Hotu Ora à Paea : vers de nouvelles perspectives thérapeutiques locales

Durant quatre jours, plusieurs orientations thérapeutiques ont été exposées au salon des médecines traditionnelles, Hotu Ora, qui s’est tenue à l’espace culturel Manu iti de Paea. (Photo Tahia Wan)
Durant quatre jours, plusieurs orientations thérapeutiques ont été exposées au salon des médecines traditionnelles, Hotu Ora, qui s’est tenue à l’espace culturel Manu iti de Paea. (Photo Tahia Wan)
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Durant quatre jours, plusieurs orientations thérapeutiques ont été exposées au salon des médecines traditionnelles, Hotu Ora, qui s’est tenu à l’espace culturel Manu iti de Paea. La légalisation du cannabis à usage médical, l’encadrement du métier de tradipraticien, l’herboristerie (raau’ tahiti) ou encore la nutrition et l’hydrolat ont été abordés lors des conférences ouvertes au public.

Bien qu’un projet de loi du Pays autorisant l’usage thérapeutique du cannabis a été évoqué l’année dernière, selon la réglementation en vigueur le cannabis est encore considéré comme un produit illicite.  C’est pourquoi plusieurs acteurs se sont réunis afin de “faire avancer les choses”.

Ainsi, étaient présents lors de ce rendez-vous sur le cannabis thérapeutique et la prévention des addictions, Philippe Cathelain du Syndicat Polynésien du Chanvre, Karl Anihia de l’association THC, le Dr. Éric Parrat de l’association Honoea, Daniel Monconduit, Mathilde Giroud, Nisrine Ettajani pour les professionnels en santé.

Tous ont pu formuler leurs vœux et leurs attentes, mais aussi leurs inquiétudes lors de cet échange sans tabou. 

Le cannabis est une vraie question de santé publique avec ses propres enjeux qui répond à un besoin des patients en soins palliatifs” souligne Mathilde Giroud, médecin spécialiste en soins palliatifs.

Ces dernières années, la demande en huile de chanvre, CBD et autres produits thérapeutiques a explosé en France pour atteindre la Polynésie française. En effet, il y a un intérêt réel du côté des patients : “J’ai des visiteurs avec de lourdes maladies qui viennent me voir en me disant qu’il n’y a que le cannabis qui les soulagent” explique Karl qui milite depuis 2012 pour la légalisation du cannabis thérapeutique et ses dérivés.

“Avec l’hydrolat de chanvre, j’ai pu libérer
mon esprit de la douleur”

Dans l’assistance, cet aveu fait réagir : “Suite à un accident, j’ai eu plusieurs fractures dont une au poignet, deux traitements m’ont été prescrit, dont un à base de paracétamol et d’opium qui a, certes, diminué mes douleurs, sans apaiser mon esprit. Mes séances chez le kinésithérapeute étaient devenues difficiles, mais avec l’hydrolat de chanvre, j’ai pu libérer mon esprit de la douleur” confie un membre du public.

Cet intérêt a été constaté par les tradipraticiens qui ont ajouté l’huile de chanvre à leur trousse de massage. Actuellement, la démarche se cantonne au domaine du bien-être faute d’une nouvelle réglementation en vigueur. “Afin de pouvoir parler de cannabis thérapeutique, il faudrait savoir exactement de quoi on parle, il existe plus de 400 cannabinoïdes différents, nous ne pouvons rien prescrire sans posologie” tient à rappeler Teva, membre de l’association THC qui ajoute que malgré tout, le cannabis reste populaire auprès des gens du troisième âge. Un avis que partagent Mathilde et Karl qui espèrent pouvoir bientôt voir la réglementation évoluer afin de permettre à la filière de se développer localement.

Par ailleurs, les questions de la production et de la commercialisation ont été soulevées. “Il ne faudrait pas que cette filière tombe encore dans des monopoles déjà existants afin de laisser aux autres acteurs, toutes les chances de pouvoir se développer” recommande un membre du public.

Ce à quoi Philippe Cathelain, président du Syndicat Polynésien du Chanvre, répond d’un ton rassurant : “Il y a déjà une chaîne de production qui se dessine, mais il nous faut d’abord sélectionner nos cultivar de cannabis pour lesquels nous aurons assuré une certaine qualité et traçabilité avant de les fournir aux industriels.”

Ne pas consommer de cannabis avant 25 ans

Si la légalisation du cannabis à usage récréatif n’a pas été mentionnée, Nisrine Ettajani, médecin généraliste, auteure d’une thèse sur le cannabis, rappelle qu’il est extrêmement important de ne pas consommer de cannabis durant la période de croissance du cerveau qui se termine à 25 ans : “Il y a un réel impact sur la mémoire de travail avec une alternance des fonctions cognitives de l’apprentissage.”

Un risque pris en compte par l’association THC qui préconise un âge minimum obligatoire pour tout usage de cannabis. Cependant, cela n’est pas suffisant selon le Docteur Parrat pour qui les campagnes de prévention ne sont pas assez percutantes : “La France ne fait que la promotion de la santé, or, nous voyons que dans les maladies non-transmissibles comme le tabagisme par exemple, on s’enfonce parce qu’il n’y a pas de programmes de prévention efficaces contre les addictions.”

Tahia Wan
(Photos : commune de Paea)

Vers un encadrement des tradipraticiens ?

Le docteur Parrat estime qu’il est encore très difficile de faire de la recherche en Polynésie française, mais se réjouit du travail effectué au sein de son association Honoea qui met en relation tradipraticiens et professionnels de la santé : “Nous avons créé une éthique de travail au travers d’une charte mise régulièrement à jour, afin de pouvoir agir ensemble. Par exemple, nous avons mis en place une procédure d’annonce du cancer du poumon au patient” explique-t-il.

Aujourd’hui, cette démarche prend de l’ampleur puisqu’une branche de la médecine traditionnelle existe au service de pneumologie du Centre hospitalier de Polynésie française (CHPF) et dans les communes de Paea et de Teva i uta sous la forme de médecine de proximité.

Toutefois, la Docteur Parrat veut aller encore plus loin en préservant ce savoir ancestral transmis de génération en génération grâce au projet Va’a Ora. “Nous formons aussi des néotradipraticiens, c’est-à-dire des jeunes avec une maîtrise du tahitien qui ont été initiés par d’autres tradipraticiens ou leurs ancêtres et qui exercent dans notre système de santé.”

Fort heureusement, si aucun incident n’a été déploré, “les tradipraticiens exercent sans filet de sécurité d’où la nécessité d’encadrer la profession” rappelle Éric Parrat.

Attention tout de même, si les portes de l’association restent ouvertes à tous, le Dr. Parrat se montre méfiant vis à vis de ceux qui souhaiteraient simplement approfondir certaines aptitudes psychiques : “Si vous avez des connaissances à apporter, ne restez pas dans votre coin et venez les partager avec d’autres tradipraticiens” déclare le docteur Parrat.

Parmi les autres avancées, ont été évoqué le nano-pacemaker inspiré de la biomédecine ou biomimétisme, mais aussi, l’hydrogène comme une énergie d’avenir, jusqu’à la perspective de nouveaux programmes éducatifs.