, quatre membres de la célèbre Water Patrol supervisée par Moana David ont accepté de se confier sur leur parcours et leurs missions. Entre sérieux et bonne humeur, ils sont une quinzaine à se retrouver chaque année à la même période. Ils sont indissociables de tout grand événement à Teahupo’o, où des montagnes d’eau déferlent sur un récif corallien à fleur d’eau.

Transfert, surveillance, sauvetage, ils sont sur tous les fronts à bord de leurs jet-skis, chacun à son poste, amené à évoluer avec les années et l’expérience. La plupart d’entre eux sont aussi des surfeurs chevronnés, particulièrement à l’aise dans l’eau.

La Water Patrol aurait d’ailleurs un dicton : ce n’est “pas si, mais quand” ça arrive, parce qu’il faut s’attendre à faire face à toutes les situations, y compris se faire soi-même rattraper par une vague en plein sauvetage. Hommes ou femme, jeunes recrues ou figures aguerries, ils livrent un aperçu de leur quotidien au cœur de la compétition et de la vague mythique.

Alvino Tupuai, 34 ans, pompier et résident de Papeete, dans la Water Patrol depuis 2 ans :

Photo : DR.

“Les voir venir nous chercher,
ça m’a donné envie”

“Je me suis lancé grâce à mon collègue Taiau Doom, qui m’a fait rentrer dans l’équipe. J’aime être en mer, vu qu’à la base, je suis surfeur. Je les voyais tout le temps venir nous chercher en cas de besoin, donc à force, ça m’a donné envie de faire pareil. Je crois que tous les membres de l’équipe sont déjà venus me secourir !

Pour devenir Water Patrol, il faut avoir les bases du secourisme, PSE1 et 2 et le BNSSA, et bien connaître le spot. Heureusement que Arsène et les autres sont là : les anciens nous apprennent beaucoup. Il y a des jet-skis dans la zone d’impact, sur la ligne d’eau pour les bateaux et les taxis.

Cette année, je suis entré dans la zone d’impact avec Taiau pour la première fois et ça s’est bien passé. Pour le moment, j’ai échappé au pire, donc tant mieux ! Je connais bien Teahupo’o pour y surfer depuis l’âge de 16 ans, en particulier sur les grosses vagues, comme lors du dernier code rouge, par exemple. C’est ma vague préférée. C’est difficile à expliquer, c’est juste que quand tu te retrouves à l’intérieur, c’est vraiment impressionnant !”.

Arsène Harehoe, 64 ans, prestataire de sécurité nautique et résident de Punaauia, dans la Water Patrol depuis 24 ans :

Photo : ACL/LDT.

“Je suis le capitaine
de la zone d’impact”

“J’ai intégré l’équipe dès les débuts de la compétition à Teahupo’o. À l’époque, on n’était pas aussi nombreux.

C’est devenu plus sérieux avec l’arrivée de la WSL et de la Billabong Pro Tahiti. Comme tout le monde, j’ai commencé en taxi, puis grabbeur sur le boogie et pilote. Depuis quelques années, je suis le capitaine de la zone d’impact.

Je gère les quatre équipes de jet-skis qui sont à l’impact, trois au large et une dans le lagon, qui vont chercher les surfeurs en cas de chute ou de blessure. Mon rôle, c’est de coordonner les interventions.

J’ai toujours voulu faire partie de l’équipe : j’ai commencé par faire des stages à Hawai’i avec Brian Keaulana, et aussi en Australie. J’ai progressé au fil des années et c’est devenu instinctif.

Le pire qui puisse arriver, c’est de voir les copains chavirer ou des bateaux se faire emporter avec des personnes à bord. Parmi les meilleurs souvenirs, je repense à la victoire du français Jérémy Florès, car il y avait de belles vagues ce jour-là.

Je suis moi-même un ancien surfeur. J’ai commencé à 9 ans. J’ai été quinze fois champion de France, en commençant en 1974 chez les cadets, et plusieurs fois champion de Tahiti. J’ai fait quelques compétitions professionnelles comme wild card et j’ai même participé aux Trials à Teahupo’o.

