Pascal Galopin, natif de Tahiti, a vu naître sa passion pour le cinéma en visionnant des films aux drive-in de Arue et Punaauia. Après une dizaine d’années de journalisme, notamment au sein de la rédaction de La Dépêche de Tahiti, il s’est lancé dans la production de films. Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, il revient à Tahiti mettre en scène la réalité complexe de la communauté raerae en Polynésie, dans une fiction inspirée du roman Le sang du corail. Entretien.
Quel est ton lien avec l’île de Tahiti ?
“Je suis né ici en 1965, mes parents étaient restaurateurs, notamment au restaurant Le Bougainville en plein centre-ville à Papeete. J’ai grandi à Tahiti jusqu’à l’âge de 15 ans puis je suis parti faire mes études en France, j’ai travaillé quelques années et je suis revenu au fenua en 1994, pour travailler à La Dépêche de Tahiti pendant 7 ans.”
Es-tu venu au cinéma dans la foulée ?
“A mon départ de Tahiti, j’ai été journaliste au Canada, à Montréal, pendant 2 ans puis ensuite, en France dans la Seine-Maritime au sein du groupe Hersant, j’étais rédacteur en chef d’un bi-hebdomadaire pendant encore deux ans.
C’est après cette période que j’ai monté une première société de production en 2007, puis une deuxième. Le cinéma me trottait dans la tête depuis l’enfance ! Mon père m’emmenait, ma sœur et moi, au drive-in de Arue et à celui de Punaauia, je pense que c’est là que j’ai eu la révélation pour le cinéma. C’était aussi l’époque du cinéma Bambou mais j’avoue que je n’en ai pas souvenir.”
Quel type d’oeuvres as-tu déjà signé ?
“J’ai monté une société de production de court-métrages et travaillé avec des réalisateurs. Puis, je me suis mis à écrire des scénarios, qui ont été adaptés pour des émissions de flux, pour la télé… Ma première réalisation a été un documentaire sur le cinéaste Claude Pinoteau, le papa du film “La Boum” que je connaissais très bien, puis un autre sur Georges Lautner qui sont distribués par Gaumont. Je n’ai jamais réalisé de fiction en soi, c’est la première que j’ai co-écrite et que je veux réaliser. Je voulais que mon premier film soit réalisé à Tahiti.”
A quoi a été consacré ton séjour à Tahiti ?
“Je viens de faire trois semaines de repérage et de casting, mais aussi de rencontres, notamment avec la ministre de la Culture, pour monter des co-productions. Mon film aujourd’hui, “Le sang du corail” a un personnage principal qui est un raerae.
Il faut absolument que je revienne à Paris avec trois ou quatre candidates possibles car, c’est sur ce personnage, âgé à peu près d’une trentaine d’années, que repose tout le film. Une erreur de casting veut dire un film raté. Un film c’est 5 à 6 million d’euros (600 à 700 millions de francs, NDLR), on ne peut pas se reposer sur un seul candidat. Après, il y aura un casting métropolitain, je ne veux pas dire second rôle car il n’y a pas de second rôle.
Quelle est l’inspiration du scénario ?
“C’est inspiré d’un roman de Monak, “Le sang du corail”, publié aux éditions Maïa. Sur son atoll minuscule des Tuamotu, le personnage n’est personne : fruit défendu, le raerae subit. Forcé de se battre pour survivre, il fuit et s’enfonce dans les nuits interlopes de Tahiti, ses menaces, son insécurité. C’est l’histoire vraie d’un raerae d’aujourd’hui de son enfance à sa vie dans les rues de la capitale, une enfance brisée, avec ce que ça implique : des violences policières, de la drogue, l’emprisonnement…
Mais c’est aussi toute cette solidarité entre les raerae dans une société qui, à la fois, les admire et les rejette, leur capacité à s’entraider…. C’est un peu le paradoxe ; leurs clients sont aussi ceux qui leur tapent dessus. Il y a aussi le fait divers qui est passé sur les réseaux sociaux il y a environ 5 ou 6 mois : un raerae qui se fait tabasser, on l’a intégré dans le film. Une journaliste en mission, qui rapporte ces faits, découvre cet univers et va se lier d’amitié et vivre avec un raerae pour mieux comprendre leur réalité quotidienne.”
Cela reste une fiction ?
“Oui, c’est vraiment une fiction. On raconte une histoire pendant 1h50 car pour un premier film, c’est toujours moins de 2 heures. Ce sera un film 100 % tourné à Tahiti et aux Tuamotu pour les séquences du début, avec une fin heureuse. J’aimerais bien que ce film se fasse au maximum avec des collaborations polynésiennes. Il y a un fond d’aide ici à l’audiovisuel ainsi que des fonds spéciaux. Après, il y a des financements type Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), les Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA),…”
As-tu eu des surprises ou des déconvenues ?
J’ai casté à peu près 40 personnes transgenre et aucune n’était une professionnelle du cinéma mais je suis tombé sur trois ou quatre belles surprises. J’ai l’impression d’avoir pu trouver mon personnage principal. Je suis venu les filmer, on a fait quatre cinq jours de casting. Dans la rue, c’était génial, j’ai eu un superbe accueil. On a passé des annonces sur les réseaux et on a eu des réponses, tout le monde voulait s’inscrire ! Prochaine étape, retour sur Paris pour commencer à financer le film qui désormais est complètement écrit après d’ultimes retouches. On fait déposer des dossiers par la société de coproduction et après on va faire un casting plus français.”
Quand comptes-tu revenir à Tahiti ?
“Je vais revenir l’année prochaine avec mon chef opérateur pour les décors, les lumières, les matériels dont on aura besoin. Et faire aussi d’autres castings : des clients, des gardiens de prison, du public, des policiers, des juges, des avocats, des greffiers… Pour ce premier séjour, je voulais me focaliser sur les raerae. J’aimerais bien venir tourner ici pendant la saison des pluies, vers octobre et novembre l’année prochaine. En plus, c’est une année El Niño, ça risque d’être mouvementé et moi ça m’arrangerait ! La sortie est prévue en 2025. J’aimerais bien le présenter à Cannes.”
Comment as-tu été accueilli dans la rue ?
“J’ai retrouvé la gentillesse des gens et la simplicité des Polynésiens. Je n’étais pas revenu depuis 2017 et j’ai été accueilli par des amis polynésiens et français comme si j’étais parti avant-hier ! Dans l’Hexagone, les rapports entre les gens sont un peu plus compliqués, et l’actualité déprimante. J’ai pris beaucoup de plaisir à venir pendant ces 3 semaines je me rends compte que j’ai encore plein de choses à faire et à préparer !”
Propos recueillis par Damien Grivois