L’Eglise protestante maohi, “sentinelle du peuple” selon Pihaatae, fête ses 60 ans

François Pihaatae, président de l'Eglise protestante maohi : "Nous voyons l’indépendance de ce Pays à travers la foi et non à travers la politique." (Photo : Damien Grivois/LDT)
François Pihaatae, président de l'Eglise protestante maohi : "Nous voyons l’indépendance de ce Pays à travers la foi et non à travers la politique." (Photo : Damien Grivois/LDT)
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L’Eglise protestante maohi célèbre ses 60 ans d’indépendance. (Photo : Damien Grivois)

Environ 300 fidèles de l’Eglise protestante maohi (EPM) se sont rassemblés, en prières et en chansons, ce vendredi 1er septembre en matinée dans les jardins de Paofai, à proximité du temple historique de Papeete.

La Dépêche a rencontré son président, François Pihaatae, qui a estimé que l’église protestante en Polynésie française, sous les différents noms qu’elle a porté, a sauvé le peuple maohi d’un gouvernement français qui visait à “l’éliminer” ou “l’éradiquer”.

La foi protestante est très antérieure à la création de l’Eglise protestante maohi (EPM) ?

Tout d’abord, si on refait un peu l’historique, c’est une Eglise qui a été fondée par les missionnaires anglais, mais lorsque l’armée et les catholiques sont rentrés sur le fenua, alors ils ont tout mis en place pour chasser les missionnaires anglais et imposer le protectorat en 1842.

L’Eglise était un peu dispersée dans les îles, pas vraiment unie, elle a été prise en charge  par le gouverneur. Toute décision était prise par le gouvernement qui était en place. Jusqu’en 1862 où la reine Pomare IV a eu beaucoup de soucis, parce que c’était comme si on était en train d’éteindre l’Eglise protestante.

C’était la guerre d’influence entre les Français catholiques et les Anglais protestants…

Oui, c’est ça, ça mélangeait politique et religion. Et puis un missionnaire rescapé a dit à la reine d’écrire une lettre au roi, je ne sais plus si c’était Napoléon ou Philippe I, pour lui demander d’envoyer des missionnaires protestants. C’est la  société des missions de Paris qui est arrivée avec les pasteurs Thomas Hargous, Charles Viénot, Charles Atger et tous les autres qui ont suivi.

“Etre une sentinelle vigilante de ce peuple pour garder
sa culture, sa langue, ses terres…”

Dès qu’ils ont été en place, ils ont réalisé que tout ce que le gouvernement français était en train de faire sur le territoire du peuple maohi, c’était de tout chambouler dans le sens d’éradiquer ou d’effacer le peuple maohi.

Comment s’y sont-ils opposés ?

C’est la raison pour laquelle depuis leur arrivée, ils ont commencé à penser à mettre en place des écoles pour pouvoir garder la langue, instruire les maohi pour qu’ils deviennent les dirigeants du pays et les futurs pasteurs… Lorsque l’Eglise a eu l’indépendance le 1er septembre 1963, c’est là que le nom a été changé en faveur de l’Eglise évangélique de Polynésie française (EEPF), auparavant il y avait toujours un changement du nom qui était initialement l’Eglise de Tahiti et des îles.

Mais en 1927, ils ont renommé l’Eglise en Eglise protestante maohi, c’est le nom que nous avons repris en 2004. C’était aussi par rapport à la situation politique, puisque l’on était en train d’anéantir le peuple maohi. C’est la raison pour laquelle les missionnaires protestants ont œuvré pour que l’Eglise protestante soit indépendante, pour être une sentinelle vigilante de ce peuple pour garder sa cuture, sa langue, ses terres et tout ce qui appartient aux ancêtres.

Quel message souhaitez-vous adresser à l’occasion de cet anniversaire ?

Il faut rappeler l’importance de cette date, pas seulement pour l’Eglise mais pour le peuple maohi.  Cette date de naissance, c’est surtout une date de renaissance de l’Eglise, depuis les cendres où commençait à être éliminé le peuple maohi. Et puis, on se retrouve en tant que peuple qui existait déjà avant que les Européens arrivent.

Comment jugez-vous la qualité des échanges inter-religieux sur le fenua ?

Pour le moment, on est calmes. Chacun fait ses affaires à son niveau. Il n’y a pas vraiment de clash ou de sujets critiques entre nous. Nous sommes libres de faire ce que l’on veut. Nous sommes tous Chrétiens, je ne vois pas pourquoi on se taperait dessus ! Normalement, on doit s’embrasser, mais la seule chose qui nous sépare, ce sont nos doctrines. Là, on est pas d’accord….

On aimerait bien créer un conseil d’Eglises ici à Tahiti, mais il reste encore des démarches à effectuer pour que tout le monde mette les barrière en bas. Le meilleur moyen je crois, serait que l’on se reconnaisse comme un seul peuple, le peuple maohi.

Quels sont les projets actuels de l’Eglise protestante maohi ?

Il y a des anciens dossiers comme le nucléaire, c’est notre combat de tous les jours, même s’il y a des paroles de ministres envoyés par Macron. On continue notre combat parce que pour nous, c’est très important lorsqu’on nous dit que depuis les premières bombes à Moruroa et Fangataufa, on a 30 000 personnes qui sont décédées de cancers et 800 cas par an.

C’est très important de ne pas laisser tomber, même s’ils ont mis en place à la CPS un guichet spécial pour les victimes à indemniser. Notre combat, ce ne sont pas seulement les indemnisations, c’est surtout un combat pour la vérité. On veut que la France reconnaisse qu’elle a vraiment fait quelque chose de mal à notre pays.

Le Pays a un nouvel exécutif depuis quelques mois, qu’est-ce que cela change pour vous ?

Pour l’instant, on ne voit pas de changement. L’Eglise et le Tavini, ça n’est pas ensemble, c’est en parallèle. On a notre idée, et ils ont leur façon de voir  l’indépendance. Nous voyons l’indépendance de ce Pays à travers la foi et non à travers la politique.  Ce n’est pas la foi protestante, c’est la foi du peuple maohi en son Dieu.

Paofai, le quartier historique de la foi protestante à Papeete. (Photo : Damien Grivois)