C’est une de mes vagues préférées, mais maintenant, il y a tellement de monde, que c’est devenu compliqué. Je préfère rester sur un jet-ski, y compris lors des sessions de tow-in (surf tracté, ndlr) pour sauver les gars. J’aimerais continuer autant que possible et au moins vivre les Jeux Olympiques”.

Puatea Ellis, 41 ans, éducatrice sportive en natation et résidente de Punaauia, dans la Water Patrol depuis cette année :

Photo : DR.

“J’observe tout ce qui se passe
autour de moi”

“Je suis la seule fille de l’équipe, que j’ai intégrée cette année en tant que stagiaire. Je travaille dans le milieu aquatique. Je suis nageuse et passionnée de surf. J’ai été championne de Polynésie en body surf et stand up paddle race en 2016.

En même temps, j’ai fait cinq ans de caserne comme sapeur-pompier volontaire et j’ai intégré la Fédération des Sapeurs-Pompiers de Polynésie dans la section des sauveteurs en mer. J’avais très envie d’intégrer la Water Patrol pour pouvoir apporter ma pierre à l’édifice pour les JO, qui sont un grand événement unique autour du surf qui se tiendra chez nous !

Je voudrais montrer qu’en tant que femme, je peux contribuer. Je viens de commencer, donc on m’a confié la surveillance de baignade, en tant que maître-nageur. Je reste près des lignes d’eau autour des bateaux pour éviter les accidents. Je fais beaucoup de prévention. Je ne suis pas encore prête pour la zone d’impact, mais j’observe tout ce qui se passe autour de moi. Je me prépare quand même, car en cas d’urgence, il faut être capable de réagir.

Ces deux derniers jours off, j’étais à l’eau pour nager, voir les fonds et surfer un peu pour commencer à m’habituer. Teahupo’o, c’est une vague pour laquelle il faut avoir beaucoup de respect et d’humilité. À moi de trouver ma place et d’apporter une touche de féminité dans ce monde d’hommes. Plusieurs d’entre eux m’ont appris beaucoup dès le départ. Avoir pu traverser le récif en suivant les conseils de Vetea David sur mon jet-ski : c’était une super expérience !”.

Narii Hoffmann, 35 ans, prestataire dans le domaine nautique et résident de Mahina, dans la Water Patrol depuis 14 ans :

Photo : ACL/LDT.

“Mettre sa propre vie en danger pour sauver d’autres personnes”

“Quand j’étais ado, je venais à Teahupo’o pendant les compétitions de surf avec mon papa, qui montait le scaff (échafaudage, ndlr) pour les médias. Je voyais les Water Patrol des Hawaiiens et ça me faisait rêver ! J’admirais beaucoup la gestion d’équipe de Brian Keaulana, avec les caractères des uns et des autres.

Ce qui m’attire dans cette mission, c’est la prise de risque. Il faut être capable de mettre sa propre vie en danger pour aller sauver d’autres personnes. Mes premières années, j’ai beaucoup aimé nos entrainements : on nageait jusqu’à la passe, on faisait du body surf, des sauvetages avec ou sans planche, et on essayait d’améliorer nos techniques pour sortir rapidement une personne de l’eau pour être à l’aise, quoi qu’il arrive.

Depuis quelques années, je suis sur la zone d’impact en tant que grabbeur, c’est-à-dire que je me charge d’attraper le surfeur pour le mettre en sécurité sur le sled (planche à l’arrière du jet-ski, ndlr). L’année dernière, pendant les Trials, j’ai dû lâcher le jet-ski qui était coincé dans la mousse. Nous étions deux sur le récif avec le surfeur : il s’en est sorti tout seul, mais moi, je me suis pris une grosse vague. Je m’en suis sorti indemne, mais secoué. Ça fait partie du boulot : on apprend de nos erreurs et c’est inévitable, on passe tous par là.

J’ai aussi fait taxi, ce que j’ai bien aimé, car qu’il y ait des vagues ou pas, on est toujours en mouvement et on rencontre des gens très variés. Je surfe depuis tout petit avec mon papa. J’ai surfé à Teahupo’o, mais aujourd’hui, je préfère les vagues un peu plus tranquilles. J’aime beaucoup cette vague, parce qu’on sent qu’elle a un sacré caractère. Aujourd’hui, tu peux avoir les plus belles vagues, et demain, elle peut t’écraser. Elle impose le respect”.