Assises – Féminicide à Maupiti, l’accusé “possédé” par un tupapa’u

Quand la Présidente lui demande de donner sa version, l'accusé répète qu'il était "possédé" : "c'est le seigneur qui doit me juger". La Présidente répond : "Le seigneur vous jugera peut-être plus tard, mais aujourd'hui c'est cette cour qui va vous juger". (Photo arch. LDT)
(Photo arch. LDT)
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Le 30 août 2023 s’est ouvert le procès d’un homme de 45 ans, jugé par la Cour d’assise pour le meurtre de sa compagne en octobre 2020 à Maupiti. Une première journée d’audience qui est revenue sur le soir du drame, et placée sous le signe dun tupapa’u, fantôme qui aurait selon l’accusé pris possession de son corps lorsqu’il a fracassé le crâne de la victime contre le mur de la maison. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

La première journée d’audience, ce mercredi 30 août, est consacrée au soir du drame. Le couple habite Mopelia. Ensemble depuis près de 30 ans, ils vivent de la pêche et du coprah. Ils sont venus pour quelques jours avec leur fils au domicile du père de l’accusé à Maupiti, notamment pour aller vendre le fruit de leur pêche sur Bora Bora.

Le vendredi en fin d’après-midi, l’accusé et son fils de 16 ans rentrent avec leur recette et retrouvent la victime qui a passé l’après-midi avec une amie. A Bora Bora, l’homme dit avoir déjà bu une trentaine de canettes de bière. Mais comme il y a du monde et qu’il a des billets en poche, il envoie l’ami de sa femme acheter une nouvelle caisse de bières. Plus tard, le beau-frère et deux collègues de travail retournent en chercher une vingtaine au snack du coin.

Pourtant, tout le monde le sait, l’accusé a l’alcool mauvais et s’en prend souvent à celle qui partage sa vie depuis près de 30 ans. Comme bien trop souvent, il se contrôle lorsqu’il est sobre mais, selon ses proches, devient ingérable, agressif et violent dès qu’il boit.

Sur fond de jalousie, le sang gorgé d’alcool, le couple s’envoie des piques et très vite la situation vrille vers 22 heures, alors qu’il ne reste sur place que l’ami de la victime. Quand les premières menaces et les premiers coups sont distribués, elle est assise sur une chaise le long du mur de la maison. L’homme la frappe alors violemment au visage et lui attrape la tête pour la fracasser à plusieurs reprises contre le mur.

20 litres de bière dans la journée

L’amie présente, pétrifiée, part chercher de l’aide. Alors qu’elle veut alerter son mari, elle voit un policier municipal patrouiller et l’envoie sur place. Averti par un ami qui a entendu les cris de ses parents, le fils arrive lui aussi sur les lieux, juste avant le muto’i. Il est donc le premier à voir le corps de sa mère, allongée sur le dos, inconsciente, la tête en sang.

Le muto’i, après de longues minutes à séparer le fils et le père qui en viennent presque aux mains, appelle les pompiers, le médecin du dispensaire, puis les gendarmes de Bora Bora. Par chance, alors qu’il aurait habituellement fallu attendre le lendemain pour voir arriver les militaires de l’île voisine, trois d’entre eux sont justement en mission à Maupiti.

Appelés à 22h53, ils sont sur place à 23h15. Les pompiers confirment qu’ils ont trouvé un corps sans vie et que les premiers soins pratiqués et leur massage cardiaque sont restés vains. L’accusé est prostré sur une chaise, ivre mort. À minuit, il a encore près de 1,5 gramme d’alcool dans le sang. Avocats et magistrats passent même à long moment à calculer le volume d’alcool consommé par l’accusé. Si l’on cumule l’ensemble de ses déclarations, plus ou moins 20 litres de bière en une seule journée et quelques pipettes de paka. Il doit être placé en dégrisement et ne peut être interrogé qu’à 17 heures le lendemain.

“Possédé par un tupapa’u”

Dès sa première audition, comme quelques mois plus tard dans le bureau du juge d’instruction et encore aujourd’hui face à la cour, l’accusé explique ne se souvenir de rien. Il se rappelle de la dispute. Il dit avoir entendu sa femme prendre rendez-vous avec un autre homme au téléphone. L’analyse dudit portable par la section de recherche confirme que ça n’était pas le cas. Ensuite plus rien. Il retrouve ses esprits au-dessus du corps de sa femme, dit-il, constatant son décès.

Premier témoin entendu, la seule amie encore présente quand les premiers coups de l’accusé visent le visage de la victime, les autres sont partis dès que le ton est monté. Elle décrit l’arrivée de l’accusé, l’ambiance, la scène d’une extrême violence et son départ pour aller chercher de l’aide, presque minute par minute. Pour elle, comme pour son compagnon, impossible d’intervenir face à la rage de l’accusé, ils ont trop peur.

Compagnon qui est d’ailleurs le seul à aller dans le sens de l’accusé. Il dit croire au tupapa’u et selon lui, l’homme n’était pas lui-même au moment des faits. C’est ce que le meurtrier présumé répète à nouveau lorsqu’on l’interroge, il ne se souvient de rien. Son amnésie, un brin sélective, le touche encore lorsqu’on lui présente les photos de la reconstitution. Il explique à nouveau ne pas se rappeler de ce moment, qui s’est pourtant déroulé un an plus tard. Quand la Présidente lui demande de donner sa version, il répète une énième fois qu’il était “possédé” : “c’est le seigneur qui doit me juger”. La Présidente répond : “Le seigneur vous jugera peut-être plus tard, mais aujourd’hui c’est cette cour qui va vous juger”.

L’île de Mopelia soulagée

Il ressort des auditions et des premiers témoignages que l’île de Mopelia est désormais soulagée… L’accusé est connu pour être violent, agressif voir bagarreur. La population serait heureuse de le savoir en prison. La journée s’achève par le témoignage du médecin légiste qui confirme les causes de la mort, une sévère hémorragie du crâne. Armé d’un schéma, il détaille à la cour et aux jurés les nombreux hématomes relevés au cuir chevelu et sur tout l’arrière gauche de la tête de la victime, ainsi que d’importants œdèmes et traces au visage et sur le front qui témoignent de la violence des coups.

Au deuxième et dernier jour du procès ce jeudi 31 août, une des sœurs de la victime donnera sa version, puis ce sera au tour des experts psychologues et psychiatres. Lors de leurs entretiens avec l’accusé, aucun d’eux n’a semblé croire à la présence d’un quelconque mauvais esprit et à ses allégations de “possession”.

Compte-rendu d’audience Y.P.