Justice – Le Royal Huahine rejetait ses eaux usées dans le lagon

Le 19 septembre 2023, le tribunal correctionnel a condamné le Royal Huahine à 5 millions de francs d'amende pour le rejet de ses eaux usées. (Photo : Royal Huahine)
Le 19 septembre 2023, le tribunal correctionnel a condamné le Royal Huahine à 5 millions de francs d'amende pour le rejet de ses eaux usées. (Photo : Royal Huahine)
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Entre 2016 et 2021, malgré plusieurs rapports défavorables sur l’état de délabrement de sa station d’épuration, la direction du Royal Huahine, par manque de moyens, n’a jamais entamé les travaux pour que soit convenablement traitées les eaux usées de l’hôtel avant d’être rejetées dans le lagon. Le 19 septembre 2023, le tribunal correctionnel a condamné l’hôtel en tant que personne morale à 5 millions de francs d’amende. Sa gérante et directrice générale, Christina Teihotaata, écope d’une amende de un million de francs, dont 300 000 F avec sursis.

Le groupe Royal rachète cet hôtel de Huahine en 2013. À l’époque, les prestataires chargés de l’entretien de la station d’épuration de l’établissement trois étoiles ont déjà effectué de nombreux signalements sur la vétusté de l’ouvrage. Selon le Président du tribunal, l’ancien propriétaire connaissait déjà le problème, avec de premiers signalements datant de 2005 sur la nécessité d’agir.

En 2013, plusieurs rapports successifs sont fournis à la direction de l’hôtel et listent les travaux à effectuer pour un montant d’environ cinq millions de francs. Des devis sont réalisés mais restent sans suite. Provisoirement, un système de by-pass est mis en place et les eaux usées de la quarantaine de chambres de l’hôtel sont directement rejetées dans le lagon sans être totalement traitées.

La direction change de prestataire et fait appel à une société spécialisée dans le domaine de l’eau potable qui réalise un audit. Là encore, les constatations sont unanimes et des travaux sont réclamés à la direction. Rien ne sera effectué jusqu’à la fermeture de l’hôtel en 2021.

Les eaux usées rejetées près du restaurant

Après plusieurs avertissements sans effet et une mise en demeure en 2017, c’est la subdivision des îles Sous-le-Vent de la direction de la santé qui avertit le parquet qui lance une procédure pour “déversement de substance nuisible” dans la mer. Une enquête qui sera reprise par la toute nouvelle antenne polynésienne de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP).

Le président du tribunal rappelle alors que les analyses effectuées à la sortie de la station défectueuse montrent une présence de bactéries coliformes et streptocoques cinq fois supérieure au niveau légal. L’émissaire rejette pourtant ces eaux usées à quelques mètres seulement du restaurant de l’hôtel où les baigneurs sont nombreux.

À la barre, la gérante explique tout d’abord qu’elle n’y connaissait rien en station d’épuration. Les deux autres hôtels dont elle a la charge, le Royal Bora Bora et le Royal Tahitien, sont reliés au réseau de traitement sans avoir besoin de leur propre station. Elle indique ensuite que, par manque de trésorerie, elle a cherché des financements pour effectuer les travaux. Mais selon elle, ni les banques ni l’actionnaire majoritaire du groupe n’ont voulu les financer.

“Il aurait fallu déposer le bilan”, lui dit alors le Président du tribunal. Elle le reconnaît. Mais elle ne l’a pas fait “pour conserver les emplois”, dit-elle. Elle pointe aussi à nouveau du doigt l’actionnaire principal comme celui qui, malgré une situation financière délicate, a refusé de fermer l’hôtel à l’époque, “pour préserver l’image du groupe”.

Finances et santé publique

Pour le procureur, les arbitrages financiers de cet hôtel en difficulté ont été réalisés au détriment de la santé publique. Il ajoute : “Souvent, face aux difficultés financières, l’honnêteté s’envole”. Il rappelle que trois sociétés différentes ont signalé à la direction les dysfonctionnements de la station et un véritable risque sanitaire.

Une information démentie par l’avocat de la défense qui a interrogé le médecin de la commune, lequel n’aurait par exemple relevé aucune augmentation du nombre de pathologies qui auraient pu être engendrées par cette pollution fécale, comme les gastro-entérites. Pour lui, les effets sur l’environnement sont restés limités, avouant lui-même s’être baigné à quelques mètres de l’émissaire de la station d’épuration hors service. Il répète que, selon lui, il n’y a jamais eu d’atteinte à la santé publique.

Le tribunal va pourtant au-delà des réquisitions du procureur qui avait demandé une amende de 1,5 million de francs pour l’hôtel. La société est finalement condamnée à verser 5 millions de francs d’amende. Christina Teihotaata, elle, repart avec un million de francs d’amende et de contravention à payer, ainsi que 300 000 F d’amende avec sursis.

Compte-rendu d’audience YP