Née à Papeete d’une maman polynésienne et d’un père popa’a, Titaina Bailleux a toujours été passionnée par la danse tahitienne. Elle a développé dans l’Hexagone le concept de ‘ori fitness, c’est-à-dire un cours qui allie les pas de base du ‘ori avec les principes du fitness. Entretien.
Iaorana Titaina, où es-tu es née et où as-tu vécu en Polynésie française ?
“Je suis née à Papeete, d’une mère polynésienne, originaire de Raiatea, et d’un père français. Mes parents se sont rencontrés en 1977. Mon père venait d’être muté à Tahiti pour son travail. Mes parents ont d’abord habité à Pirae, avec mon frère aîné, puis, à ma naissance en 1981, ils ont fait construire à Supermahina. Puis ma petite sœur est née en 1986.”
Quand as-tu quitté la Polynésie française ? Pour quelle région ?
“En 1987, je suis accueillie par ma maman fa’a’amu en Normandie, à Caen, où je suis restée pour mes études. Je revenais chaque été chez mes parents restés au fenua. Puis, avec le mal du pays, je suis revenue deux ans sur Tahiti, en 5ème et 4ème, au collège La Mennais”.
A quel âge as-tu débuté la danse ? As-tu commencé par le ‘ori tahiti ?
“D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé danser. J’ai commencé par la danse classique chez André Tschan. Enfant, le ‘ori se résumait au “tamure” pour moi, que je voyais dans les hôtels, à la télé ou aux festivités locales.
C’est à l’adolescence, quand je suis revenue vivre durant deux ans à Tahiti et que j’allais voir les copines qui dansaient chez Makau Foster ou Tumata Robinson, que j’ai eu mes premiers déclics.”
“Nous avons monté une troupe, Mahana Polynesia, pour animer
des soirées privées, festivals,…”
Mais revenue à Caen, pas d’école de ‘ori. Il a fallu attendre 2001 pour que je rencontre une Tahitienne, Eliane Teinaore, qui venait d’ouvrir un cours de ‘ori sur Caen. J’ai fait mes débuts avec elle. Puis avec quelques danseuses, nous avons monté une troupe, Mahana Polynesia, pour animer des soirées privées, festivals, événements sportifs ou culturels dans toute la région et parfois aussi en région parisienne.
Nous avons continué à nous former grâce aux workshops de différentes personnalités du ‘ori comme Joëlle Berg, Vaheana Le Bihan, Tahia Cambet, Moena Maiotui… Encore maintenant, je continue à me former auprès d’autres professeurs de ‘ori comme Mareva Bouchaux, ou de personnes exceptionnelles comme Matani Kainuku et Marie-Jeanne, qui nous transmettent leurs savoirs.”
Quand as-tu commencé à enseigner le ‘ori tahiti en France? Est-ce-que cela a toujours été ta profession?
“Après ma deuxième grossesse, en 2013, concilier la vie de famille, le boulot – je travaillais pour un cabinet de courtage en assurances, comme conseillère financier, avec pas mal de déplacements – et la troupe – qui me prenait trop de temps avec les répétitions, l’apprentissage des chorégraphies – devenait difficile et j’ai eu besoin de faire un break.
Un jour, en discutant avec la nounou de ma fille, qui faisait partie d’une association culturelle et sportive, elle me fait part de son désarroi de l’arrêt du cours de Bollywood. J’ai sauté sur l’occasion pour proposer une découverte du ‘ori mais dans un style fitness. Et c’est comme ça que j’ai commencé, en tant que bénévole dans l’association de mon village, c’était en 2016.”
Comment as-eu l’idée d’allier le ‘ori tahiti et le fitness ?
“Je suis plutôt sportive à la base, j’ai fait du basket, de la natation, du rock, de la salsa. J’aime bien être dans le mouvement, j’ai besoin de dépenser l’énergie que j’ai en moi, sinon je me consume ! Mais pour enseigner le ‘ori tahiti, ou toute autre danse d’ailleurs, il ne s’agit pas que de technique, il faut aussi être créatif, imaginatif, connaisseur des rythmes (pehe), être capable de créer des chorégraphies, confectionner les costumes et, pour les aparima, pouvoir traduire les paroles car je ne parle pas le tahitien. Donc beaucoup de compétences que je maitrisais peu pour enseigner correctement. Je me suis tournée vers ce que je maîtrisais le plus, la technique, les postures, la souplesse.”
As-tu une formation particulière dans le domaine du fitness ?
“Prise au jeu de l’enseignement, de la transmission, du partage, et suite à un arrêt maladie qui m’a permis de prendre du recul sur mon parcours et le sens de la vie, j’ai fait un virage à 180° en 2019. J’ai procédé à une rupture conventionnelle avec mon employeur et j’ai repris une formation.
“Je me suis lancée depuis trois ans
dans le ‘ori tahiti “pur”, avec un cours enfant”
J’ai passé un certificat de qualification professionnelle d’animateur de loisir sportif, option activité gymnique d’entretien et d’expression. Je me suis ensuite certifiée en Activité physique adaptée pour développer d’autres compétences auprès de tout public, même celui éloigné du sport. J’ai suivi des formations propres au sport et sport santé (méthode de Gasquet, fitball, marche nordique, step…).”
Comment se caractérise le ‘ori fitness ?
“C’est un cours qui allie les pas de base du ‘ori avec les principes du fitness. Selon que l’on travaille sur le renforcement musculaire, un pas va être décortiqué, répété plusieurs fois en série, avec des variations de posture, pour le maîtriser. Puis on passera au cardio avec des accélérations, des déplacements rapides. Puis on rajoutera les bras pour augmenter encore la dépense énergétique.”
A qui enseignes-tu aujourd’hui ?
Étant éducatrice sportive, les cours ont évolué et je ne fais pas que du ‘ori fitness. J’ai des cours de fitness classique, de gymnastique sénior, de marche nordique à destination d’un public adulte et sénior. Mais je me suis lancée depuis trois ans dans le ‘ori tahiti “pur”, avec un cours enfants (création de chorégraphie, confection de costumes).”
Proposes-tu des représentations en France ?
“Je suis souvent sollicitée pour des démonstrations et spectacles, lors de soirées et d’événements (mariage, anniversaire). Bien que cela ne soit pas ma priorité, j’essaie d’y répondre favorablement. J’ai la chance d’avoir des élèves hyper-motivées, soudées entre elles et qui me font confiance pour les mettre en valeur et me suivent sur les représentations. Nous dansons ainsi lors de fêtes de village, Téléthon, soirées d’anniversaire, et dernièrement pour une journée polynésienne dans un établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).”
“Le ‘ori tahiti, un bel outil pour se réapproprier son corps”
Quels sont tes projets à venir ?
“Ma certification Activité physique adaptée me permet d’accompagner des personnes en affection de longue durée, ou qui viennent sur ordonnance du médecin. J’interviens depuis peu en “danse tahitienne”, – car le terme ‘ori Tahiti, ça ne parle pas beaucoup ici – au centre François Bacless, un centre de cancérologie à Caen, lors de journées de promotion de l’activité physique adaptée. C’est toujours un beau moment de découverte, de plaisir, de joie pour elles que de s’évader avec le son des ukulele et voix mélodieuses de chez nous.
J’aimerais développer des cours de ‘ori pour ces femmes atteintes de cancer, et toutes celles qui ont parfois un rejet de leur corps à cause de la maladie. Le ‘ori tahiti est tellement sensuel et doux dans ses aparima, et plein d’énergie et de puissance dans ses otea, que c’est un bel outil de travail pour se réapproprier son corps.
Sinon on me demande souvent si j’enseigne aux tane. Non pas encore, peut-être un prochain challenge!”